Il est treize heures du matin, Tohru Fujisawa se lève. D'une main - celle avec laquelle il donne vie à ses créations - l'auteur se gratte une couille, puis une autre. D'une main seulement. Son autre main, elle, se hasarde sur sa table de chevet tandis que, les yeux fermés, Tohru continue de recouvrer de sa cuite. Une de plus. Sur cette table de chevet, il se saisit d'un paquet de cigarettes ; il s'en empare de cette autre main avec laquelle... il n'a jamais rien fait de spécial en fait. Son autre main, quoi.
Le paquet qu'il tient alors est léger. Et pour cause, il est vide.


Il est quinze heure. Après s'être endormi à nouveau, le manque suggéré par la nicotine suggère chez Tohru Fujisawa quelques besoins de quitter le plumard. Il sort. Dehors, il y a le monde et dans ce monde, il y en a qui vendent des clopes.
Au buraliste local, il dit «bonjour» en japonais. Ce qui doit donner quelque chose comme «Tching-Tchong» si je me réfère à aux cours de linguistique de l'éminent professeur Michel Leeb. Puis, au moment de passer la carte bancaire le temps d'effectuer sa transaction, il y a comme un son qui le fait tiquer le père Fujisawa.
D'abord, le mangaka n'y prête pas attention. On n'est jamais à l'abri d'un code bancaire mal inscrit. Puis vient la deuxième erreur, celle qui glace. L'auteur se fige, se raidit, puis, contre toute attente, ricane.



  • Mince, déjà à cours de sous ? s'exclame-t-il d'un ton grinçant.


Surprenamment, il ne s'en inquiète pas. Car Tohru a un plan, un plan infaillible. Celui d'un infatigable mineur des temps modernes prêt à prospecter un filon qu'il sait prolifique et rentable à l'excès. Sans payer, il emporte avec lui les deux paquets de cigarettes qu'il était venu acheter.



  • Je te paye la semaine prochaine ajoute-t-il, d'ici là, il se sera trouvé des couillons de lecteurs pour acheter la merde que je vais leur pondre ce soir.


Eh bien salut à toi couillon de lecteur. Merci, pour ta contribution qui, j'en suis sûr, permettra d'assurer le train de vie d'un auteur qui a apparemment fini de se fouler pour ceux qui le lisent.
Je sais, ce n'est pas toujours agréable de voir un mangaka agiter sans vergogne le cadavre putréfié de ce que l'on a considéré un jour comme une icône et tout ça, simplement pour rentabiliser un succès passé. Toutefois, cela se veut paraît-il dans l'ère du temps.
Le procédé, en tout cas, n'aura pas manqué de me révulser.


Shonan 14 Days, ça aurait pu être quelque chose. Ça oui, ça aurait pu. À condition d'avoir mûri une histoire après tant d'années d'inactivité plutôt que d'improviser quelques volumes à l'envolée comme on nous expulserait un colombin sorti des entrailles sans que cela ne se soit trop décidé au préalable.


C'est d'un orteil, d'un orteil seulement et un orteil frileux qui plus est que je commence à tâter un peu le bain dans lequel je vais m'immerger. L'eau y apparaît vaseuse et le contenu ne l'est pas moins. En regardant les premières pages, sans lire les dialogues, d'un coup d'œil, j'ai le sentiment de lire quelqu'un qui imite GTO sans avoir compris GTO. Ce qui est fâcheux lorsque l'auteur en question apparaît comme un falsificateur de ses propres œuvres.


D'emblée, les grimaces des personnages, celles-là même qui sont si significatives de la méthode Fujisawa nous envahissent. Elles sont nombreuses, elles sont mal dessinées en plus, et elles cherchent à compenser un manque. Par avance, l'auteur simule l'apparence de ce qui avait été son manga à succès en espérant que le lecteur s'y laisse prendre. Shonan 14 Days, dans son premier chapitre, est l'équivalent dans un van sur lequel est inscrit «bonbons gratuits». Le voyage a l'air prometteur et pourtant, on n'en réchappe qu'avec une douleur à une partie bien définie de notre anatomie. Et sans bonbon qui plus est.
Ces grimaces autrefois hilarantes sont ici gênantes. Elles tuent la spontanéité qui la motive tant elles sont omniprésentes et surjouées. On ne fait pas du GTO ici, on cherche à en faire. Et sans se fouler.


La classe de 3e4 était légendaire. Les élèves y sont nombreux, chacun avec des problèmes à la fois crédibles et parfois poignants. Et tous sont unis par un secret qui justifie ce qu'ils sont.
Avec le foyer pour jeunes White Swan que rejoint Onizuka, il n'y a que des merdeux sans intérêt. Ils sont insipides au possible et même jusqu'aux limites de l'impossible.


