«Très bien. Ça va être un de ceux-là» fut ma première remarque – soupirée d’une voix désabusée – après avoir achevé le premier chapitre de Jigoku Sensei Nube. Un de ces « ceux-là » qu’on énonce en articulant ostensiblement, ne serait-ce que pour mieux prononcer les accents du mépris. Ce serait prématuré que de juger une œuvre à l’aune de sa seule amorce ? Pas le moins du monde. Pas quand on connaît la chanson. Quelle chanson ? Allons, vous l’avez forcément entendu ailleurs. Vous vous souviendrez sûrement du refrain :
♪ Je n’ai pas d’idée mais je veux faire un manga ;
Rien que pour les sous moi ça ne me gêne pas ♫ ;
♪ ♫ Je m’en vais donc aller piocher ici et là ;
Dans les œuvres des autres, j’assume mon plagiat ♫ ♪ ;
*Solo de triangle enfiévré*
Je laisse à qui voudra le soin de composer la chorégraphie qui s’impose pour accompagner mes alexandrins. Le fait est que la présente œuvre dans laquelle le lecteur ira s’embourber mollement et sans passion n’a pas même exhalé un relent qui soit à elle. L’ère du temps imprègne le dessin comme l’écriture si bien que seul le contexte créatif de l’époque s’illustre ici, sans que l’auteur n’y laisse sa marque. Lui, n’aura été que l’instrument du contexte éditorial de l’époque. Un créateur ? Makura Shô ? Y’a pas une virgule dans le script qui soit de sa plume. Et son comparse, Takeshi Okano, on eut espéré de lui qu’il ne soit qu’un mercenaire tout juste bon à tenir les crayons le temps de pondre les esquisses. Qu’il soit le Ryôichi Ikegami d’un Buronson, mais il semblerait que l’un comme l’autre, au scénario comme au dessin, soient issus de la même école. Une d’où ne sont diplômés que les pires de chaque promotion. Car de même que vous ne trouverez pas un souffle d’inspiration dans l’écriture du scénario, il n’y aura pas même un trait sur trente tomes de temps prompt à vous faire lever un sourcil. Non, à la place, chacun sera tout disposé à fermer les paupières pour que la lecture qui en résulte soit plus agréable.
Jigoku Nube Sensei naît comme une fausse couche dont le système nerveux commanderait des mouvements mais dont le cerveau serait résolument éteint. C’est très mal présenté, et la première impression, matière de manga comme en toute chose, est primordiale. Ne me serais-je pas auto-investi de la noble mission consistant à noter tout manga me passant sous la main, que j’aurais clôturé ma lecture au seul constat malheureux que fut le premier chapitre.
Le fond, la forme, tout se conjugue, s’unit et s’harmonise pour vous inciter à faire machine arrière. Les auteurs jouent contre leur œuvre à mesure qu’ils la composent. Un sabotage perpétuel s’orchestre en ces planches, et il n’a même pas conscience d’en être un.
Go Nagai. Rien que le nom interpelle. De la merde, il en a fait, et à foison. Seulement, chez lui, même ce qui tenait de l’excrémentiel était néanmoins irradié par la créativité. Quand il s’essayait à un manga – et il s’y sera repris à des dizaines de reprises – il entreprenait quelque chose de nouveau, d’original, quitte à devoir échouer maintes et maintes fois. De la créativité, il en avait plein la tête et ça lui titillait jusqu’au bout des doigts, d’où le dessin. Dessin dans lequel il n’était pas foncièrement doué et qui a cependant posé des codes graphiques en plus d’instituer des genres de mangas à lui seul. Le lien avec la présente œuvre ? J’aurais aimé ne pas avoir à l’établir. Jigoku Nube Sensei est un demi-Devilman en retard de plus vingt ans dont la qualité graphique est alors semblable à ce qui faisait à l’époque et qui, déjà, n’était pourtant pas fameux. Et je vous parle d’un Devilman dont on aurait dépouillé la substance pour ne garder que la chasse aux démons par un demi-démon, ainsi que le contexte estudiantin en arrière-cour. Go Nagai, pourtant, il en aura eu une postérité glorieuse au regard de ses héritiers, mais pas que. Pas que...
Plus précisément, Jigoku Nube Sensei, au regard de ses inspirations fainéantes, se sera emparé à pleines mains d’un trésor de Shônen que fut Yu Yu Hakushô, qui paraissait encore à l’époque. C’est ça la recette de certains mangakas ; regarder ce qui plaît et en faire une copie abâtardie à outrance.
Ce trésor de Shônen dont ils se sont saisis ces auteurs, ils l’ont évidemment dilapidé inconséquemment, sans trop comprendre ce qui avait fait son sel originellement. Eux n’ont retenu que les parures – sans être foutus de les répliquer par ailleurs – mais la recette Togashi, celle qui plaît tant à votre serviteur et sur laquelle celui-ci a glosé en maintes et maintes reprises jusqu’à encenser l’apothéose, elle est complexe. Quand ces auteurs – est-ce le mot idoine pour les qualifier ? - se sont essayés à la rapine éditoriale en piochant si grossièrement dans Yu Yu Hakushô, ils ont cherché à comprendre l’esprit d’un créateur comme une fourmi chercherait à comprendre un Homme, ou comme un Homme chercherait à comprendre l’esprit du créateur de l’univers. Oui, je tiens Togashi en aussi haute estime que je me navre de lire ce qui ne fut pas même digne de suinter d’un de ses furoncles.
