Que c'est gênant. Pour un peu, je m'en voudrais presque de revenir sur ce manga qui aura été déjà généreusement rabroué du fait de sa version animée nanardesque et néanmoins fidèle au manga. Griffer sa plume pour critiquer Captain Tsubasa, cela revient purement et simplement à tirer sur un corbillard. Mais puisque la tentation prend le pas sur la culpabilité, c'est à grand coup de Scud que je ferai feu ici. Yôichi Takahashi aura été lâché sans garde-fou sur son terrain et c'est à la charge de la critique de nettoyer derrière lui. Alors, quitte à devoir briquer, autant y aller au décapant ; le même avec lequel il aura fallu me laver les yeux à force de voir ce que j'aurais lu ici.
M'estimant scrupuleux dans mes analyses, je pense avoir décelé chez Captain Tsubasa une apologie déguisée du dopage. Nous présenter ces collégiens aussi gnangnans que virtuoses revient à nous suggérer implicitement que ceux-ci étaient chargés comme des mules d'un bout à l'autre de l'œuvre. Il n'y avait pas que de la gnôle dans les bouteilles de Roberto et mon petit doigt me dit qu'il devait faire tourner son fortifiant avant chaque match. Parce qu'entre nous soit dit, même la potion magique de Panoramix ne créé pas de pareils prodiges. Rien que mon imagination peine à seulement appréhender ce que j'ai pu contempler à chaque match.
Takahashi n'aura pas attendu le stade de la démesure avant de s'abandonner à la déconnade ; la folie des grandeurs, il l'institue dès le premier chapitre. Quand, du haut de la colline, à plus d'un kilomètre de distance, Tsubasa aura envoyé le ballon jusqu'à atteindre précisément là où se trouve Genzô, j'ai su que ma lecture promettait d'être particulièrement instructive. Pénible, mais instructive. Instructive comme pourrait l'être une visite gratuite au musée de la folie douce.
Les joueurs-vedettes de chaque équipe surclassent déjà - et de loin - le premier ballon d'or venu sans avoir à forcer au niveau des mollets. À onze ans, rappelons-le.
Et le dessin ne se foulera pas pour nous offrir une expérience qui, à défaut d'être crédible, pourrait au moins s'avérer plaisante pour les yeux. Ce qui nous est délivré ici n'est ni plus ni moins que la génération de dessin Shônen qui aura succédé à ce qui se faisait chez Go Nagai. Takahashi, sur le plan graphique, joue des coudes avec Kurumada. Ce qui, en soi, n'est pas la plus insigne performance à laquelle puisse aspirer un mangaka, même à l'époque.
Soyons clairs et parlons sans ambages ; c'est plutôt hideux. Ça n'a pas même le mérite de faire dans l'originalité ou de redresser le moindre standard de l'époque. Entre les jambes disproportionnées par rapport au reste du corps ou les têtes aplaties des joueurs qui se ressemblent tous (je me refuse à toute remarque raciste sur les asiatiques), il y a davantage de raison de se moquer que de s'en satisfaire.
Mais aussi longtemps que le visu des confrontations sportives délirantes n'est pas entamé, je suppose qu'il n'y a pas de raison de grogner. Pas à cause du dessin en tout cas.
Car, si sur le plan du dessin Captain Tsubasa n'a certainement pas de quoi subjuguer, l'inventivité sans borne de son auteur mise à contribution de ses fantasmes sportifs abracadabrants ne connait aucun égal. Dieu merci.
Je rapporterai pêle-mêle une liste non exhaustives de toutes les dingueries auxquelles s'adonnera une narration que je suppose désabusée à force de rapporter de pareilles trouvailles : un joueur sautant au-dessus des autres pourtant debout, des tirs arrêtés d'une main sans bouger de sa position simplement en tendant le bras, des reprises de volées, des ciseaux retournés la tête en bas en veux-tu en voilà, des retournées acrobatiques comme s'il en pleuvait, des joueurs qui prennent appui sur le poteau pour bondir, des duels de tir dignes de conflagrations entre deux Kaméhaméhas, des gardiens de but projetés dans leurs cages par un tir qu'ils ont arrêté, un rondin pété en deux d'un coup de pied, et je préfère ne même pas mentionner les jumeaux Tachibana de peur de céder à une crise de nerf intempestive. C'est pas tant un manga de sport que de science-fiction. Et encore, même en admettant ce registre, je trouve qu'ils vont beaucoup trop loin.
Quand la folie est poussée jusqu'à de tels retranchements, l'esprit ne peut plus suivre.
La personnalité de la plèbe ambiante correspond à ce que l'on peut espérer de gamins niais aux yeux recouvrant la moitié du visage ; des yeux surplombant un large sourire bouche ouverte constamment accroché à leur mâchoire... C'est là aussi un festival qui s'organise, et pas celui du bon goût, vous m'aurez compris. Des machines avec au mieux deux variables implémentées dans leur programmation ; l'une exubérante, l'autre geignarde, mais la bouche grande ouverte, toujours ; c'est à peu près tout ce qu'on peut attendre des personnages mis en scène. Considérant tout ce à quoi nous avons eu droit jusqu'à lors, nous pouvons presque considérer cela comme un moindre mal.
