Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je n'aime pas grand chose. Mais celui-ci je m'en souviens et je m'en souviendrai peut-être encore après ma mort.
En ce temps-là, je m'essayais aux mangas. Ma première vraie série, c'était Naruto que j'avais commencé deux ans auparavant. Faut pas croire, j'étais précurseur à l'époque puisque seulement les seize premiers tomes étaient écoulés en France. Néophyte, peu versé dans les choses de la «japoniaiserie» comme les qualifient les gens de goût et d'égouts, j'ai pioché Hunter x Hunter comme j'aurais pu opter pour n'importe quelle autre purge à la sauce Shônen. Il n'y en avait pas non plus tant que ça à l'époque. Non pas que c'était mieux avant, c'était juste trop tôt pour amorcer la décadence.
Mon dévolu, j'en récoltais les fruits quelques jours plus tard alors que je déballais mes cadeaux. Les tomes un, trois et quatre. Y'avait pas le deux. Pas ça qui m'a empêché de lire.
Ce jour-là, alors que les convives discutaient et buvaient à côté, je découvrais. Ma joie ? Y'a pas un instrument de ce monde ou d'un autre qui aurait pu la mesurer ; elle crevait le plafond. J'étais comme ces explorateurs des siècles passés qui, par hasard, tombaient nez-à-nez avec un nouveau continent. Y'avait de quoi être jouasse, parce qu'une telle découverte, y'en aurait pas d'autre qui risquaient de poindre de si tôt. Une sensation comme celle qui s'est emparée de moi ce jour-là, ça ne se décrit pas, y'a pas un superlatif suffisamment puissant pour seulement suggérer le millième de sa teneur. C'était une nouvelle drogue que je m'étais mise dans les yeux, j'étais accroc et je le suis toujours ; j'avais ouvert le premier tome de Hunter x Hunter.


Jeudi treize avril deux-mille-six, c'est inscrit en lettres d'or dans ma fiche S soigneusement rédigée par la DGSI, parce que c'est à cette date précise qu'on peut situer les origines de ma radicalisation ; l'étincelle à la source du brasier de mon fanatisme. Habituellement, le fanatique n'admet jamais qu'il en est un. Il se trouve mille prétextes pour se donner une autre dimension. Il faut dire que c'est par folie douce qu'il cède au fanatisme. Pas moi. Je n'ai jamais été aussi lucide. Mon fanatisme, il est raisonné, clairvoyant. Je n'ai jamais vu aussi clair depuis que j'ai découvert HxH et ce, même à force de m'user les yeux sur ses planches délectables.
Il faut dire que l'œuvre intime au fanatisme. On n'aime pas Hunter x Hunter à moitié, la tiédeur n'est tout simplement plus de ce monde quand on en effeuille les tomes. Voilà une œuvre qui vaut chaque cause et écrase toute idéologie car la seule qui vaille. Alors, aux barbus archaïques de tous les déserts, aux croisés de la dernière heure, à ces zélés zélotes d'une terre qu'on disait sainte, aux matérialistes, aux spirituels, aux spiritueux, aux affidés de toutes les extrémités je dis, «oubliez vos idoles». Que ce soient les religions abrahamiques en trois volumes, Mein Kampf, le Talmud ou le Petit Livre rouge entre autres joyeusetés, tous devront laisser leur place dans la bibliothèque. Togashi, par ses œuvres, vaut l'exclusivité de la ferveur et la passion du genre humain. Si nous ne devions nous référer qu'à une idéologie, une seule, ce serait celle-ci. On s'entre-tuerait toujours au nom de cette dernière, mais au moins, nous le ferions pour de bonnes raisons.


J'en ai pas l'air comme ça alors que j'en appelle quasiment à la guerre sainte sur SensCritique, mais je suis un homme dépassionné pour tout ce qui n'a pas trait aux saines et saintes esquisses de Yoshihiro Togashi. Y'a Hunter x Hunter et y'a le reste. Le reste, je l'aborde sereinement en temps normal. En vérité, il n'y a pas plus arrangeant que moi, je reste toujours disposé à discuter et même à me remettre en question.... mais sortez-moi un volume de HxH sous le nez et l'exaltation prend le dessus. On ne lutte pas contre la nature et la nature, elle me commande naturellement d'aimer ce qui est bon et d'adorer ce qui l'est plus encore. Et Hunter x Hunter, c'est encore au-delà de l'adoration. Alors j'exalte, alors j'exulte, ma raison cède au sectarisme le plus obscur et justifié ; Qu'on émette la plus infime réserve sur la grandiloquence de la moindre case de Hunter x Hunter et je fais pleuvoir malédictions et fatwahs. À le lire, j'en ai perdu la raison, conservant néanmoins les bribes de lucidités nécessaires pour en avoir conscience. Mais à ma lucidité d'antan, je lui préfère cette partialité aveugle - mais raisonnée - car celle-ci me fut délivrée avec la plus insigne et somptueuse composition Shônen jamais révélée.
HxH, y'a pas de mot pour dire qu'on l'aime, y'a plus de mot ; on entre dans le mystique, ce qui est de ce monde ne suffit pas à aborder le génie créatif de l'œuvre. Notez que ça ne m'empêchera pas d'essayer.


Contester la qualité et l’originalité flagrante de HxH n'est pas une opinion pour un exalté de mon bord ; c'est un sacrilège. Un sacrilège qui ne peut guère être motivé que par l’arriération mentale car il n’y a tout simplement pas de débat à avoir sur les faits. Ce que j’ai en dire n’est pas le fruit d’un jugement, c’est la Vérité avec un «V» majuscule, celle qui ne saurait être contestée à moins de vouloir finir planté sur un bûcher ardent. Saine Vérité que celle-là.


De Hunter x Hunter, quand on en fait la critique, on est forcé d'en faire la rétrospective. Oublier de mentionner quoi que ce soit pour en établir l'absolue majesté serait impardonnable. De Hunter x Hunter, je n'en dirais jamais trop ou assez ; c'est la portée du verbe et la variété du vocabulaire qui finira par me brider alors que j'en chanterais volontiers ses louanges jusqu'à m'en faire saigner la langue. Une lecture d'un pareil monument ne vous quitte jamais. On n'oublie déjà pas l'excellence, alors la perfection....


