Tout sent le faux. À l'usure, ce n'en est plus navrant, mais terrifiant. Comment un auteur - même peu scrupuleux quant au rendu de son travail - peut retirer une quelconque fierté en délivrant une œuvre qui n'a précisément «d'œuvre» que le nom ?
Afin que personne ne puisse me prendre en traître pour m'asséner un sec «mais, t'as pas lu jusqu'au bout», sachez que je me suis infligé les cinq-cents-quarante-cinq chapitres. En une semaine de surcroît, c'est dire si j'ai ingurgité mon poison à haute dose. Nous ne sommes que deux en ce bas monde à avoir lu Fairy Tail en un temps si restreint, le deuxième est un prisonnier de Guantanamo Bay à qui l'on a imposé ce programme dans le cadre d'un lavage de cerveau intensif. Fairy Tail est plus efficace qu'une lobotomie, certes, mais autrement moins propre.
Le faux, le creux, le vide et le contrefait, tels sont les points cardinaux qui vous guideront lors du périple Fairy Tail. J'ai lu de mauvais mangas. J'ai lu de très mauvais mangas même (et je les ai critiqués en conséquence), mais aussi indigents pouvaient-ils être, ils avaient une signature, une authenticité, un caractère qui leur était propre : une identité. Fairy Tail est un manga sans âme écrit par un scénariste sans état d'âme. Pareille atteinte au monde de l'écriture (car ce n'est pas le dessin qui est en cause) devrait relever du délictuel si ce n'est du pénal. Plus criminels encore que l'auteur, les lecteurs assidus - et volontaires - qui ont encouragé Mashima à persévérer dans ses sévices.
Avec une pareille entrée en matière crachée comme un glaviot visqueux à la face d'Hiro Mashima, le lecteur de cette critique est en droit d'attendre des arguments solides et fondés. Autant d'arguments qui constituent en réalité des pièces à charge dans l'instruction menée à l'encontre de Fairy Tail. Non, ce n'est pas d'une critique dont a besoin ce manga, mais d'un procès.
Les premières pages s'ouvrent et le souffle me manque déjà. Avant de se trouver un style de dessin lui appartenant, Mashima s'est arrogé le droit de plagier, je dis bien «plagier» la patte de Eiichiro Oda à ses débuts. N'étant pas particulièrement érudit en technique de dessin, j'invite le lecteur à se faire son opinion en comparant les deux mangas à leurs débuts sur le plan du coup de crayon. Les proportions des corps, les traits du visage, les expressions ; c'est si flagrant que j'ai sérieusement cherché si Oda avait contribué au manga ne serait-ce que comme assistant. Il n'en est rien. Mashima aura même poussé le vice jusqu'à appeler son personnage principal Lucy, ce qui, en l'état, ne rappelle en rien le prénom du héros de One Piece. De même la «modeste» ressemblance entre Gildarts et Shanks, mentors respectifs de Lucy et Luffy est sûrement fortuite.
Peut-être suis-je un mauvais esprit à voir des plagiats ostentatoires là où il n'y en a pas.
Et en esquissant à peine le dessin, on comprend très vite : Fairy Tail n'a rien à lui. Tout est emprunté au mieux. Ce manga n'est pas un Shônen, ne vous y trompez pas ; c'est une synthèse calculée et méthodique des éléments les plus clichés et racoleurs de tous les Shônen à succès réunis. Si le manga phare du Jump de la période 2000-2020 a été pris comme cible par Mashima : c'est à dessein. Pareil à un petit qui jouerait au grand, l'auteur cherche à capter le succès de One Piece sans jamais en retranscrire l'essence. Imiter le corps ne suffit pas pour acquérir l'âme. J'ai bien des reproches à adresser à One Piece et plus particulièrement sur la période post-ellipse, mais de manquer d'authenticité n'en fait pas partie.
Fidèle à ses talents de contrefaçons, Mashima ira jusqu'à occasionner une ellipse dans son manga à la même période que celle advenue dans One Piece. La différence étant que cette ellipse se fera uniquement pour la finalité d'ajouter sept ans sans aucune explication logique. La logique, oubliez-la si vous lisez Fairy Tail, vous vous feriez du mal autrement.
Car Mashima réussit ce pari prodigieux d'écrire plus d'une soixantaine de tomes (sans contenu) sans JAMAIS avoir une idée originale ou au moins plagiée d'une idée intéressante. Pour les générations n'ayant pas été immergées dans le bain du manga dès leur plus tendre enfance, le manga en général ne leur apparaît que comme un support où des personnages hystériques et sans personnalité se battent violemment comme des chiffonniers sans qu'il n'y ait rien à ajouter à ça. Les stéréotypes ont la vie dure, plus encore quand un certain Hiro Mashima œuvre de toutes ses forces pour le renforcer.