Ces personnages, l'auteur ne se donnera même pas la peine de les présenter, encore moins de les approfondir. Si ce n'est le nom d'Ishizaki de l'équipe Nankatsu (celle du personnage principal), vous peinerez à en retenir seulement deux autres en supplément. Les dessins n'aident d'ailleurs pas à les distinguer pour la plupart.
Non, plutôt que des personnages construits, on enchaîne plutôt les rivaux - dont un ou deux notoires par équipe de onze. Des rivaux qui, en dehors de Genzô et Hyuga, sont interchangeables et si faciles à oublier que le règne de l'éphémère ne m'aura jamais paru aussi resplendissant. Un règne que je croyais parti pour durer mille ans. Il s'est heureusement arrêté à trente-sept tomes qui m'auront toutefois parus aussi longs.
Quel intérêt - encore une fois - de suivre les aventures du personnage le plus fort du manga ? Tsubasa coiffe tout le monde au poteau et accomplit des acrobaties que même le cirque du soleil ne se risquerait pas à accomplir. Une défaite face à Hyûga ? Mais ce n'est que pour mieux prendre sa revanche ; l'occasion pour l'auteur de donner le change l'espace d'un instant en espérant que le ratio absolument hallucinant de victoires et de défaites paraisse moins dément. La Nankatsu ne perd que quand cela lui est permis par la trame, jamais dans les situations critiques.
Plus dingue encore que les contorsions lunaires des joueurs sur le terrain, l'absence totale d'informations relatives au football. Le sport n'était que très peu connu au Japon à l'époque - les veinards - mais ce ne sera pas pour autant que l'auteur se donnera la peine d'en apprendre davantage à ses lecteurs. Un sport inconnu comme le football américain aura été, avec Eyeshield 21, développé étape par étape, les règles se dévoilant au lecteur en commençant par les bases jusqu'aux strates les plus complexes. N'y comptez pas ici.
Pour ceux qui n'ont jamais su ce qu'était un hors-jeu ni compris la différence entre un ailier et un défenseur, vous ne bénéficierez ici du moindre enseignement susceptible d'éclairer votre lanterne. Vingt-deux cons tapent dans une balle, vous n'en saurez pas plus. En même temps... ce constat vulgaire est-il donc si éloigné de la réalité ?...
Et pour voir jouer ces collégiens dopés jusqu'à l'os - ne prétendez pas le contraire - les stades seront plus remplis encore que le Parc des Princes. Parc des Princes dans lequel ces avortons finiront même par jouer en compétition mondiale. Je m'étrange rien qu'à l'écrire tellement Takahashi ne se doute de rien en écrivant sa partition le plus tranquillement du monde. À lire Captain Tsubasa, on a envie de s'excuser auprès d'auteurs de purges qu'on pensait être allés trop loin dans ma démesure ; force est de constater que tous étaient des petits joueurs comparés à Takahashi.
Au final, ni la mise en scène ni la ridicule performance sportive ne séduisent dans un manga sportif qui... repose essentiellement sur ces deux dynamiques. Quand les joueurs ont épuisé tout le répertoire des pirouettes improbables que même les gymnastes endurcis ne pourraient accomplir au risque de se rompre le cou, on ne peut pas aller plus loin que ne le permet l'imagination et le manga stagne très rapidement sur ses acquis démentiels. Si ce n'est un tir au but produisant une explosion atomique, il n'y a rien que les joueurs n'aient pas déjà fait sur ce terrain.
Alors, pour compenser maladroitement, les matchs sont évidemment de plus en plus longs et fastidieux, forçant la surenchère de démesure à se poursuivre jusqu'à des strates inimaginables pour ne pas dire inqualifiables.
Et de démesure en démesure, la scène internationale s'ouvre à nos acrobates. Ça n'avait pas réussi à Eyeshield 21, mais fort heureusement, Captain Tsubasa a la chance d'avoir été trop mauvais en premier pour tomber de haut. Un titre mondial qui leur sera bien évidemment servi sur un plateau d'argent par une intrigue écrite d'avance. J'aurais tant aimé que le manga se clôture sur un contrôle anti-dopage... À la place, les héros ont grandi, ils tracent leur voie qui les mène évidemment vers le football car rien d'autre ne les préoccupe. La fille inutile - une convention Shônen qui aura été ici admirablement respectée - dit à Tsubasa qu'elle l'attendra et ce dernier s'en va vers de nouvelles aventures footbalistiques.
Captain Tsubasa aura au moins eu le mérite de me faire rire à ses dépends. Un vrai nanar adapté en version papier, voilà ce que c'est. Le manga peut valoir la lecture à ce titre et à ce titre seulement.
On lui trouve chez nous un charme certain pour avoir bercé - et traumatisé - l'enfance de beaucoup grâce à son adaptation animée, y compris la mienne. Mais la nostalgie n'a strictement aucune emprise sur moi et je ne peux de ce fait éprouver la moindre forme de respect à l'égard d'une œuvre si abrutissante qu'elle m'aura amené à penser que même le pauvre football - que j'ai pourtant en horreur - ne méritait pas un tel traitement.