Et la perfection commence ici par le doigté d'un dessin qui, lui non plus, n'est pas de ce monde. Je n'ai pas peur de l'écrire - d'autant que je ne risque rien à le faire - et je n'hésiterai pas à le scander chaque fois que l'occasion m'en sera donnée ; Togashi a au bout de son crayon le plus fabuleux style Shônen au monde, ne souffrant pas même du moindre rival en la matière. De son empreinte graphique seule, il surplombe ses concurrents passés, présents et à venir.
Ses seules carences, il les doit à son incapacité d'avoir pu suivre son rythme de publication, accablé qu'il est par une colonne vertébrale fébrile qui n'aura pas su porter le génie écrasant de l'homme. Cela se borne à quelques chapitres notoires (le 337 plus particulièrement) et ne saurait en aucun cas être représentatif d'un tout.
Cette considération écartée d'un revers de la main (je ferai remarquer au passage que ceux qui n'ont lu que les scans des chapitres de l'époque ignorent que la plupart d'entre eux ont été retravaillés pour les volumes reliés), j'ajouterai que Yoshihiro Togashi possède à la fois le style le plus élaboré et le plus fonctionnel qu'un Shônen puisse employer au service de son œuvre. Que ceux qui prétendent que l'auteur est incapable de dessiner ouvrent un tome de Level E un jour prochain pour voir jusqu'où s'oriente l'étendue de son potentiel graphique. Votre pénitence, vous la passerez à genoux, à vous flageller et hurler «mea culpa» jusqu'à épuisement total.
Fonctionnel, son trait l'est de fait. Il est la parfaite optimisation d'un style de dessin simple et articulé avec minutie à une brutalité et un réalisme de ton splendidement débardé. Un dessin inégal parce qu'il se veut inégal, alternant entre des crayonnés paisibles et épurés ainsi que des planches de légende d'où la plus délicieuse sauvagerie cinglante paraît avoir été peinte depuis le sang et l'âme de son auteur. Fonctionnel au point où ceci amènera le plus naturellement du monde à cela ; HxH jonglant avec les registres graphiques sans jamais trahir sa nature. Un dessin qui aura en plus tendance à se perfectionner, à se bonifier comme le bon vin, justifiant qu'on patiente des années d'ici à ce qu'il en savoure la prochaine cuvée.


Du reste, la mise en scène est époustouflante. Rien de ce qui n'aura été fait ici en la matière n'a été fait ailleurs. Avant Togashi, personne n'y avait pensé, après lui, personne ne fut même capable de le copier. Les plus grands de la photographie et du cinéma auraient toutes les raisons du monde d'avoir des complexe pour peu qu'on leur remette un jour un tome de Hunter x Hunter entre les mains. Rien qu'à essayer de décrire l'ordonnance agencée par Togashi, le dictionnaire des adjectifs ne m'est plus d'aucun secours. C'est au-dessus de tout, y compris du verbe.
Le génie du dessin et de son orchestration n'est pas diffus ; il nous explose à la gueule de page en page. Que ceux qui ne le voient pas se crèvent les yeux car ils n'en ont manifestement pas le moindre usage.


Hunter x Hunter, c'est d'abord un postulat simplissime. D'une simplicité biblique ajouterais-je si je voulais - et je le veux - forcer le trait quant à la teneur véritable du manga qui n'est décidément pas de ce monde.
L'entrée en matière de l'histoire est d'une célérité confondante ; je n'ai jamais vu ça dans un Shônen ou ailleurs. L'auteur sait d'où part son histoire et surtout, là où elle se rend ; il ne tergiverse pas à savoir s'il prendra ou non le sentier puisqu'il s'y est déjà engagé, connaissant sur le bout des doigts le cheminement qu'il emprunte. Quand les auteurs de Shônen - entre autres - tournent autour du pot à définir leur identité et ne pas savoir où aller, Togashi fonce. Sur une piste de course, là où tous les concurrents en seraient à trépigner deux mètres après les starting-blocks, Yoshihiro Togashi aurait été sacré champion du monde à suivre la voie qu'il s'était tracée.


Le vif du sujet, on entre dedans, on tranche dedans à une vitesse éblouissante sans rien oublier. La promptitude de sa course dans l'intrigue, l'auteur ne la confond pas avec une hâte erratique ; tout ce qu'il entreprend, il le fait vite et bien, s'appesantissant pourtant souvent afin de planter un décor riche et prolifique. Il est ce coureur de mille mètres qui, sachant qu'il sera de toute manière premier sur le podium, s'arrête un temps pour contempler les fleurs. J**amais auteur n'aura été aussi sûr de lui-même en ayant autant de bonnes raisons de l'être**.
Tout dans ce départ nous fait savoir que nous lisons un Shônen, du jeune garçon innocent sans parents à son objectif typiquement Nekketsu ; et pourtant, ce sentier que nous pensions connaître par cœur, il coupe cette fois à travers une forêt sombre et terrifiante dont on ne soupçonnait pas l'existence. La bonhomie Shônen trempée dans l'horreur d'un monde impitoyable, voilà pour résumer le ton d'une intrigue qui ne cessera de nous surprendre pour le meilleur. Cela, je l'ai su alors que je refermais le premier volume sur un des massacres exquis et coutumier d'Hisoka dont la menace m'apparaissait évidente dès son introduction ; ce que la suite s'emploiera à me démontrer.


Hunter x Hunter et la violence, une relation fusionnelle que rien ne saurait séparer. Pas de violence gratuite, de la violence vraie, brute et hors-les-murs. On souffre pour ceux qui saignent mais on se délecte de les voir subir. Oui, ici, la violence - avec du gore plutôt occasionnel - y outrepasse très largement le cadre rigide habituellement fixé pour tout auteur de Nekketsu. Yoshihiro Togashi n'aurait pas été cet auteur d'un premier succès mondial que la Shueisha ne lui aurait sans doute jamais accordé tant de largesses. Et pourtant, ce sang qui coule, il y a toute sa place. Togashi aura - en bousculant le genre sans l'égratigner pour autant - démontré qu'un contenu plus mature est on ne peut plus désigné pour un Shônen devenu trop mièvre et bon enfant. Le Shônen, avant d'être ce qu'il est devenu, c'était aussi Ashita no Joe ou Devilman ; des œuvres qui, si elles étaient écrites aujourd'hui, seraient refusées par le Shônen Jump car trop pesantes pour un lectorat qu'ils supposent - à tort - fébrile et innocent.