«Paf Paf, Boum Boum, Ha Ha, Ouin Ouin», c'est à ces onomatopées que peut se réduire Fairy Tail. Et encore, en étant exhaustif. Car vous pourriez lire un chapitre sur vingt que vous ne perdriez rien du scénario.
Dès les premiers chapitres, tout apparaît si forcé que le sentiment insincère vous prend à la gorge. Les gags sont poussifs et très bas de plafond ; rares si ce n'est inexistants sont ceux qui font mouche. Tout est fait pour nous arracher un sourire et, plus on s'acharne, plus la tentative en devient gênante. On gesticule, on crie on rit pour la caméra, mais ça ne prend pas. Le sentiment de camaraderie apparaît comme artificiel. Il ne suffit pas de gais-lurons se prenant par-dessus les épaules en riant haut et fort pour traduire un réel sentiment de convivialité. Des robots programmés pour donner l'apparence du vivant dans un monde dépourvu d'âme, voilà ce qu'on retire des personnages creux qui vous assaillent au premier jour de lecture.
Une synthèse de tous les poncifs Shônen. Une mauvaise synthèse qui plus est. Car du Shônen et du Nekketsu en général, Fairy Tail n'en retire que les pires. La force de l'amitié, le déferlement de violence sourd, le Eichi graveleux, les mascottes mignonnes pour le Kawai, les gesticulations vaines, le manichéisme absurde, les innombrables arcs de sauvetage de demoiselle en détresse, la passion exacerbée et répétée au point d'en devenir banale et sans effet sur le lecteur : nous n'aurons droit qu'à ça. Combien de fois ai-je vu les personnages pleurer d'émotion devant des situations qui - si convenues - nous laissent en réalité de marbre ? Même les sentiments sont feints à outrance. La colère, la tristesse, tout est si épidermique qu'on devine qu'il ne s'agit que de comédie. Ce qui est excessif est insignifiant ; en ce sens, Fairy Tail se veut le Mont Everest de l'excès. Pas de l'excès qui époustoufle, celui qui lasse.
Fairy Tail semble avoir un scénario et une mise en scène créés par une machine froide et sans âme dont le programme se veut excessivement simpliste ; un patchwork troué et mal cousu de tout ce qui a du succès dans le milieu du Nekketsu. Le plus triste dans l'affaire étant que cette manœuvre grotesque et purement commerciale aura trouvé son public.
Je me suis étonné à la lecture que les personnages n'émettent pas des sons de résonance à chaque coup qu'ils recevaient, car, bon sang ce qu'ils sont creux. Le personnage principal se veut un sosie raté de Luffy. Le héros de Shônen pré-fabriqué tant et si bien qu'on voit encore les traces du moule dont il est sorti. Et, usinés, les personnages, ils le sont tous. On les limite à un trait de caractère rudimentaire et on essaie de leur donner une apparence qui démarque de celle des (nombreux) autres ayant la même personnalité. Coupez-leur les cheveux et mettez-les à poil, vous ne saurez plus les distinguer. Pas même le minimum syndical n'est fourni pour que certains sortent du lot. Je n'ai retiré aucun personnage favori car pas un n'avait de caractère développé. Ces personnages, vous les avez vus mille fois en plus développés dans des Nekketsu mieux travaillés, ils ne vous resteront pas en mémoire à moins que vous n'ayez développé un trauma face à un travail si bâclé.
Mieux encore, la guilde Fairy Tail comprenant une nuée de personnage secondaires ne les présentera jamais au lecteur, introduisant compulsivement de nouveaux personnages arcs après arcs au point où l'on finit par en oublier qui est qui tant l'afflux de gugusses interchangeables se veut intarissable.
Mashima n'aura pas même le courage de tuer un seul personnage parmi les protagonistes. Par cent fois au moins, il aura cherché à faire croire au lecteur (sans se rendre crédible) qu'un tel ou un tel était mort. Mais ceux-là revenaient toujours à la vie après avoir été frappés mortellement, souvent sans explication. (Le sacrifice final de Makarov constituant un cas d'école en la matière).
Mais si ce manga (j'ai l'impression de ternir ce mot chaque fois que j'y associe Fairy Tail) n'est qu'un ramassis de baston sans aucun scénario original ou personnage correctement construit, demeure peut-être l'espoir de confrontations haletantes et palpitantes.
