Quand Big Ben trouve sa voix

Dans les milieux artistiques, il y a, typiquement, toujours de ces mecs qui veulent en être. On les trouve toujours là, et des fois on ne sait pas très bien ce qu'il font. À force d'activisme omniprésent, on se rappelle d'eux et on les identifie enfin. Mais très souvent, il est difficile de savoir si leur effective appartenance au milieu est due à leur talent ou simplement à leur ténacité. Big Ben pourrait presque être de ceux-là. On a sa première oeuvre marquante : Albert Le Grand - Analyse, BD qu'on croit presque semi-autobiographique, avec une seule case répétée infiniment et un mec qui parle et qui parle. C'est pas mal. Et pourtant on sent, de partout, l'influence de celui qui a certainement été son premier maître à penser, le fameux Trondheim. Il a aussi été aux manettes des premiers Comix Club, la revue critique qu'il a initié. Avant d'heureusement refiler le bébé à Jean-Paul Jennequin, plus talentueux dans la peau du critique que lui. Big Ben, donc, c'est typiquement le gars qui, dans un festival BD, le soir, quand il y a la fête avec les stars comme le copain du susdit fameux, Sfar donc, et d'autres plus ou moins célèbres, Big Ben, c'est le type qui pour s'assurer qu'il est bien là, filme tout, caméra vissée à son oeil (vu de mes deux yeux à moi), oubliant presque d'être là, lui, pour de bon.
Et voilà Betagraph, déjà un peu vieux, puisque commencé fin 2000 dans le fanzine Chez Jérôme (pour ceux qui connaissent, initié par ceux de la "scène rennaise" comme les appelle le susdit JPJ). Et c'est quoi Betagraph si ce n'est 1) un clin d'oeil à la librairie Alphagraph (tenue par Jérôme, en l'honneur de qui a été nommé la susdit fanzine et aussi la série de Nylso, bien-nommée Jérôme d'Alphagraph) et 2) l'aboutissement vrai de la démarche du monsieur. Je t'explique : si t'as lu le résumé, tu sais que c'est une sorte de sitcom BD sur de jeunes auteurs issus du fanzinat et qui se débatte dans le milieu. Des gens qui, comme Big Ben, veulent en être.
Ici, on cherche derrière les bonshommes qui est qui ? On pense trouver le grand petit Ben un peu derrière celui-ci, puis celui-là. On peut voir clairement la référence à de vraies personnalités (Fastidious, le mec le plus productif et talentueux du moment) et entités de la BD (les éditions Belcourt !)... Et on imagine assez que les déboires des personnages peuvent être puisés dans les anecdotes perso de l'auteur, mais aussi dans une sorte de vie fantasmée. Étonnamment, c'est au coeur de ce récit, plus que certainement nourri de toutes les aspirations et frustrations de Biggie, que celui-ci trouve une voie et une voix, toutes à lui. Les espoirs, les échecs, les réussites, tout semble habité par l'expérience et les noeuds à l'estomac de Ben. Surtout : la recette marche. Le sitcom, avec ses ressorts grossiers voulus, ces retournements de situations, ses histoires d'amour, les hauts et las bas, ce petit théâtre prend vie et trouve même une certaine indépendance, tant on sent que rien n'était calculé, et que les choses ont dû se faire d'elles-mêmes.
Inutile d'en dire plus sur l'histoire elle-même, puisque ce serait spoiler, et que c'est finalement le traitement formel (et sa portée symbolique) qui compte, plus que les évènements. Puis on notera une autre chose d'importance au sujet du dessin : Big Ben est définitivement un auteur qui ne deviendra jamais un grand professionnel. D'abord parce que peut-être, dans le fond, n'avait-il pas grand chose de plus à raconter et à être (enfin, ça, l'histoire nous le dira). Surtout, à l'instar de bon nombres de losers épiques de la BD indée underground, son dessin vaut et prend vie en étant bâclé. Un des personnages se retrouve d'ailleurs paralysé par ce dilemme : s'il s'applique trop, soudain son dessin se fige, devient moche, et les maladresses peut-être trop voyantes. Tandis, que lorsqu'il gribouille, à la va-vite, sur un coin de table, tilt ! tout s'anime. De quoi faire quelques livres chez les micro-éditeurs copains, qui seront lus par ces mêmes copains et trois types traînant leurs basques dans le milieu. Mais qui ne convaincront jamais les magnats des grandes boîtes.
Ça n'est pas très grave, enfin, je crois. Puisque, à sa façon, un peu maladroite, et coincé dans ce grand corps d'adulte resté ado, Big Ben, sans être une méga star, fait désormais bel et bien partie du milieu. Ouaip.
colville
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le 5 avr. 2011

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