HxH n'est ni plus ni moins qu'un Shônen qui empiète sur les terres du Seinen sans jamais franchir le pas et renier sa fibre Nekketsu, non pas plus effacée mais autrement plus élaborée que celle de ses congénères. Cette frontière qui sépare deux catégories, il l'effleure en marchant sans dévier le long d'un tracé qui sépare deux mondes. Ces deux mondes, il en fait la synthèse, la jonction et la sert à un public plus jeune apparemment très demandeur de la chose.


Hunter x Hunter c'est sombre et ça ne cherche pas à le forcer, ça se contente d'être pour se suffire à son génie. La mort abonde et ne précède pas l'émotion ; c'est un monde impitoyable dans lequel on fraye prudemment, savourant chaque pas que l'on effectue en espérant qu'il ne soit pas le dernier. Qui, à part Togashi traite de la mafia sans caricature ni complaisance ? Le réalisme du traitement des sujets abordés est si époustouflant qu'on le jurerait sorti d'un Seinen. Un excellent Seinen. Hors des sentiers battus ? Mais c'est même au-delà de ça ; des sentiers, il n'y en a plus, nous avons carrément viré d'un continent à un autre, un autre continent inexploré dont nous ne mesurerons jamais assez l'étendue des richesses qui y sommeillent et s'y révèlent.
Plus on en découvre, plus il y en a. Togashi ne peut pas faire dans la répétition puisqu'il a sans cesse de nouvelles idées. Qui aurait pu s'imaginer s'embarquer dans des aventures passant d'un examen à des ventes aux enchères mafieuses précédant une incursion dans un MMORPG, s'enchaînant sur la chasse d'une nouvelle espèce au milieu d'un contexte politique tendu, prélude à une élection, cette dernière résultant sur une guerre sournoise de succession pour aboutir enfin sur un monde nouveau ? Ce n'est plus des cordes que cet homme là a à son arc, c'est une harpe ; une harpe d'où la mélodie enivrante qu'il entame du bout des doigts ne peut que séduire qui a une cervelle correctement irriguée par un cœur qui bat alors plus fort que jamais.


Togashi, c'est le renouveau du Shônen. Reprendre tous les codes, n'en trahir aucun et sublimer chacun pour l'adapter à un registre nouveau et mature. Travail autrement plus ardu et requérant une habilité bien plus certaine et considérable qu'il ne fut nécessaire pour la rédaction d'un Pluto, seul autre exemple du genre, lui, beaucoup plus poussif dans son agencement.
Renouveau peut-être, mais un renouveau qui s'en tiendra à son avant-garde qui ne peut être suivie par la piétaille qu'il distance un peu plus à chaque nouveau chapitre. Hunter x Hunter n'a pas à être un modèle pour les Shônens, pas plus que Michelange ne devait en être un pour les peintres de sa génération ; un génie, ça n'instaure pas les tendances, ça les bouscule sans vergogne avant de laisser chacun ébahi par le tracé de son sillage. HxH est un accident de l'histoire du Shônen, un accident heureux que personne parmi ses pairs ne saura jamais réitérer.
Togashi, en peignant son œuvre comme il l'a fait, n'était pas seulement au-dessus de tout et tous, il avait quitté ce plan spatial et temporel pour atteindre des strates que nul ne saurait atteindre ou même seulement envisager. Devant une étoile filante, on ne cherche pas à comprendre le pourquoi du comment ; on fait un vœu et on s'estime heureux de l'avoir aperçue.


«Du Shônen, je prends tout» aurait pu s'exprimer Togashi par un de ces apophtegmes célèbres et apocryphes. Trop humble, il ne l'a pas dit. Il l'a pensé en tout cas. Il l'a conçu et élaboré. Qu'est-ce qui distingue Hunter x Hunter du Nekketsu d'usage ? Rien. Rien, et tout**. Du Nekketsu, il en reprend la charpente pour construire par dessus un édifice plus splendide et mirifique encore que nos yeux ne sauraient le supporter tant la perfection étincelle au point de nous aveugler**. Certains soupirent alors que je me répands en hyperboles et exagérations de toute sorte pour magnifier ce qui ne peut pourtant l'être davantage ; mais que ceux-là ne s'y trompent pas, je suis encore en dessous de la réalité. Tellement en dessous...
Cette base typique des Shônens des temps passés et même actuels, Togashi l'accepte. Il l'accepte d'autant plus volontiers qu'il s'est assuré lui-même de ses finitions au cours de la décennie quatre-vingts-dix avec Yuyu Hakushô, Nekketsu parmi les Nekketsu s'il en est. Mais cette fois, il est allé plus loin. Plus loin que n'importe quel autre auteur ne pourrait jamais aller. Loin dans la grandeur et non dans la bassesse coutumière de ses pairs.


Ces personnages principaux par exemple, qui sont-ils si ce ne sont les archétypes moulés et pré-fabriqués inhérents au genre ? Gon, le héros pur et innocent à la fringale vorace, Kirua, le pendant maléfique mesuré comme on peut en retrouver d'habitude chez le plus proche allié du héros, Kurapika, le ténébreux s'illustrant par son calme et sa sagesse, Leolio, le bouffon expansif au cœur d'or et Hisoka.... un cas particulier.
Pire que de simples archétypes, ce ne sont ni plus ni moins que les resucées du quatuor de sa dernière œuvre. Gon est Yusuke (bien que Gin lui ressemble plus encore), Kirua pour Hiei, Kurapika pour Kurama et Leolio pour Kuwabara. Quant à Hisoka... je maintiens et j'insiste... c'est un cas à part.
Et pourtant, s'ils ne sont que ça... ils ne le seront que d'ici à ce que la façade ne s'amoncelle sur les fondations. Ils ne sont basiques que parce qu'il faut une structure de base pour soutenir tous les plus grands monuments. De cette base, de ce rien, Togashi en fera un tout complet qui ne souffrira d'aucune carence.



  • Gon.


