Quand le maître du point de fuite, j'ai nommé le génialissime François Boucq, s'attaque à un one-shot se déroulant à New-York, on ne peut qu'être sûr qu'on en prendra plein les yeux. Et là, les amis, je vous assure que l'on n'est pas déçu.
"Master" Boucq nous fait une démonstration de ses talents de dessinateur à chaque case. C'en est presque dégueulasse de constater qu'une telle dose de génie se retrouve concentrée dans une seule personne. Dans une seule tête. Dans une seule main, maniant la plume et le pinceau avec une adresse presque effrayante. Je trouve ça dégueulasse que Dieu n'ait pas mieux réparti une telle aptitude dans la population. Si j'avais ne serais-ce que cinq pour-cent de François Boucq en moi, je serais le plus heureux des hommes, mais non, que dalle, je peux seulement continuer à me brosser les dents, et Boucq, lui, peut continuer à épater ses lecteurs. Dégueulasse, je vous dit. Et comme si ce n'était pas suffisant, Dieu a décidé que ledit Boucq aurait droit, en prime, à un don de coloriste hors pair, puis il l'a doté d'un sens de l'humour à tomber par terre, et ensuite, il lui a fait écrire les histoires les plus drôles du monde...
Bref, pour faire simple, Dieu a pris une entrecôte de Jean Giraud, y a rajouté une bavette d'aloyau de Marcel Gotlib, a mélangé le tout ; et quand ce fut cuit, il vit que cela était bon, puis dit : "Ceci s'appellera François Boucq, et j'en fait don à l'humanité".
Mais je m'éloigne un peu de Bouche du Diable, c'est plus fort que moi ; je n'idolâtre personne ou presque, mais il y a des gens à qui j'ai tendance à vouer un respect qui dépasse parfois les limites du raisonnable, et là, je devais l'exprimer et je m'en excuse.
Bouche du Diable, en plus d'être un joli titre, est la seconde collaboration entre François Boucq (vous l'aurez compris) et Jérôme Charyn. J'étais passé à côté pendant pas mal d'années, et je me suis dit que plutôt d'attendre bêtement d'avoir un exemplaire de Little Tulip entre les mains pour découvrir ce duo, je n'avais qu'à saisir l'occasion de lire cette fameuse Bouche dont j'e n'avais ouï dire que du bien.
Il se trouve qu'elle est bien bonne, cette bouche. On nous raconte l'histoire prenante de Youri, un agent Ukrainien infiltré dans New-York ou il effectue diverses missions pour sa patrie soviétique. Bien sûr, nous savons que ses agissements sont surveillés par ses compères bolcheviques ; bien sûr, nous savons que toute tentative de trahison serait réprimandée ; et bien sûr, nous savons que Youri tentera de s'éclipser tôt ou tard pour devenir un citoyen du monde occidental. Qu'importe, ça fonctionne à merveille. Peut être parce que l'histoire nous dévoile tout de Youri depuis son enfance, où il fut recueilli par une généreuse paysanne l'ayant retrouvé abandonné dans la neige. Charyn prend le temps de nous faire rentrer dans la peau du personnage qu'il a créé, après tout son scénario s'étale sur plus de cent-vingt pages, alors autant les exploiter avec intelligence...
Certaines scènes sont très belles, et pas seulement au niveau du dessin, mais aussi grâce à la mise en scène et au découpage. Alors, j'ai quand même noté de minimes bémols à cet ensemble, à commencer par cet indien au côté chamano-guerrier plutôt dispensable, et une fin qui, malgré de superbes décors et une ambiance parfaite, est un peu brutale. En fait, j'aurais bien aimé lire encore une petite dizaine de pages qui auraient suffit à conclure l'ensemble de manière plus rationnelle. Mais qu'importe, le reste est tellement prenant que l'on oublie vite ce genre de petit défauts.
Boucq nous démontre avec force qu'en plus d'être l'homme le plus drôle du monde, il est aussi capable de faire de belles choses sur un sujet sérieux, d'embellir des moments forts par des images qui nous touchent ; je me répète, mais c'est dingue comme un être constitué seulement de chairs et de tendons soit capable de maîtriser avec tant de perfection ces deux registres...
Enfin voilà, j'ai bien conscience que c'est plus une déclaration d'amour à François Boucq qu'une critique constructive de Bouche du Diable, mais il fallait que j'exorcise tout ça, je ne pouvais pas simplement me contenter de noter ses bouquins comme un sapajou sans rien dire, non, ça n'aurait pas été très éthique...
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