Gon, tome 1
7.3
Gon, tome 1

Manga de Masashi Tanaka (1992)

Quand, par chez nous, quelques hydrocéphales possiblement arthritiques abandonnent sans remords les canons de la franco-belge pour virer nippon, Masashi Tanaka fut - à ma connaissance - l'un des seuls auteurs japonais à connaître la trajectoire inverse. De son propre aveu, l'auteur reconnait ne pas avoir dessiné ici un manga mais une bande-dessinée classique. Cependant.. le style que l'on prétend arborer n'est-il pas inhérent à au registre éditorial de sa publication ? Comment percevoir Gon comme autre chose qu'un protagoniste de manga ? Je sais que je fus incapable de ne pas le considérer comme tel au risque de le faire entrer dans d'autres cases plus étriquées encore que celles de sa série. Les stéréotypes ont la vie dure, les miens me tiennent chaud.


La première impression importe. Alors que Tanaka fait le pari de ne pas garnir son œuvre d'une seule ligne de texte, nous prendre aux tripes implique pour lui de passer par le regard. Gon, c'est duveteux pour les yeux, du velours rétinien ; nous sommes immédiatement plongés au milieu de paysages somptueux, majestueux et époustouflants qui vous feront spontanément écarquiller les yeux d'abord de surprise, ensuite pour mieux voir et se régaler du coup de crayon.
Pétri de stéréotypes que je suis, je n'attendais de Gon que quelques mignons contes bon-enfant desquels n'auraient pas émané une prouesse particulière au dessin. Ces derniers sont pour la plupart redoutables ; réalistes et bruts, le niveau de détail y est parfois et même souvent des plus stupéfiant. Le synopsis - sans qu'une ligne soit à ôter de ce dernier - nous induit en erreur car pêchant par omission. Il n'est pas question de la douce épopée d'un dinosaure grognon mais de la découverte de la faune dans son ensemble. La faune, la vraie, celle qui ne s'excuse pas lorsqu'elle cherche à bouffer la première espèce qui lui passe sous les crocs. La violence intrinsèque à la nature n'y est pas non plus déballée graphiquement sans la moindre censure, mais Gon se lit à tout âge avec quelques frissons d'effrois pour les plus jeunes.


Tanaka aura tant exprimé avec si peu en prenant le parti de tout exprimer en ne disant rien, prenant alors le contre-pied de ses confrères. Ce n'est effectivement qu'à l'aune de Gon que l'on prend enfin conscience de l'impéritie d'auteurs de manga qui nous noient habituellement sous un verbiage abscons déblatéré dans leurs œuvres mais qui pourraient pourtant se lire sans dialogue tant les personnages parlent couramment pour ne rien dire et meubler le vide. Le verbe aura plus souvent servi à masquer l'absence d'intrigue qu'à en édifier une conséquente.
Il en faut de l'habileté pour raconter sans prononcer le moindre mot. Besson et Jouvet avaient tenté l'expérience fructueuse avec Le Dernier Combat.
Tanaka, en s'abaissant à la narration la plus rudimentaire à laquelle il puisse s'adonner, n'a ici aucune marge d'erreur. Impossible pour lui de faire du remplissage sans que cela ne s'aperçoive. Chaque page compte dès lors où il est question de dicter sans un mot.


Que fait Gon à passer de la savane à la banquise ? Chaque chapitre serait-il déconnecté des autres ? On regrettera l'inconsistance du récit alors que l'on saute du coq à l'âne - entre autres animaux - d'un chapitre à l'autre là où le parcours suivi par Gon aurait pu être logique et progressif sur le plan de la trajectoire géographique pour peu qu'on ait réagencé les chapitres dans un ordre différent. On regrettera tout autant l'absence de compagnons de route ou d'antagonistes récurrents. Dieu sait que l'on a très vite fait de s'attacher à chaque bête que rencontrera le dinosaure infernal et qu'on aimerait en revoir certains.


Infernal. Super Gonnard pourrions-nous l'appeler alors qu'il sème le chaos partout où il se rend avec l'intention manifeste de ne se faire aucun ami, malmenant sans répit le gros du règne animal ayant le malheur d'exister dans son sillage. Des amis, il s'en sera fait assez peu. Voilà qui rompt avec les modalités d'un conte pour enfant habituellement peuplé de héros bienveillants. Gon n'est pas un héros, c'est un protagoniste qui a son tempérament et son appétit. Il est certes plus que ça mais il est ça avant toute autre chose.
Il est, quelque part, ce type bourré qui vient ruiner les reportage de la BBC en mettant le monde animal sens dessus dessous sans que personne ne l'air convié à la noce, repartant ensuite sereinement, ravi d'avoir commis son forfait, laissant derrière lui les flammes et les larmes. Un animal dépourvu de parole est alors ici plus moralement ambiguë et nuancé que la plupart des protagonistes babillards de Shônen.


Frayant d'un continent à l'autre, il ne se trouvera pas une partie de la faune privée de ses sanctions et de ses attentions. Il y a de quoi être perplexe d'abord et, pour peu qu'on comprenne ou que l'on croit comprendre, on finit simplement par en rire sans que jamais la fibre humoristique ne se force à nous. Ni les rires, ni le reste ; car ça trouve en plus moyen d'être émouvant. Ça se fait et ça s'exprime au naturel. Quoi de plus logique dans un monde où il n'est plus question que de la faune et de la flore ?


En un sens, Gon est le Ki-Itchi du règne animal ; un redresseur de torts brouillon qui ne s'embarrasse pas de calculs complexes et qui a le don de régler ses affaires sans un mot. La nature est belle mais décidément pas généreuse, Gon lui rendra coup pour coup, même quand elle ne lui aura rient fait. Surtout quand elle ne lui aura rien fait.


Pas même le règne des insectes ne sera épargné avec l'incursion de Gon dans l'arc souterrain. C'est d'ailleurs cet arc souterrain, plus long que ses aventures coutumières qui nous fera déplorer l'absence d'intrigues de longue haleine. Je sais que j'étais resté scotché sur mon siège à craindre le pire à chaque page et à me surprendre de ce que je découvrais dans cette immense termitière obscure. Les arcs narratifs étendus, l'auteur pouvait en produire, mais il ne nous en aura gratifié que de peu.


Gon, ce n'est pas juste une simple bonne idée ; c'est un périple, une histoire et même des émotions, le tout, sans un mot de travers ni même une syllabe. Quelque part lyrique, en tout cas ingénieux, l'œuvre nous offre un propos innocent mais jamais naïf. Masashi Tanaka aura démontré et surtout mis en exergue la puissance de l'expression d'un dessin mis au service d'une idée bien pensée. Qui ne sait pas reproduire Gon en ayant l'usage du verbe en secours dans son œuvre n'a alors rien à retranscrire depuis son dessin et donc rien à dire.

Josselin-B
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le 30 juin 2020

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Josselin Bigaut

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