Non. N'espérez RIEN de Fairy Tail. Rien de positif en tout cas. Les combats sont des maelstroms de destructions immatures tous plus identiques les uns que les autres, ce qui, encore une fois, est le propre des produits fabriqués à la chaîne. Pas d'astuce, pas de réflexion, pas de subtilité. On fonce droit devant avec le pouvoir de l'amitié et autres conneries affiliées en tête et on défonce tous. Vous vous surprendrez à tourner les pages à une vitesse hallucinante. Ni grâce, ni esthétisme un tant soit peu poussé, ni même du gore : les affrontements sont fades et convenus à l'extrême.
Qui plus est, les rapports de force ne sont pas clairement définis, la hiérarchie des puissances entre personnages inexistante, tous étant interchangeables sur la fin en terme de pouvoir (en plus de la personnalité). Pas de règle définie, pas de cohérence par rapport au moindre canon de force établie. Tout est irrégulier et sans norme stable. La mort de la constance.
Fait notoire illustrant magnifiquement cette absence de rigueur dans le traitement des combats, l'antagoniste final se voit pourvu du pouvoir infini et de la maîtrise de l'espace et du temps. Comment est-il vaincu ? D'une beigne de Natsu. Une beigne qui a transcendé la puissance absolue et infinie par la simple force de sa volonté. Et c'est ça tout le temps. Pas même un pouvoir n'est original. C'est lié à de l'élémentaire, ça fait «boum» et il n'y a pas plus à en attendre. Hiro Mashima réussit le nouveau prodige de rendre soporifique des champs de bataille où les explosions proches de la bombe A se veulent légions.
Aucune inventivité, aucun effort de mise en scène, aucune forme - même dérisoire - d'originalité. Fairy Tail porte sur lui tous les stéréotypes les plus infamants que l'on puit accoler au Shônen et a en plus le culot de capitaliser son succès sur cela. Honte à ceux qui s'en sont contentés. C'est encore parce qu'une masse de lecteurs se contente de peu (et ici, de rien) que le public plus averti et demandeur de qualité n'obtiendra que trop rarement satisfaction. Dire que cette phrase relève de l'élitisme reviendrait à considérer comme mandarinal le fait de ne pas s'adonner à la coprophagie.
Fairy Tail est la honte du monde du manga. Une insulte proférée et réitérée sans réserve à tous les amateurs du genre. Se limiter à une étoile pour le noter tient simplement au fait que je ne puisse mettre moins. Les clichés y sont si nombreux qu'on en finit aveuglé. Ce qui, pour lire pareille horreur, est encore préférable.
Car non content de vomir son œuvre à raison d'un chapitre par semaine, Mashima revendique le fait d'improviser, ne sachant jamais comment se conclut un arc qu'il a commencé. Et ça se voit. Énormément. (Igneel qui vivait en Natsu... j'ai encore des fous-rires quand je repense au traitement de cette intrigue supposée centrale).
Comment prendre au sérieux un scénario qui vogue à vue d'un chapitre à l'autre ? Comment une maison d'édition peut-elle seulement tolérer une telle manière de procéder pour une série s'étalant sur plus de dix ans ? Durant tout ce temps, l'auteur n'aura JA-MAIS développé l'univers dans lequel évolue les personnages. Le manga n'est qu'une longue séquence ininterrompue ( si ce n'est par du Eichi dans les onsens) de bastons rébarbatives et ronflantes aux enjeux mal-définis.
Lire Fairy Tail sur la longue durée, c'est entamer une chute libre qui paraît ne jamais finir. Et qui ne finit d'ailleurs pas. La fin n'en est pas une, elle n'est un prétexte qu'à présenter les couples formés artificiellement (toujours, car les relations entre personnages sont aussi factices que le reste) au cours de l'histoire avant d'offrir une ouverture vers une suite : Fairy Tail : 100 years Quest. Après tout, pourquoi pas. Tant qu'il y aura des cons pour remettre une pièce dans le jukebox, la mélodie ne risque pas de s'arrêter. Les méchants sont battus, les gentils sourient, à croire que pour certains, il n'en faut pas plus.
Fairy Tail, un manga (plutôt un vomitif) que l'on peut lire en regardant seulement les images. Non pas par sa simplicité (qui requiert en soit d'être habile pour développer une histoire sans dialogue) mais grâce à sa profonde vacuité. La synthèse ultime de tout ce qui peut se faire de pire dans le Shônen. Un prétexte à l'autodafé.
Je mets au défi qui que ce soit de me présenter un manga édité par les voies classiques de plus piètre facture encore. Si je n'ai qu'une chose positive à retirer de cette lecture (entamée à la seule fin de critiquer comme il se devait cette daube innommable), c'est d'avoir pu trouver la valeur étalon de la médiocrité enfouie sous des tonnes d'immondices appelées «chapitres».