La pureté et l'innocence, voilà des caractéristiques qui ne peuvent en appeler instinctivement à la bonté véritable. Croyez-vous que cela empêchera l'auteur de révéler des nuances autrement plus subtiles de ces bêtes attributs ? Sa pureté, son innocence, Gon ne la doit pas à sa bonté d'âme mais au fait qu'il soit profondément amoral. Zepairu (j'emploie le nom des personnages issus de traduction kana qui vaut ce qu'elle vaut...) le dira le plus justement du monde pour que le lecteur prenne la mesure de qui il a affaire ; Gon n'a aucune notion du bien et du mal. C'est en ce sens qu'il est redoutable et terrifiant. À Meleolon de rajouter devant une colère de Gon que ce dernier a un potentiel infini. Gon ne se met pas tant en colère par sentiment de justice que par caprice ; c'est un enfant qui a le cœur là où il faut mais un enfant tout de même avec ce que cela suppose d'immaturité. Sa colère se trouve aussi pure et immaculée que peut l'être sa douceur. Ce n'est pas une saine colère que la sienne ; il menacera de tuer une innocente si l'on venait à refuser de combattre contre lui.
Quand il se perd dans sa haine, Gon va plus loin que n'importe quel autre protagoniste Shônen aux joues roses ; il n'est pas ce gentil garçon bienveillant et avenant, mais un animal sauvage. Il n'y a pas plus innocent qu'un animal, ces derniers étant dépourvus de la moindre mauvaise intention... ce n'est pas pour autant que cet animal ne vous mordra pas jusqu'à ce que mort s'ensuive pour peu que son instinct ne lui commande.



  • Kirua


Végéta, Saito, Sasuke, Ikki, Tao Ren, Ban, Hibari... on ne les compte plus ces alliés du personnage principal à avoir en eux une part d'ombre. Ils sont habituellement très appréciés par les lecteurs qui saturent de tous ces bons sentiments mielleux et dégustent - dès qu'ils le peuvent - le semblant de nuance de caractère qui leur est accordé par ce biaus.
Un «méchant» dans le camp des «gentils», ça contraste sans jurer et surtout, ça plaît. Kirua n'est pas mauvais. Je vous épargne la thèse constructiviste de «C'est pas sa faute, il a eu un environnement familial difficile», mais il s'émancipera de ce qu'il était alors pour se dédier corps et âme au seul ami qu'il ait jamais eu. Manipulé par une famille trop protectrice à son endroit, il surmontera tout ce qui le séparait de l'idéal qu'il souhaite devenir. Lui n'a pas de posture maléfique pour le plaisir de l'afficher, il souhaite s'en extraire, être un ami et un camarade digne de ce nom, surpasser ce qu'il était alors. Et en ce sens... il poursuivra la trajectoire exactement inverse que celle de Gon. Alors que Kirua se construit et même se reconstruit pour devenir un garçon accompli jurant autrement que par le meurtre, Gon descendra lentement vers les enfers, en silence, suivi par cet ami trop fidèle pour oser lui dire qu'il se fourvoie et qui regrettera sa tempérance.
Ceux qui veulent voir en lui un personnage sombre et cruel ont de la merde dans les yeux, jamais personnage de Shônen n'aura tant lutté contre lui-même - et sa famille - pour atteindre un idéal digne et respectable. Tous se contentent habituellement de l'état de fait et se satisfont aisément de leur personnalité. Kirua se sera battu contre ce qu'il est sans que jamais l'auteur ne s'abaisse à la classique représentation allégorique et personnifiée de sa part d'ombre maléfique. Son évolution se fera lente et graduelle comme pour celle de n'importe quel homme se reconstruisant après un trauma. Pas de Flash-Back (inutile pour qui sait écrire un récit), pas d'introspections creuses et stériles... il avance et évolue au gré de ses expériences, pas à pas, pour surpasser ce qu'il a été sur le plan humain.



  • Kurapika


La voix de la sagesse écrivais-je. Il l'incarnera.... à temps partiel. Kurapika réserve ses colères. Leur exclusivité est attribuée à un groupe de personnes très retreint... mais quand ceux-ci y font face, alors ils mettent un visage sur le concept même de la haine. Sans un cri, sans une hystérie et sans baver, droit et digne, les dents serrées, Kurapika exprimera plus de ressentiment et de colère que n'ont pu le faire tous les personnages de Nekketsu réunis. Le fruit de sa colère, il le récolte et le dévore à pleines dents en sachant qu'il le tuera ; toute colère n'amène qu'à son auto-destruction, Kurapika le sait et l'accepte sereinement.
Sa haine est réfléchie ; la voie de sa vengeance ne se prolongera que jusqu'à sa tombe. Il sait qu'il en crèvera, acceptant peu à peu de ne plus être que cet automate froid prêt à s'autodétruire pour accomplir une lubie qui n'a plus de raison d'être. C'est malgré lui qu'il est redevenu humain en se confrontant à autant de personnes qu'il peut compter parmi ses amis, c'est en leur nom qu'il aura compromis son sacerdoce à plusieurs reprises. Kurapika n'a qu'un destin tragique tracé par son sang mêlé à celui de la Brigade qu'il emportera avec lui dans la tombe sans jamais s'être soucié de la postérité de son œuvre. Il est le plus fou de tous les sages ou le plus sage de tous les fous et on devine aisément, à la mesure de ses sacrifices - à commencer par celui de son Emperor Time - que son périple s'achèvera plus volontiers dans un charnier qu'il aura lui-même creusé que sur une chaise longue à se prélasser.



  • Leolio


Le moins mis en avant et par conséquent le moins développé. Immature, il ne l'est que pour le plaisir de la farce. C'est l'aîné des quatre, finalement le plus pondéré et peut-être le plus intelligent, le seul adulte respectable en réalité. Un homme à l'ancienne qui pose ses couilles sur la table sans trop réfléchir aux conséquences de ses actes mais récoltant le fruit de son courage. Bien au-delà de cette figure de bouffon qu'il s'est donnée à ses débuts, il est peut-être la réelle voix de la raison du groupe, son verbe portant plus haut que celui de Kurapika.