On essaye de rejouer GTO sans l'esprit GTO. Comme s'obstinant à réanimer un cadavre sans âme, Tôru Fujisawa n'en démord pas et remue la carcasse de ce qui nous avait été cher. On retrouve alors les quiproquos relatifs au cul qui nous avaient fait rire du temps de GTO et même dans son œuvre antérieure.


Force est de constater que ça a mal vieilli.


Pas à cause de l'époque. Ça non. L'époque, c'est avec joie et sans forcer que je lui pisse à la raie. Tout ce qui peut faire retrouver sa couleur originelle aux cheveux d'une féministe à anneau dans le nez est pour moi un sacerdoce. Qu'on ne s'y trompe pas.
Non, ça a mal vieilli du fait de la lourdeur du procédé. Une lourdeur tapissée à pleines pages et qui, passé 12 ans, peine à nous extraire le moindre borborygme qui pourrait être assimilé à un rire. Là encore, Fujisawa se plante en essayant de renouer avec un humour qui lui a glissé de la plume. Il a perdu son toucher magique et cherche à nous illusionner avec de la prestidigitation au rabais.


Que voulait-il faire avec Shonan 14 Days ? Un retour aux sources ? Non. Simplement refaire la même chose que GTO au niveau de l'intrigue... mais en moins bien, et actualisé au début de la décennie 2010. Autant de raisons de ne pas lire une pareille purge alors que celle-ci installe son postulat sur des bases mitées.


Il y avait de l'adversité avec GTO. Malgré certaines facilités scénaristiques occasionnelles, Onizuka parvenait à rallier à lui ses élèves un à un. Et c'était plus ou moins crédible. On ne pouvait qu'adorer ce petit groupe de fidèles - mais retors - qu'on appelait le gang d'Onizuka et qui réunissait entre autres Muraï et sa bande. Les personnages étaient attachants, ils avaient une personnalité.
Et là, au White Swan, les cœurs brisés juvéniles fondent instantanément comme du beurre dans la casserole alors que le père Fujisawa nous les sert réchauffés. Un peu à la manière d'un mauvais caillou de crack qui se liquéfie dans une cuillère au-dessus d'un briquet.
Un sourire sûr de lui, une réplique sans intérêt, et voilà que Onizuka séduit la jeunesse à problème de Shônan. C'est plus de la naïveté à ce niveau, c'est de la fainéantise caractérisée. L'auteur nous ressort la même formule, celle-ci s'édulcorant alors un peu plus à mesure qu'il nous la jette à la gueule.


Peut-être que Fujisawa était plus au fait de ce qu'était la jeunesse dans les années 1990's car il était encore assez proche de cette génération. Il avait mis dans le mille et sans caricature avec la 3e4. Mais là, ces gosses-ci - que l'intrigue nous sert d'un geste désinvolte dès le premier chapitre - ça n'a aucune profondeur.
Que les lecteurs qui, parce que le cadre de la trame s'en rapproche, s'imaginent qu'ils liront un ersatz de Sunny ne s'y trompent pas. Des mômes pareils, la seule manière dont on a envie de les étreindre, c'est en serrant très fort nos doigts autour de leur gorge jusqu'à ne plus sentir aucun pouls.
Oui, ils sont sympathiques à ce point.


Et bien sûr on nous ressert les loubards que Onizuka va castagner ; parce que c'est tellement pédagogique dans l'idée. Si je devais avoir retenu une seule leçon de ce navrant dérivé de GTO, c'est que tout ne peut que se régler par une violence débridée et des phrases toute faite imbibées dans un concentré poisseux de bons sentiments. Des phrases autrement moins éloquentes encore que du temps de GTO. Je ne sais pas si c'est l'auteur qui s'est éloigné de son public ou moi qui me suis éloigné de l'œuvre en vieillissant mais... le bon sens m'intime à détourner le regard en lisant pour ne pas admettre que cette connerie est censée être canon. Ce qu'elle n'est pas du fait des anachronismes.
HEUREUSEMENT il y a les anachronismes pour sauver l'honneur. Parce que l'intrigue de GTO, ça se passait à la fin des années 1990's. Or, Muraï, dans le premier chapitre, brandit ce qui, en 2009, constituait un portable dernier cri. Or, considérant que les événements de Shônan 14 Days se déroulent au milieu de l'année scolaire de GTO, nous pouvons en déduire qu'incohérence il y a. Ce qui, dès lors, permet à ceux qui ont aimé GTO de sauver l'œuvre de son auteur vénal et prompt à l'infanticide artistique.


Oh oui, tant que j'y suis, sachez que l'auteur a tenu à nous témoigner à quel point il n'en avait pas grand chose à carrer à chaque étape de la construction de Shônan 14 Days. Vous attendez pas à des dessins de maître. Ni même à des dessins de disciple. Ce manga, c'est celui d'un vieux qui cherche à être dans le coup, mais sans même se renseigner sur l'époque. La jeunesse ? Il la connaît plus, alors il va l'inventer. Son dessin ? Faut qu'il essaye de se conformer aux critères récents en matière de graphismes - ceux-ci étant directement indexés sur la médiocrité. Alors forcément, avec un auteur qui ne cherche plus à être lui-même jusqu'à renier son trait pour être en phase avec une époque, l'espoir n'est simplement plus permis.


