City Hunter
7.7
City Hunter

Manga de Tsukasa Hōjō (1985)

Jean-Claude Convenant, mercenaire

Me vient une anecdote alors que j'entame cette critique. Une conversation - possiblement apocryphe - entre deux mangakas de renom. Il s'agit de Buichi Terasawa - auteur de Cobra - et Tsukasa Hojo. Le contexte ; un entretien d'embauche pour un assistant. Tsukasa s'y est présenté, il est confiant, présente ses planches au maître qui les consulte avant d'en congédier son auteur. Terasawa aurait alors déclaré à Tsukasa Hojo : «Vous ne savez pas dessiner les femmes».
Cette saynète incongrue, je n'en ai pris connaissance que par le bouche-à-oreille et n'en ai retrouvé aucune trace documentée. Je choisis toutefois d'y croire. Non pas que je considère que Tsukasa Hojo ne sache pas dessiner des personnages féminins - je n'ai pas ce culot - mais parce que j'ai lu City Hunter comme un hommage constant et acharné à l'endroit de Cobra ; l'envol compulsif d'Icare qui, bat désespérément des ailes jusqu'à ce soleil qu'il n'atteindra jamais.


Sans vouloir non plus être désobligeant - bien que je m'apprête cependant à le devenir sans vergogne - le premier visage féminin dont nous gratifiera l'auteur louche. Ce sera le seul cas à répertorier, mais ma précédente anecdote gagne alors davantage en crédibilité à l'aune de cette seule inconvenance graphique.
Les dessins transpirent ici les années 1980 ; le trait d'Hojo est véritablement emblématique et même symptomatique de la période éditoriale dans laquelle il s'inscrit. Incapable de revenir sur les origines de ce crayonné si spécifique, je ne saurais dire si Hojo en est l'instigateur, il en fut en tout cas son promoteur le plus émérite. City Hunter avec Cat's Eyes auront marqué leur époque sur le plan du dessin. L'auteur aura édifié ce qui seront - littéralement - les grandes lignes d'un style de dessin shônen plus adulte dans les tons graphiques et qui gagnera à se populariser avant de malheureusement tomber en désuétude.
Des corps très justement proportionnés, des vêtements variés et détaillés, l'investissement n'est pas feint. Les silhouette toutefois - et plus particulièrement celles des femmes - finiront souvent par se ressembler au point de tenir du copier-coller. Pour peu qu'on accorde du crédit à l'anecdote présentée en introduction, Tsukasa Hojo sait dessiner LA femme, celle qu'il présente comme modèle de chacun de ses avatars féminins qu'il clone à l'envie, mais il ne sait pas dessiner LES femmes puisque de variété, il n'en sera jamais question.
Cependant, réceptif que je suis au charme irrésistible de ce dessin duquel se projette l'atmosphère d'une période que je regrette, je n'oserais alors m'en prendre à Tsukasa Hojo sur son coup de crayon. Quitté ce domaine en revanche, c'est à feu-nourri que je ferai fuser les obus critiques.


Adulte, City Hunter l'est dans les tons et l'allure uniquement. Chose rare pour un Shônen d'aujourd'hui, le protagoniste est un adulte. Tout, depuis la narration jusqu'à la noirceur occasionnelle du trait nous indique que nous lisons un polar. Tout, d'ici 'à ce que Ryo ne pointe le bout de son nez.
Ryo, en voilà un qui a rapidement fait de taper sur les nerfs. Ses bouffonneries ici répétées à l'envie et jusqu'à la déraison nous auront achevé avec un rien de grivois potache. Si c'est d'un polar dont il est question, c'est d'un polar clownesque. Ryo Saeba a tout d'un San Antonio exception faite de l'intelligence et de la maturité, c'est à dire rien, finalement. Il oscille entre dragueur égrillard et justicier sans peur, le Cobra du pauvre ; du miséreux.


«L'homme est lourd» écrivait Céline ; je frémis à l'idée de seulement supputer quels adjectifs supplémentaires il aurait bien pu employer s'il avait tenu un City Hunter entre les mains. Je ne fustige ni le potache et encore moins la gauloiserie, mais un médicament a tôt fait de devenir un poison si l'on ne respecte pas la dose prescrite. À mésuser ainsi des gaudrioles semi-licencieuses de son insupportable personnage principal, l'auteur outrepasse toutes les bornes de l'acceptable ; c'est du summum de la beaufferie sont nous sommes témoins.
Ce type à grande gueule qui parle sans arrêt de cul, ce couillon - sympathique de prime abord - paillard jusqu'à l'excès et bruyant plus que cela n'est tolérable, c'est de lui dont nous suivons les aventures. Hojo pousse le vice jusqu'à un - court - arc narratif centré autour de la recherche d'un remède pour Ryo devenu impuissant. C'est à ce point et ça va même plus loin...
Une blague de cul format carambar qui ne cesse jamais de nous être criée dans les oreilles, voilà pour notre personnage principal. Quarante érections au mètre carré dans un manga adressé à la jeunesse. Je dis quarante... c'est à mettre au carré après l'arrivée de Mick.