  • Hisoka


Il a beau être une figure d'antagoniste récurrent, sa récurrence équivaut presque à celle d'une exposition seulement valable pour les protagonistes principaux. Un personnage trouble et monomaniaque, quelque part puéril car n'ayant en tête que le plaisir de se battre contre autant d'adversaires puissants qu'il pourra en rencontrer. Le combat, c'est son vice, et le combat, il n'y a que ça qui compte pour lui. À force, il n'est presque plus qu'un fléau sourd et aveugle s'abattant sur tout ce qui lui permettrait de lui offrir l'excitation et le frisson du combat. Un drogué de la baston qui, au fil des doses, a besoin de s'en mettre plus dans les veines pour continuer de ressentir l'exaltation. L'excitation pour la chose est même telle qu'elle se confond avec ses pulsions sexuelles, comme si toutes les passions de la chair ne faisaient plus qu'un avec la frénésie du combat. Cela le mènera loin, au moins jusqu'à sa tombe.
Que son destin s'entremêle périodiquement avec celui des protagonistes fait presque de lui l'un d'entre eux. Lui, comme les autres, est issu de la même promotion Hunter, avec eux, il contribuera à ébranler la Brigade le temps des enchères de York Shin et poussera le vice jusqu'à prêter main forte à Gon et Kirua le temps d'un match de balle-au-camp que retiendra la légende.
Ce n'est pas un bourrin que je vous présente-là, mais un être sophistiqué et réfléchi. Le combat, il ne s'y jette pas à corps perdu, il le révère comme un peintre sait aimer l'art et le sublimer. Lui ne peint qu'en rouge. Hisoka n'est certainement pas impatient, laissant mûrir Gon et Kirua d'ici à ce que ceux-ci soient dignes de lui offrir un combat mémorable. Un personnage profondément retors que tous ne pourront pourtant s'empêcher d'aimer.


Il y a tant à dire sur chaque personnage de Hunter x Hunter et j'ai rédigé si peu, me contentant simplement de l'essentiel, des grandes lignes. Détailler mon amour raisonné pour l'œuvre, cela équivaudrait à rapporter, chapitre par chapitre, planche par planche, case par case, les raisons objectives pour lesquelles tous n'ont pu émerger que du cerveau d'une imagination si géniale qu'elle confinerait au diabolique. L'apaisement de l'âme qu'en suggère la lecture évoque toutefois qu'elle a trait au divin.


Derrière ces personnages principaux à la richesse inouïe dont on ne saurait jamais assez en prospecter le contenu, on s'imaginerait que les personnages secondaires, écrasés par de telles personnalités, ne pourraient être qu'effacés, faire place. Et c'est là où même le génie ne suffit plus à expliquer le potentiel révélé de Yoshihiro Togashi. Chaque personnage, fut-il secondaire ou tertiaire, sort du lot. C'en est affolant à force. Affolant car, on en est à se demander comment le plus insignifiant personnage peut dégager de lui une telle envergure. Ne serions-nous pas en train de le lire que nous ne penserions pas que cela tienne du possible.
Parce qu'ils seront légions ces personnages secondaires, légions... et très souvent au devant de la mise en scène.


Togashi est véritablement un virtuose de l'écriture ; chaque pan de son œuvre étant un concentré d'élaboration d'écriture synthétise derrière autant d'avatars que sont les personnages et l'intrigue.
Un monstre d'écriture, un monstre devant lequel on ne peut trembler que d'excitation d'abord et de stupeur ensuite ; comme Meleolon présenté à l'aura de Gon, le potentiel de Togashi nous apparaît infini. Et, quand l'infini écoule ce qu'il a de latent sur le papier, il fout le vertige.
Voilà un auteur audacieux qui se refuse au fan-service et qui laisse sous le boisseau près de dix ans deux de ses personnages principaux ; Togashi accorde trop la part-belle - et à raison - à ses personnages secondaires pour ne laisser briller que ses protagonistes principaux. Un équilibre et un partage de l'exposition comme on l'aime, et on ne l'aime que mieux alors que chaque personnage déballé est une délicatesse de gourmet.
On tombe de haut, mais on tombe vers le Sommet dans une chute qui ne paraît jamais en finir. Une prise d'altitude comme celle que permet Hunter x Hunter, ça transcende de si loin la stratosphère qu'on oublie que cette dernière ait existé un jour. Des comparaisons ? Mais il ne peut tout simplement pas y en avoir ; Togashi est hors-concours, hors de tout ce que ce monde peut simplement affecter et saisir ; il est Au-delà avec une majuscule, là où on ne peut l'atteindre, là où on crève d'envie de le rejoindre.


Oui, vraiment, du Shônen, il aura tout pris, même l'amitié. Je l'avais en horreur à force. Cette amitié sirupeuse et factice qui tient en réalité à si peu de choses au point de nous apparaître purement artificielle - ce qu'elle est au demeurant - est, sous la plume de Yoshihiro Togashi, la plus belle relation humaine qu'il nous soit permis de voir à l'œuvre. Dans Hunter x Hunter, on ne crie pas à l'amitié, on la suggère, pudiquement. Une amitié qui ne repose pas juste sur la complicité d'un instant ; sont nos amis ceux qui partagent nos joies et nos tourments, rares sont ceux en principe à en avoir l'exclusivité. Le discours que Kirua tiendra à Ikarugo quant à l'amitié qui les unit vaudra tous les traités philosophiques accolés à cette notion. Si vous avez rêvé un jour de voir une amitié dans un Shônen sans jamais avoir envie de baffer ses protagonistes, Hunter x Hunter est un incontournable. Pour cela et pour tant d'autres choses.
Même à l'amitié il lui a redonné ses lettres de noblesses... y a-t-il une chose - une seule - que Yoshihiro Togashi ne sache pas sublimer ? Un fanatique vous répondra que «non», un homme avisé fera de même.


Je ne sais où s'arrête le génie de Togashi. On le constate, on le parcoure, on cherche ses limites, mais il persiste à continuer indéfiniment dans chaque direction. Il rompra avec la stupide tradition du Nekketsu prévoyant que les antagonistes contre lesquels on se confronte ne sauraient être que plus puissants. Pareil stratagème contraint bien souvent à la surenchère, la démesure et.... la tour de Babel ne s'érigeant que trop haut, finit immanquablement par se casser la gueule.
Pas de tracé exponentiel de la courbe de puissance qui tienne. Ce sera une montagne russe. Dans HxH, on ne se bat pas contre le plus fort mais contre le plus ingénieux, Nen oblige. En un sens, le principe des affrontements - tempérés par une narration conséquente qui en caractérise savamment les enjeux - équivaut à celui des stands de Jojo's Bizarre Adventure. Chacun a un pouvoir précis et en fait le meilleur usage pour contrecarrer celui de l'adversaire. Des paramètres de puissance entrent évidemment en compte, mais ne sont pas pour autant les critères déterminants. C'est celui qui fait le meilleur usage de son pouvoir et qui sait s'allier à qui il faut qui émergera victorieux. À ce titre, le héros perdra plus qu'il n'obtiendra de victoires qui, elles, seront le plus souvent le fruit d'astuces ou d'un sacrifice conséquent. Oubliez les bourrinades inconséquentes et usantes des Shônens-lambda ; ici, chaque combat jusqu'au plus dérisoire est pesé dans son agencement avec une minutie d'horloger.