Fujisawa tente tellement de renouer avec son succès passé pour appâter le gogo que ça en devient gênant. Je pense notamment au minotaure, pâle ersatz de l'hilarant Doraemon de la belle époque. Et toujours pour tout régler à la baston.


Je lui aurais pardonné une chose à Fujisawa, une seule : le fan-service. Parce que Shonan 14 Days, c'était l'occasion RÊVÉE de renouer avec les heures glorieuses de Shônan Junaï Gumi, la pierre sur laquelle Fujisawa a fondé son succès. On voulait les revoir les anciens de la bande d'Onizuka. Reprendre contact, savoir ce qu'ils étaient devenus. Et peut-être même, pourquoi pas, vivre des courtes aventures focalisées sur eux à la manière des hilarants chapitres centrés autour de Saejima du temps de GTO. Rien qu'histoire de renouer avec le bon vieux temps.
Bah on les a vus les anciens féaux de l'Onibaku Combi. Mais fallait pas cligner des yeux au moment de leur apparition. Parce que celle-ci, elle s'est faite juste le temps d'un caméo, histoire de nous rappeler que leur design est devenu lisse et dépourvu de caractère comme le reste de l'œuvre. Et leur personnalité ? Oubliez. Ils font simplement figuration. Deux répliques pour chacun, c'était trop en demander à Fujisawa.
Mais à quoi bon installer la trame à Shônan si c'est pour nous priver de ce qu'on espérait légitimement y trouver ?... À savoir ses personnages d'antan ! C'est une provocation ; un doigt d'honneur au lecteur. «Allez, t'as vu Katsuyuki, Akutsu et Tsukaï sur une case, t'es content ?», voilà pour le message. Ponctué d'un glaviot. Comme de bien entendu.
Les personnages de Shônan Junaï Gumi sont qui plus est méconnaissables. Sans un encart pour leur associer un nom, jamais vous ou moi n'aurions pu deviner qui ils étaient.


Rappelons au passage que Onizuka est parti à Shônan pour se faire oublier. On n'est pas au quart de l'histoire qu'il est déjà impliqué avec plus d'une centaine de motards dans la traque d'un kidnappeur avec en plus, la police à ses trousses. Tout va si loin que je n'attends plus que le Mégazord.


Mais là où Fujisawa frôle le génie dans l'art du je-m'en-foutisme, c'est quand il inclut Shinomi parmi le personnel du White Swan.... oubliant par là même que celle-ci, durant les événements de GTO, lors d'une scène particulièrement émouvante, était devenue maquilleuse sur Tokyo. J'aurais bien envie d'applaudir, mais il faudrait pour cela que j'ôte mes doigts d'autour de la gorge de ces jeunes cons sans intérêts qui parsèment le manga.


Jamais une œuvre aura autant lutté contre sa propre crédibilité. Non, monsieur Fujisawa, les jeunes en foyers, on règle pas leurs problèmes en castagnant 4000 gros durs, en se faisant mettre en joue par la police ou je ne sais quelle organisation criminelle ou bien en faisant des courses poursuite en bagnoles ou à moto. J'ai pas souvenir d'avoir lu ça dans Blessures Nocturnes en tout cas. Un défaut d'inattention de ma part sans doute.
On sent que Fujisawa est pressé d'acheter ses clopes à chaque chapitre qui passe.


Depuis la fin de GTO, le parcours artistique de l'auteur n'aura été qu'une dérive en rafting. Assumée qui plus est. Le bougre persiste et signe à ternir son plus grand succès pour grapiller les restes d'un cadavre qu'il profane sans répit. C'est sale ce que vous faites monsieur Fujisawa. Et en plus, c'est mal écrit et mal dessiné.


Et la fin est expédiée comme un drop avant la fin de la rencontre. Je n'espérais pas de panache. À dire vrai, de cette conclusion, je n'en attendais rien. Et c'est ce à quoi j'ai eu droit. Ce sera ma seule satisfaction après m'être laissé sciemment trompé par une contrefaçon quasi-parodique de GTO. «Quasi», parce que je n'ai trouvé matière à rire de voir un auteur se saboter pour quelques yens.
Nul n'est tenu à l'intégrité, je le conçois, mais si les impérities de monsieur Fujisawa pouvaient au moins épargner ses primo-lecteurs, ceux-ci lui en seraient reconnaissants. Et j'écris ces lignes en sachant que Paradise Lost fait la queue en attendant de me saloper le moral à son tour.
Lui aussi aura droit à mon courroux. Un courroux dans lequel on retrouvera quelques lourds relents de Justice.

Josselin-B
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le 14 nov. 2021

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Josselin Bigaut

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