(7/10 pour le volume 1, 9/10 pour le second volume) L'éditeur Délirium, à côté de leur réédition "classique" des histoires des revues Creepie et Eerie (seuls les premiers volumes ne couvrant que le tout début de ces magazines étant sortis à l'heure actuelle), ont publié des volumes spécifiquement consacrés aux (excellentes!) contributions de Bernie Wrightson (ma critique ici) et de Richard Corben.
Ce sont les deux volumes consacrés à ce dernier qui m'intéressent ici. Si j'ai bien compris, nous avons affaire ici à un Corben tout jeune, qui s'était déjà fait un nom dans le comics underground à coups de parodies / pastiches d’œuvres de fantasy à la Conan, mais dont la carrière va véritablement être lancée, auprès d'un plus grand public, à travers ces histoires publiées dans les magazines Warren tout au long des années 1970. Il va notamment pouvoir y présenter ses techniques hyper-personnelles et innovantes de mise en couleur (qu'il aurait acquis notamment en travaillant dans l'industrie de l'animation), à travers de belles couvertures produites pour ces magazines, mais également à travers l'introduction progressive de pages couleurs à l'intérieur même de ces publications.
Comme cela se reflète dans mes notes attribuées à chaque volume, le volume 1 m'a tout de même semblé de moindre intérêt que le second; en effet, dans les premières histoires du début des années 70, le dessin de Corben et son style ne sont pas encore totalement en place, et (surtout) la plupart des scénarios qui lui sont fournis à l'époque sont plutôt faibles. Si la lecture reste dans l'ensemble agréable (on s'ennuie moins, pour comparaison, que lors de la lecture des premiers volumes Creepie et Eerie publiés par Délirium qui couvrent la fin des années 60), ce n'est clairement pas toujours transcendant...
Seules trois histoires de ce premier tome ont vraiment attiré mon attention:
- "The low spark of high heeled noise!", avec une histoire plutôt classique, et traitée à un rythme plutôt hystérique, mais marqué par une belle utilisation des couleurs et quelques pages vraiment bien troussées!
- "The hero within" qui, une fois n'est pas coutume, m'a plus marqué par son histoire (de Steve Keates) traitant de la maltraitance enfantine que par son traitement graphique en lui-même:
un enfant s'invente un monde imaginaire pour échapper à un chien pour le moins terrifiant.
- Enfin, la trilogie "Child", relecture moderne du mythe de Frankenstein (il n'y a pas que Bernie Wrightson qui ait été intéressé par le sujet à la rédaction de Creepy et Eerie visiblement!) s'avère intéressante, même si elle bascule un peu dans le grand n'importe quoi dans la 3e histoire. Le traitement graphique est plutôt sobre (pour du Corben je précise) et très beau, tandis que
l'idée de donner à la créature un visage et un comportement véritablement enfantin génère un véritable attachement pour le personnage et sa destinée (tragique cela va de soi).
Mais les véritables gemmes sont réservées au volume 2, et sont dues à un scénariste en particulier (Bruce Jones), un génie dans son genre, qui avait déjà signé l'excellentissime histoire "Jenifer", ainsi que d'autres récits d'excellentes factures mis en image par Bernie Wrightson.
Trois de ses histoires sortent ici particulièrement du lot:
- la cruelle "In Deep" (de toute évidence le chef-d'oeuvre du recueil) avec son couple qui se retrouve en très mauvaise posture accroché à une bouée au milieu de l'océan suite à un naufrage, à la conclusion certes un peu grotesque mais extrêmement frappante ; le dessin de Corben est ici au top du top;
- l'étonnamment poétique "You're a big girl now", espèce de "The Shrinking Man" en inversé, mais aussi jusqu'au-boutiste que son prédécesseur ; pour l'anecdote, cette histoire est une commande passée spécifiquement pour répondre à une couverture de Frazetta qui représentait une femme géante en haut de l'Empire State Building, en un détournement de King Kong donc : selon la préface très documentée, le numéro dans son entier était rempli de variations sur ce thème (Etonnant!!!);
- enfin, l'original, frappant et drôle "A Woman Scorned" (qui fournit également sa couverture au tome 2 de cette intégrale) avec son récit en boucle, son lézard et sa bimbo aux pouvoirs psychiques démesurés!
J'évoquerai aussi l'étonnant "Bowser", parodie de l'american way of life scénarisée par Jan Strnad, où le chien de compagnie aurait été remplacé...par une créature lovecraftienne!. Le dessin est là aussi au top, et cette horreur née d'une légère perversion du quotidien est des plus intéressantes!
Bref, une intégrale d'intérêt (voire de très grand intérêt pour le volume 2) qui se hisse au niveau de l'intégrale Bernie Wrightson. Si vous êtes compatible avec le style Corben, vous pouvez donc y aller les yeux fermés!