Built To Spill sévit depuis 13 ans aux Etats-Unis, et y constitue une figure de proue du rock indépendant aux côtés de Wilco et Modest Mouse, sans qu'aucun de leurs albums n'ait été distribués en Europe. Pour preuve de l'attente générée par cet album outre-Atlantique (le premier en 5 ans), sa 70ème place en précommande sur Amazon deux semaines avant sa sortie. Comme à son habitude, Built To Spill nous délivre ici un foisonnement mélodique en forme de mur du son 53 minutes durant. Pour décrire l'atmosphère de cette production, on peut parler d'un Wilco en plus électrique et plus sombre qui évoque le Crazy Horse. Les morceaux se développent lentement et impertubablement pour finir crescendo dans un déluge de notes et de lumières mélodiques à tout va. Le disque, considéré dans son ensemble, peut être décrit de la même manière, les chansons s'enchaînant progressivement vers les sommets et nous emmenant dans un tortueux périple, à la différence qu'il se clôt par un retour au calme.Comme exemples de ce postulat et parmi les chansons reines de cet album monumental, "Traces" ou "Wherever You Go", qui constitue le début de l'envolée. Le leader du groupe, secondé par une base rythmique implacable, a la faculté d'offrir à chacune de ses compositions - simples en réalité - l'interprétation la plus exhaustive possible et ainsi de dévoiler les richesses que recèle un nombre fini et réduit d'accords. "Conventional Wisdom" suit et pousse plus loin cette mise en lumière du domaine des possibles. La chanson s'achève en une semi-improvisation décoiffante par masturbation de manche. Ces envolées empruntées à Neil Young se discutent mais apparaissent ici comme l'outil le plus approprié à l'explosion orgasmique d'une guitare. Autre brillance sonique notable, la fin de "Gone". Le morceau qui suit, "Mess With Time", est l'apogée de l'album. Autre emprunt fait à Neil Young, la voix est doublée par une guitare lead sur les couplets, qui poursuit ses incartades sur les refrains. Les choses s'emballent alors, le morceau prenant une tournure ska inattendue. Les deux morceaux qui clôturent l'album apparaissent comme un retour en douceur à la réalité.On sort de l'écoute les oreilles repues et prêtes à la sieste, pleines d'échos des fulgurances remémorées. Reposé, le cerveau prendra le relais et semblera disposé à explorer de nouveaux univers soniques. Les jeunes groupes anglais le feront doucement rigoler. (Popnews)
Hormis un album solo de son leader Doug Martsch, on était sans nouvelles de ces légendes de l'underground américain depuis le décevant Ancient Melodies of the Future (2001). Tous les doutes sont pourtant balayés dès le titanesque Goin' Against Your Mind. Plus qu'une introduction à cet album, il en est la clé de voûte : en presque neuf minutes, Built To Spill réaffirme son opiniâtreté musicale, croisement jamais vulgaire entre indie-rock traditionnel et longues improvisations où les guitares inventent tous les duels, à la Neil Young. Après ce morceau de bravoure, Doug Martsch et ses acolytes calment le tempo mais ne baissent heureusement pas la garde. Lyrique sans jamais être théâtral, bavard sans être ennuyeux, You in Reverse sonne comme le retour en grâce de ce groupe, encore trop méconnu en Europe. (Inrocks)
Doug Martsch remet en selle son combo mythique après un quinquennat en berne. Placé sous le haut parrainage du Loner, les drones de guitares saturées de You in Reverse tendent désormais vers le spleen crade. Moins spectaculaire, mais toujours authentiquement affecté.
Cette chronique traîne depuis un bon mois et demi sur le bureau de mon PC. S’il avait fallu cacher le disque derrière un coussin, on l’aurait fait. Mais voilà, c’est un fichier word. Il faut s’en débarrasser une fois pour toute. Ouste ! Du balai ! Dans un dernier élan de motivation, on rampe jusqu’au clavier pour mettre fin au supplice et rédiger une chronique… Peut-être est-ce à cause de cette pochette au goût douteux digne d’un album des Chameleons ou bien à notre façon de faire payer Doug Martsch d’une absence longue de cinq ans ? A vrai dire, la dernière livraison de Built To Spill déçoit dans un premier temps et demande persévérance. Vénérable institution du rock indépendant 90’s, les figures de voltige six-corde de Doug Martsch & co ont brillé de mille feux sur Keep It Like a Secret (1999), Perfect From Now On (1997) et There’s Nothing Wrong with Love (1994). Trois albums, qui pour certains clans « rockuptibles » (auxquels nous adhérons) surpassent ceux de l’éternel rival, feu Pavement. Mais voilà, Doug Martsch et ses trois compagnons tournent peu hors des Etats-Unis et l’occasion de les voir en Europe est quasi nulle. On se console en savourant leur fantastique Live (2000), imposante leçon de maestria rock lancée comme un pied-de-nez à la nouvelle génération garage.Contrairement à ses prédécesseurs, le nettement moins glorieux Ancient Melodies of The Future (2001) n’a même pas bénéficié d’une sortie nationale en France, c’est dire l’intérêt que porte Warner à ces formations cultes outre-atlantique méconnues par chez nous. Disque bâclé, Ancient Melodies… s’orientait vers de nouveaux territoires, malheureusement trop encombrés par des claviers aseptisés et une inspiration faisant sérieusement défaut. En réaction à ces tentatives de rock futuriste, You In Reverse fait complètement machine arrière, direction les bonnes vieilles guitares abrasives de Neil Young période Crazy Horse et l’epileptique Zuma. Petit présage, l’album solo acoustique du barbu Doug Martsch Now You Know (2001), hanté par le fantôme blues de Mississippi Fred Mc Dowell, amorçait déjà ses aspirations rétro. C’est donc à travers la noirceur de Tonight The Night et de l’arrivée d’un second guitariste, Brett Netson (un vieux collaborateur de tournée), que Built to Spill a retrouvé un peu de sang neuf. Du fait de cette nouvelle carapace rude, ce sixième opus studio se laisse appréhender moins facilement, d’où notre laps de temps de réaction. Et puis, à grands coups de guitares perceuses, You In Reverse parvient à s’immiscer dans notre caboche pour ne plus s’en déloger. Avec pour habitude de nous servir d’entrée une petite tranche épique, Built To Spill choisit ce coup-ci l’épopée americana amplifiée. “Goin’ Against Your Mind” balance de sacrés effluves de larsen en piratant le fameux “Cortez the Killer” qu’ils avaient déjà repris admirablement sur Live : huit minutes de duels de guitare au sommet, dominés notamment par les terrassants soli au bottleneck de Mr Martsch. Les rencontres avec les rythmiques visqueuses du Crazy Horse sont fréquentes tout au long de ses 10 titres : “Wherever You Go” ou encore un orgue sur “Gone” d’instinct massacrant.Tout en conservant ce grain sale 70’s, d’autres compositions portent la signature familière de Built to Spill. Dans l’ensemble, le groupe de Boise pique des colères épiques moins systématiques. Nerveux à souhait, “Conventionnal Wisdom” renoue avec la verve des notes imbriquées qui finissent par exploser en solo de particules hendrixiennes. L’étonnante virée binaire chicanos “Mess With Time” est également mémorable. L’humeur est plus à l’affliction, bien que certains arpèges finement ciselés trahissent quelques jolies mélodies pop (“Liar”, “Just a Habit”). Le tout s’achève sur une chanson sur le départ, le nostalgique “The Way”. Built To Spill nous rend la vie dure, et c’est pour ça qu’on « rempill » (pinkushion)