Mais parler des antagonismes est aussi l'occasion de revenir sur les personnages du manga, d'un groupe en particulier : la Brigade Fantôme. Moi qui ne croyais plus que la cruauté et le vice puissent être nuancés dans une œuvre, me voilà une fois de plus contrecarré. Notez que je ne m'en plains pas.
La Brigade Fantôme est le meilleur groupe d'antagonistes jamais écrit toutes fictions confondues.
Vous aussi vous en avez soupé de ces méchants qui, à la mort de leur camarade, réagissent d'un rictus quand ils ne tuent pas eux-même ledit camarade afin d'illustrer - si besoin il y avait - à quel point ils sont méchants. Un méchant très méchant, pourquoi pas ; il est facile de susciter la haine du lecteur à son endroit afin de justifier que le personnage principal ne finisse par l'occire... mais ce qui est plus difficile - et Togashi n'emprunte que les chemins les plus sinueux - est de faire aimer des monstres.
D'un point de vue strictement objectif, rien ne saurait sauver la Brigade Fantôme au regard de la morale. Ils volent car tel est leur bon droit, ils tuent immodérément et sans remords... mais qu'on les aime. Les auteurs de Nekketsu s'en remettant aux groupes d'antagonistes négligent et même ignorent la dynamique du groupe. Eux aussi sont des personnages à part, ils ont leurs affinités, leurs sentiments. Ils ne sont peut-être pas aussi nobles que ceux des protagonistes principaux, mais ils ont le mérite d'exister. Qui a jamais vu un antagoniste pleurer un de ses camarades quand celui-ci aura été bouté par un «gentil» avant HxH ? La complexité - toujours avec Hunter x Hunter - des relations au sein même de la Brigade mériterait qu'on s'y attarde le temps d'un essai.
La Brigade Fantôme n'est pas ce bloc monolithique où tous pensent pareils. C'est un groupe d'amis avec ce qu'il comporte de ressentiments entre membres à l'intérieur duquel deux factions informelles se sont constituées : les légalistes et les loyalistes ; les premiers privilégiant la survie de l'Araignée, les seconds, celle de leur chef. La sociologie du groupe, les relations que tous ont les uns aux autres, tout cela est d'une infinie élaboration et ne manquera pas d'époustoufler tous ceux qui se sont un jour essayé à un travail d'écriture.
Togashi multiplie les pièces de génie et il le fait naturellement, cela se ressent à la lecture. L'auteur est un prodige malgré lui, il ne force jamais son talent, le restitue le plus tranquillement du monde, tel qu'il est, et nous le délivre devant nos yeux hébétés et ébahis.


Complexe, Hunter x Hunter l'est dans tous ses aspects, jusqu'à ses plus discrètes nuances. C'en est même antithétique, à la fois simple et compliqué, on ne comprend pas comment, mais on constate une fois de plus, impuissants, qu'impossible n'est pas Togashi. Parce qu'en plus de tout, HxH ratiocine à l'envie précisément parce que ça a des choses à dire ; beaucoup de choses. On douterait même qu'une vie entière suffise à en prendre pleinement connaissance. Pour ce qui est des chapitres récents, la complexité et le niveau de détail est tel que la lecture peut facilement s'éterniser au-delà de la demi heure. Il y a plus dans un chapitre de HxH que dans l'ensemble des œuvres de la plupart de ses concurrents ; c'est criant.


Simple, Hunter x Hunter l'est de fait dans son histoire qui, elle, dévie vers des parcours improbables et renversants. Le principe du Hunter est prélude à une variété d'aventures imprévisibles ; un prisme vers lequel la lumière pointera pour se disperser en autant de faisceaux qu'il est permis d'en espérer et bien plus encore. L'aventure, la politique, les intrigues qui en découlent ; chaque menu concept duquel accouchera Togashi sera étudié, approfondi et disséqué jusqu'à sa dernière cellule pour nous en offrir le rendu ultime et absolu. Togashi est un Quality Hunter ; la qualité, il ne recherche que ça et pire encore... il la trouve sans jamais hésiter à nous la partager le long de ses planches.
On ne devient pas fanatique sur un malentendu, je ne conçois pas qu'il soit humainement possible d'avoir une imagination aussi fertile que la sienne. Et son imagination, c'est une chose - pas des moindre - mais qu'il ponde de si nombreuses idées en sachant en plus les ordonner de la manière la plus habile qui soit - à savoir la sienne - c'est à rendre fou qui s'est déjà penché sur un processus créatif de cet ordre ; à faire crever de jalousie qui croit avoir une imagination florissante.
Moi qui, arrogant, bouffi de morgue et trop sûr de moi m'imaginais que mes rivaux potentiels en terme d'imagination ne relevaient plus que de la fiction, j'ai trébuché sur HxH ; jamais je ne m'en suis relevé. L'infini je l'ai vu de près à m'en esquinter les rétines à force de le contempler. Jamais mieux qu'avec Togashi je n'ai pris conscience de l'insignifiance de cet imaginaire dont je me vantais tant. Une lecture d'Hunter x Hunter nous enseigne autant l'excellence que l'humilité ; que Bouddha se rhabille, il ne peut être que démuni en comparaison quand ce génie qu'on appelle mangaka trempe sa plume pour entamer ses esquisses de génie (syno).


