La curiosité de cette aventure de Batman ne réside pas seulement dans son origine japonaise. Puisque, oui, ceux qui connaissent un peu, savent que c'est (presque*) le seul manga, disons contemporain, du Dark Knight. On sera peut-être dérangé par le style de l'auteur, Kia Asamiya, dont les personnages ont tous de grands nez aquilins. Ou par plusieurs éléments trop typés mangas, dont : la légère love story (inaboutie comme toujours dans la non-vie de Bruce Wayne) entre le multimilliardaire et Yuko, la jeune journaliste japonaise (qui comme dans tout bon manga, n'a pas un visage asiatique du tout) ; ou certains trips un peu high-tech cybernétiques.


Mais le plus intéressant est plutôt dans le discours sous-jacent, qui transparaît à peine implicitement du récit : une journaliste, fan du chevalier noir ; des faux Pîle-ou-face, Pingouin, Homme Mystère ou Joker, qui s'avèrent des inconnus drogués ; la nouvelle drogue en vogue à Gotham, appelée "otaku"... SPOILONS un peu, le grand-méchant est un fan maladif de Batman, qui a accumulé une collection flippante grandeur nature de voitures, gadgets, costumes... et qui rêve d'être Batman lui-même.

Il y a deux villes dans ce récit : Gotham et Tokyo. Chacun des livres se déroule d'abord aux States, puis au pays du soleil levant. Diptyque symbolique : une ville fictive, une ville réelle. Le récit est fait, en premier lieu, par un auteur japonais s'adressant à des lecteurs japonais (L'Enfant des rêves ayant initialement été publié par Kodansha dans son magazine, K). Particulièrement, il semble s'adresser à des lecteurs, qui à l'instar du personnage de Yuko, ou de l'auteur, sont eux aussi fans du héros américain.
Il est souligné, à plusieurs moment, que le Japon ne possède pas de "vrai héros" aussi immensément mythique que Le Batman des States. Ici, c'est comme si le Japon/Tokyo représentait la vie réelle du lecteur, peut-être d'ailleurs un de ces "otakus" explicitement invoqués avec le nom de la drogue sus-dite. L'Amérique/Gotham est l'horizon lointain, un lieu fictif et idéal, où sont les "vrais" grands héros. C'est-à-dire le "rêve" du fan, de l'otaku qui s'extrait de la réalité, se réfugiant dans la fiction.


Quelque part, le message de Kia Asamiya, se résume simplement. Dès le début, Batman lui-même tente de le rappeler : "Avant d'avoir eu le temps de le comprendre, j'étais déjà devenu le centre d'intérêt de tant de gens, qui mettaient en moi leurs espoirs et leurs aspirations. Ce n'était pas ce que je cherchais... Je ne suis pas un surhomme. En dépit de ce que pense les autres... je ne suis qu'un type normal."
Plus loin, tous ceux qui ont cherché, l'espace d'un instant, à vivre "leur rêve", c'est-à-dire devenir une des créatures de Gotham City finissent par y passer. Et ce que dit le faux Joker, au moment où la drogue fait dérailler son corps : "Toute ma vie... j'ai été un raté... Je ne pouvais pas mourir... comme un raté... Pour une fois... rien qu'une fois... je voulais réaliser mes rêves." Et quelques pages après, le confrère journaliste de Yuko, lui déguisé en Batman, et après avoir affronté le Dark Knight parle, lui, de ses "rêves de gosses".
La réponse de l'auteur, à travers les paroles de l'homme chauve-souris est celle-ci : "Je ne suis pas devenu ce que je suis en admirant quelqu'un d'autre (...). Je suis ce que je suis parce que j'ai vécu la vie que j'ai vécu (...) Je suis devenu ce que je suis en restant fidèle à ce que j'ai toujours été."

Et il y a finalement une sorte d'humilité dans l'approche de Kia Asamiya : acceptant d'être un auteur japonais, plutôt que de chercher à calquer le travail des américains, il réalise un manga, dans lequel il ne met finalement en scène que des copies des créatures peuplant Gotham City. Soulignant de cette façon que, même profitant de l'occasion de réaliser ce qui doit être pour lui un vrai rêve d'enfant, il n'oublie pas qui il est réellement.
Certes, dans la mythologie du Batman, à côté de certains grands récits incontournables, fondateurs, L'Enfant des rêves n'est peut-être pas l'aventure du Cape Crusader la plus inoubliable. Elle propose cependant une lecture du mythe, à l'aune de sa géolocalisation, des plus intéressantes, voire nécessaire.

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* Un épais volume, seulement en anglais, propose une sélection de très nombreuses planches de Batman en version manga, celles-ci datant par contre plutôt des 70's et 80's... autre curiosité à consulter.
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le 1 nov. 2011

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