Un Shônen où toute une classe ou presque est mise à contribution autour de son professeur, ça rappelle GTO, mais pour cette fois, le duo est précurseur. Précurseurs en plus de passer à côté d’une occasion en or. Ce groupe de protagonistes aurait pu être génial s’il avait été écrit par d’autres. Une histoire d’aventure bornée au périmètre scolaire en guise de premier cercle et dont les personnages principaux, professeur et élèves, seraient tous les membres de la même classe, ça aurait eu du cachet. Un peu comme le Bleach des débuts. Encore aurait-il fallu quoi savoir en faire.
La personnalité des personnages et à la mesure du dessin qui les représente. Dois-je aller plus loin pour souligner à quel point ceux-ci ont mal été écrits ? Les grands yeux brillants, les têtes rondelettes, ce concept artistique qui les rend indistincts les uns des autres, c’est déjà un supplice, mais que dans ces têtes fades, il n’y ait pas l’ombre d’une idée, c’en devient insoutenable. Ah oui, c’est une belle occasion manquée. Car bien sûr, si ce n’est servir de faire-valoir au personnage principal et commenter son périple comme une bande de narrateurs ambulants ; comme de vulgaires Anzu et Honda, ils ne seront d’aucune utilité à l’œuvre. Ils sont bien là, omniprésents, mais même après dix tomes, on se demande encore ce qu’ils peuvent bien foutre là à ne servir à rien.
L’humour gentillet et lourdingue semble avoir débordé tout droit de la fosse septique d’un Ranma 1/2. Se pourrait-il que ces messieurs de soient « inspirés » des idioties de Rumiko Takahashi ? Ça ne leur ressemble pourtant pas…. «Inspiration» toujours, Kyouko est… littéralement le portrait de Sailor Moon calqué dans le dessin du manga. C’est à croire que plagier – très mal - Togashi ne suffisait pas, il fallait en plus de tout venir farfouiller dans l’œuvre de sa femme. Ah c’est pas du joli. Mais ça, vous le comprendrez dès l’instant où vous contemplerez le dessin.
Les monstres sont moches, mal inspirés, les pouvoirs grotesques, sans idée derrière, prétexte à un déferlement de puissance dont on ne saisit trop la provenance. C'est un Shônen lambda, l’idée que s’en font ses détracteurs. Comment ceux-là ne peuvent-ils pas faire l’amalgame aussi longtemps qu’il se trouvera une foultitude d’auteurs pour alimenter leur moulin ? La nullité dans le Shônen, ça ne date pas d’hier puisque Jigoku Nube Sensei nous vient du début de la décennie 1990 ; l’âge d’or du Shônen. Cette nullité, cependant, se sera systématisée. Car pour un Jigoku Nube Sensei, il se trouvait, en embuscade, un Dragon Ball, un Slam Dunk, ou du moins un Kenshin pour donner le change ne serait-ce qu’à moitié. Oublié ce temps-là. Les idoles des temps bénis se fanent irrémédiablement, Hunter x Hunter ne vient nous éblouir que sporadiquement et le reste ?… il n’y a rien à quoi se raccrocher aujourd’hui.
Jigoku Nube Sensei, je vais m’acharner dessus plus que de rigueur du fait qu’il a facilité cet état de fait. Peut-être n’a-t-il été qu’un symptôme de la décadence éditoriale plutôt qu’une de ses causes… mais il a eu le culot d’exister.
Ces sourires plats à perpétuité, cette niaiserie criée si ostensiblement à chaque chapitre, ça marque son homme. D’où une certaine acrimonie venue raviver les plaies tenaces d’un tempérament atrabilaire au naturel.
Je pourrais en dire des choses bien de ce Shônen. Il y a pas mal de démons et tout ne se résout pas nécessairement à la seule force brute. Il y a un côté énigme et horreur qui n’aurait demandé qu’à être extrapolé davantage. Un peu comme le début de Yu Yu Hakushô avant que Togashi ne s’embarque pour des arcs plus longs où la baston était de rigueur – il fallait rivaliser avec Dragon Ball après tout.
Mais les combats ridicules, où le fatras graphique vient mâtiner une légèreté dans le ton qui n’est en réalité faite que de lourdeurs, c’est là encore un défaut rédhibitoire qu’on ne peut pas ne pas incriminer. De l’ecchi, y’en avait déjà de trop pour l’époque. Rien que l’arc Minki justifie tous les autodafés auxquels on pourrait se résoudre à lire de pareilles conneries.
Ce qu’on y lit est franchement immature et, il ne s’en faudrait pourtant pas de beaucoup pour que la mayonnaise commence à prendre. Des protagonistes mieux écrits, davantage de rôles accordés aux personnages secondaires à qui on aurait pu donner des pouvoirs, un ton un peu plus sombre, un humour moins omniprésent, pas grand-chose en réalité, rien que le minimum syndical, tout cela aurait amplement suffi à donner le change. Mais à la place, on aura une sorte de Doraemon croisé Devilman, immonde mutant amorphe et ventru qui, au final, aura davantage pris du premier pour ne conserver que les oripeaux du second.
Trente tomes de ça, et l’usure vous mine la bienveillance comme les termites attaquent la charpente ; à la fin des fins tout s’effondre. Le plus dur, quand on lit Jigoku Nube Sensei, c’est encore de se dire qu’il tirerait la dragée haute à la concurrence s’il paraissait de nos jours. Seulement, ce foutu titre, il s’est payé le culot de paraître à l’époque où les meilleurs Shônens poussaient comme des champignons. En pleine ruée vers l’or, quand la richesse était à portée de tous, les auteurs de Jigoku Nube Sensei n’ont rien trouvé de mieux à nous exposer qu’une poignée de cailloux. Et pas des beaux. Comment, dans ces conditions, peut-on refuser de s’en saisir pour mieux les lapider ?