Génie encore, génie toujours, génie à jamais, mesdames et messieurs laissez-moi vous présenter succinctement le Nen. Rien que le nom me fait frissonner et c'est les doigts tremblant que j'écris sur le clavier pour vous le rapporter.
Il s'est trouvé un esprit assez ingénieux - démentiel à dire vrai - pour confectionner méticuleusement, non pas l'un des systèmes de super-pouvoir les mieux élaborés qui soient, mais tout simplement - et mon affirmation ne saurait souffrir d'aucune contestation crédible - LE système de pouvoir ultime. Jamais la notion de pouvoir dans un Shônen - ou quelque fiction que ce soit - n'aura été si peaufiné et encadré. On ne sait à ce stade si le génie a pris le pas sur la virtuosité ou bien l'inverse ; créer le Nen équivaut presque en terme de complexité à bricoler un nouveau langage. Complexe, ça l'est de fait, mais ça se paie en plus le culot d'être abordable au rythme où Togashi nous déballe chacun de ses innombrables aspects qu'il n'y a pas lieu de détailler ici puisque vous ne saurez vous priver d'une lecture de HxH. Pas après cette critique.
Tout ce à quoi aboutit le Nen en terme de pouvoir créé repose sur la logique, une logique propre à l'univers de HxH mais qui pourrait l'être au nôtre tant ce système d'aura n'a aucune faille. Et plus c'est complexe, plus c'est détaillé, plus - sous la plume d'un Togashi - cela devient jouissif. Une simplicité complexe qui s'articule naturellement dans le cadre du récit ; m'aurait-on dit que cela était possible que je n'y aurais pas cru. Tout dans Hunter x Hunter est pensé, pesé et sous-pesé avant d'être accouché sur papier. Le manga ne serait-il pas fait que d'encre et de papier que j'aurais pu croire qu'il avait été confectionné par un orfèvre.


Chaque pan de l'intrigue est un prétexte à la complexité. Pas à des aléas bêtement alambiqués, non, plutôt à de délectables approfondissements se perdant sans cesse plus profondément dans la trame pour en extraire jusqu'à la plus infime parcelle de génie scénaristique. Avec HxH, tout est simplissime dans ses présupposés mais d'une infinie complexité dans ce que recouvre une réalité qui nous apparaîtrait en temps normal comme prévisible et élémentaire. Chaque intrigue est un jeu de poupées russes sans fin où l'on trouve sans cesse plus de détails pour garnir ce que la trame aura accepté de nous dévoiler.
Et c'est vivant, c'est haletant, le rythme n'est langoureux et saccadé que pour donner plus d'intensité aux phases dynamiques de la narration... et la narration... elle trouve sans cesse moyen de se renouveler, en atteste l'attaque du palais et sa gestion du temps en filigrane. Qu'il est à la fois frustrant et jouissif de ne trouver aucun défaut à une œuvre qui, en respectant à la lettre son statut de Nekketsu, sublime le meilleur de lui-même pour en occulter le pire. Qui vous dira que la perfection n'est pas de ce monde n'a pas lu Hunter x Hunter.


Ici, le manichéisme est mort, étranglé qu'il fut pas l'ambiguïté et son complice la nuance, deux concepts auxquels se refusent habituellement les auteurs de Shônen. Et pas que. La victoire a parfois un goût amer et détestable, on mesure alors que le monde n'est ni beau, ni juste, mais s'inscrivant simplement dans l'ordre naturel des choses ; l'ordre d'une nature logique, implacable... impitoyable.


Yoshihiro Togashi réussit et magnifie dans tout ce qu'il entreprend, il est le roi Midas du Nekketu. De tous les mangas/anime qui traitent d'une immersion dans le milieu des jeux-vidéos, s'en sera-t-il trouvé un seul qui ait seulement manqué d'égaler l'arc Greed Island ? Togashi récidive ainsi après un autre arc sur la même thématique dans Level E. Lui est un vrai passionné de MMORPG qui a des choses à en dire, pas un minable opportuniste qui surfe sur la vague.


C'est encore à lui que je dois cette maxime rédigée par mes soins «Une histoire d'amour réussie s'écrit sans un «Je t'aime» et se dessine sans un baiser». Je la dois notamment au fait d'avoir aiguisé mon esprit critique contre la perfection qui, apparemment, est de ce monde et même en format en papier. L'aphorisme m'est venu tout seul au bout des lèvres alors que je lisais la relation qu'entretenaient Komugi et Meruem ; l'une des plus belles histoires d'amour toutes fictions confondues, c'est dans un Shônen que vous la trouverez, pas dans un de ces recueils de mauvais goût que sont les Shojôs.


L'arc des Kimera Ant aura - encore - démontré que Yoshihiro Togashi ne cède jamais à la facilité et se retrouve encore moins esclave de la linéarité d'un récit. Surtout pas du sien. La facilité ? Il en a oublié jusqu'à l'idée du concept, ce genre de bassesse, c'est très loin pour lui. Perché aussi haut qu'il l'est sur l'échelle de la création, il ne peut même plus voir ce qu'il y a tout en bas, il n'y souscrit plus ; il n'est plus de ce monde. Ce monde de la facilité écœurante dans lequel patauge et se vautre le Shônen depuis bien longtemps, celui où chaque problématique - quelque soit sa nature - se résout en deux mandales. Des mandales, il y en aura fort peu dans Hunter x Hunter, son auteur est trop malin pour s'y abaisser, multipliant les Hatsus complexes pour agencer les affrontements. Pas un combat dans HxH n'a été lu ailleurs, n'a été contemplé où que ce soit ; car, après tout, le génie implique fatalement - et heureusement - la novation.
Combien de combats dans York Shin City, combien dans Greed Island ? Fort peu. Et ce qui les précède ne tient pas au verbiage abscons et répétitif que l'on retrouve dans toute œuvre qui ne sait comment remplir son papelard d'ici à ce que les coups ne pleuvent à nouveau. Chaque mot ici est précieux. Et des mots, Togashi en administre à foison. Ratiociner, il le fait à l'envie mais aussi à dessein, chacun des succulents détails abondamment délivrés au lecteur ne vise qu'à mieux expliciter la complexité d'une situation que l'on pourrait, de prime abord, imaginer classique.
Représentez-vous un champ de bataille, représentez-le vous en tant que simple fantassin. L'horizon ne s'étale alors pas bien loin, jusqu'au prochain ennemi. C'est le chaos, c'est le bordel, mais un bordel d'une simplicité biblique puisqu'il ne repose que sur la baston aveugle et sauvage des heures durant - ou des minutes selon que l'on n'ait pas tenu assez longtemps. Cette même bataille, imaginez maintenant la contempler en tant que général. Le même lieu, la même époque, l'exacte même circonstance, mais un tout au point de vue. Vous avez le recul nécessaire pour observer que cette mêlée n'est pas ce fatras bordélique qu'il paraît être en première ligne mais qu'il est le fruit d'une stratégie mûrement réfléchie qui s'agence sous les yeux de celui qui l'aura orchestrée. Ce qui différencie Togashi de ses pairs tient à ce qui sépare le général du fantassin. L'un a une telle hauteur de vue qu'il peut saisir la complexité et la nuance d'un coup d'œil là où troupier ne s'embarrasse que de calculs simples et salissants. Ce que les auteurs de Shônen appellent leur cervelle n'a que l'envergure d'un neurone de l'encéphale d'un Yoshihiro Togashi.