Et puis... il ne suffit pas de ressembler à une star de cinéma, d'avoir un gros flingue, être constamment entouré de belles nanas tout en étant accompagné de la seule femme à laquelle on ne touche pas pour être Cobra ; faut aussi un vaisseau spatial et un Psycho Gun (ce que possédera le premier antagoniste majeur du manga...). À lister ainsi les points communs entre City Hunter et Cobra se multipliant au fil des chapitres, on peut presque entendre l'auteur hurler désespérément un tonitruant et lamenté «Notice me Terasawa-sensei» à chaque page qu'il nous sera donné de lire.
City Hunter est une réadaptation officieuse de Cobra à peu de choses près que le cadre des aventures ne connaît aucune variété à rejouer en boucle la même piste dans une série effrénée de de redondances perpétuelles. On change de rombière et on recommence la même enquête dans un cadre différent d'où la tendre chérie ressortira reconnaissante avant de disparaître aussitôt de la vie de Ryo comme de la mémoire des lecteurs, laissant docilement sa place à la suivante sur la liste. En un sens, City Hunter est aussi adressé à tout lecteur s'étant interrogé un jour sur le destin qu'aurait pu connaître Detective Conan pour peu que son personnage principal fut pourvu d'un magnum et d'une libido insatiable.


Le ratio de personnages secondaires récurrents relatif à celui de PNJ éphémères est peut-être de un sur mille. Du statut de Shônen, City Hunter aura finalement opté pour celui de malédiction puisque nous voilà, pauvres lecteurs, astreints à évoluer la majeure partie du temps en vase clos avec Ryo à la barre avec parfois Kaori en première matelote. Kaori dont le maillet aura autant frappé son partenaire que les esprits. Cent tonnes, c'est lourd, mais certainement pas autant que la personnalité d'un Ryo Saeba.
Umibôzu et Miki seront une bonne addition - bien que tardive et le plus souvent effacée - à la distribution des personnages récurrents du manga. Cette distribution ayant vite fait de tourner en rond à force de ne reposer que sur un bête tandem au répertoire relativement peu varié.


Makimura sera mort trop tard pour impulser l'intrigue et trop tôt pour susciter de l'empathie à son endroit. Son trépas aurait gagné à advenir bien plus tard, de préférence d'ici à ce qu'il ait pu bénéficier d'un semblant d'exposition. Il n'était présenté que pour mourir mais n'aura pas quitté la scène au moment opportun ; la belle affaire fut salement menée.


Bien qu'il mettra le ola sur sa frénésie meurtrière - toutefois accomplie au nom de la Justice - Ryo aura été l'homme de tous les massacres de son époque à en juger le nombre conséquent et même hallucinant d'homicides volontaires pour lesquels il n'aura jamais été inquiété ou même appréhendé. Qu'il ait une complice dans la police ne justifie rien ; on ne dessoude pas en pleine rue un homme pourvu d'un Psychogun (oui, Hojo a figurativement tué le père dans son œuvre) à grand coup de Magnum sans que personne ne lui fasse parvenir au moins une convocation au commissariat à un moment donné.


Itératives et usantes seront les enquêtes de Ryo Saeba. Le temps passe encore plus lentement quand, s'ajoutant à la prévisibilité, ne se trouveront sur la route du héros paillard qu'un cheptel d'antagonistes méchants et abrutis toujours occupés à tourmenter - d'une manière ou d'une autre - quelques demoiselles en détresses pures, innocentes... et bien gaulées.
Aucune place pour le charisme ou l'écriture n'est à envisager dès lors où le plus strict manichéisme est de sortie. Le sens de la mesure sera lui aussi conséquemment malmené alors que Ryo, petite frappe du monde criminel pour ne pas dire mercenaire éco+, se retrouvera impliqué dans bon nombre d'intrigues aux enjeux politiques internationaux.
Et puis ça finit sur une courte apothéose ; un «pan pan» «boumboum» post-mariage avant de plier les gaules. Façon de parler. Le moins qu'on puisse dire c'est que ça ne se sera pas trop pris au sérieux. C'est encore ça qui m'intime le plus à la clémence et même à la bienveillance.


Qu'était City Hunter si ce n'est le manga pop-corn de son époque, ce qui se faisait de plus commun et de moins imaginatif alors. Et pourtant, par contraste, on ne peut que reconnaître que l'œuvre est immensément mieux écrite et dessinée que ce dont le Shônen-lambda nous gratifie et même nous sanctionne par les temps qui courent. Nous sommes souvent à des galaxies au-dessus du meilleur de ce qui se fait ces temps-ci. Ça a beau être ce que c'est, City Hunter se lit malgré tout avec un œil humide et attendri non pas par la nostalgie (on ne pourra pas me faire ce procès-là, j'ai échappé à Dorothée) mais à force de se dire que le pire de l'époque ne pourrait être meilleur d'aujourd'hui.


On peut le dire, City Hunter était le Last Action Hero nippon de l'époque, un genre qui se faisait toujours car il était encore porteur. La lecture a peu de chances d'occasionner un claquage neuronal mais a au moins le mérite de systématiquement divertir.
Tsukasa Hojo est le dernier des dinosaures, l'ultime rescapé du jurassique. City Hunter, à cheval entre la fin des années 1980 et le début 1990, était le dernier baroud d'honneur des Shônens à l'ancienne. Qu'on les ait aimé ou non, ceux-là avaient laissé derrière eux une empreinte certaine et indélébile sur le genre qu'ils auront incarné avec plus ou moins de brio.
City Hunter est le dernier ambassadeur d'une nation conquise par des hordes barbares arrivées de fraîche date ; je ne peux m'empêcher d'avoir une forme de tendresse coupable à son endroit en dépit de tout ce qui soit susceptible de me rebuter chez lui. La stature aura ici pris le pas sur l'œuvre en elle-même. T'es pas beau Ryo, mais t'as une aura qui scintille ; ça, je ne peux pas te l'ôter.

Josselin-B
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le 3 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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