Dire qu'il s'en trouve toujours pour pérorer sur son rythme de parution. Je vous ai parlé du Togashi astral, laissez-moi vous faire-part du Togashi fiscal. Nous parlons d'un homme qui, en son temps, rivalisait avec sa série dans le Jump d'alors contre quelques petits joueurs appelés Akira Toriyama et Takehiko Inoue. Notez qu'en ce temps là, il ne rampait pas dans leur sillon mais coursait au coude-à-coude sur la piste voisine. Excusez la bagatelle, Togashi n'aura écoulé que cinquante millions d'exemplaires de ses œuvres d'alors. Un mariage princier plus tard, il enfila la bague à dame Takeuchi. La belle n'était guère qu'une pauvresse à qui l'on doit un titre méconnu, lui, ne s'étant vendu qu'à trente-cinq millions de copies à travers le monde, auxquels s'ajoutaient quelques treize malheureux milliards de dollars - et non pas de sabords - occasionnés par la vente de produits dérivés. Autant dire que les époux Togashi vivent chichement.
Et c'est donc ce multimillionaire au dos fracassé - ayant nécessité de nombreuses chirurgies - que la basse et vilaine plèbe rabroue de ses geignardises infantiles ?! Mais qui, qui, en dehors de Yoshihiro Togashi irait compromettre davantage ses lombaires alors qu'il pourrait les reposer sur un matelas rempli de billet de banque ? C'est par passion qu'il écrit, peut-être même pour nous qui ne sommes pas dignes de le lire et malgré cela, il s'en trouve encore pour se plaindre des délais ? Pour vous qui en êtes, la peine de mort ne serait pas un châtiment mais une saine délivrance. Délivré, vous le seriez alors de votre ingratitude. Cet homme - et c'est l'amoindrir que de le limiter à cela - a connu les douloureuses affres des rythmes de parution effrénés avant de faire connaissance avec le succès et la richesse. Nombreux auraient pu se reposer sur leurs considérables acquis à ce stade et lui... lui... est simplement retourné dans la mêlée jusqu'à se pourrir la santé pour nous, modestes entités ingrates et pourries gâtées. En vérité, une vie passée à le remercier ne suffirait pas à exprimer l'étendue de la gratitude que nous lui devons de fait. Pour chaque vaine complainte quant aux délais de parution, je dresserai un bûcher en place publique ; ma passion est ardente, mes justes châtiments plus encore.


Enfin, je ne saurais parfaire cette modeste critique sans mentionner les adaptations animées de Hunter x Hunter... que j'essaierai d'aborder poliment. Celle de mille-neuf-cents-quatre-vingts-dix-neuf étant la plus méritoire. Les tons sombres de l'animation de l'époque appesantissaient l'œuvre ce qu'il fallait pour en suggérer l'atmosphère du manga tout en étant très loin d'égaler le rendu du dessin ou de l'ambiance.
Puis vint cette... là-encore je ne trouve pas d'adjectif, mais il ne serait pas cette fois mélioratif, je vous prie de le croire. La version animée de deux-mille-onze est la pire entrée en matière dans l'univers Hunter x Hunter qui puisse s'imaginer. Les animateurs auront été fidèles au niveau scénario, on peut au moins admettre ceci... mais le reste est catastrophique. Les couleurs criardes et artificielles, les musiques mièvres, les tons éclairés comme si l'on traversait Versailles, la censure de la violence, les plans qui ne respectent pas la mise en scène des planches pourtant élaborée à souhait, l'aseptisation de tout ce que la technique d'animation aura rendu lisse... tout ce qui pouvait trahir l'esprit de Togashi, l'animation l'a fait. Animation, le mot est fort, le terme «profanation» m'apparaissant comme plus convenable et approprié.


Pour les plus sceptiques, je présenterai un cas pratique sans même un commentaire.


Voici le générique de l'arc York Shin City de la première adaptation animée : https://www.youtube.com/watch?v=0TRs6cMZkQY
Voici le générique de l'arc York Shin City de la deuxième adaptation animée : https://www.youtube.com/watch?v=PsklRGotMnQ


Pour qui aura lu le manga, je les laisserai seuls juges duquel des deux a su le mieux retranscrire l'atmosphère d'alors dans le manga. Je précise que les génériques sont représentatifs de l'animation respective de chaque arc.
Louer la version animée «pop» de deux-mille-onze, c'est blasphémer comme personne ne pourrait le faire même avec les plus mauvaises intentions du monde car cela équivaut à ne pas avoir compris Hunter x Hunter pour ce qu'il est.


Hunter x Hunter, cet animal qui, à chacune de ses mues, révèle une créature plus magnifique et qui n'en finit pas d'évoluer jusqu'à parvenir même à délimiter les contours de la perfection. L'œuvre - le chef-d'œuvre - est un classicisme sublimé à outrance sans jamais dévier des codes qui lui incombent ; le Shônen ultime, hélas trop haut perché dans les canons de la perfection pour être un jour égalé.
Originalité, voilà un mot que j'aurais épargné du long de cette critique pour ne le réserver qu'à sa conclusion. Il est pourtant le terme le mieux trouvé et surtout le plus désigné pour illustrer ce trésor sans fond, sujet de toutes les plus saines convoitises de lecture.


P.S : Pour les anglophones, je recommande chaudement cette biographie de Togashi par un de ses anciens assistants.

Josselin-B
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le 20 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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