Jérôme d'alphagraph : Intégrale par Nina in the rain
FLBLB, maison d'édition poitevine créée en 1996, publie généralement des livres peu classiques, tant dans le fond que dans la forme. Jérôme d'Alphagraph est l'une des rares séries d'un catalogue principalement composé de one-shots et de flip-books.
Dans cette série en quatre tomes (dont les deux premiers ont été regroupés dans une intégrale redessinée), Nylso narre les aventures de Jérôme, jeune apprenti libraire dont le rêve est de devenir un grand écrivain. C'est un parfait autodidacte, tant dans la librairie que dans l'écriture, qui se nourrit de citations d'auteurs, et tout particulièrement de Gombrowicz.
Tout libraire qui a été un jour apprenti, ou tout du moins débutant, se reconnaîtra dans Jérôme, dans sa relation à son patron mais surtout dans ses questionnements sur son travail et sa relation au monde. Mais, et c'est précieux, ces albums ne parlent pas qu'aux libraires ! Le lecteur saura se retrouver dans Sultana, jeune dévoreuse de romans, ou dans la bourrique, sage animal qui fait son possible pour sortir Jérôme de sa monomanie. Car, il faut le dire, le héros de Nylso est parfois un peu malsain dans sa manière de se rabaisser continuellement et de s'imposer une discipline monacale pour écrire. Sa quête de création passe par des mortifications qui ne sont pas sans rappeler le hautement recommandable « Torturez l'artiste » paru il y a quelques années chez Héloïse d'Ormesson. Jamais Jérôme ne pourra être heureux tant qu'il n'aura pas publié un énorme succès de librairie.
Nylso a un graphisme déroutant, c'est le moins qu'on puisse dire. Son trait est d'une simplicité qui frise le minimalisme, et pourtant... pourtant quelque chose d'extrêmement fort passe. Toutes les émotions de ces minuscules têtes rondes agrémentées de quelques traits pour « faire visage » submergent aisément le lecteur, le laissant ensuite se demander où est ce qu'il a bien pu comprendre la lassitude, le bonheur ou l'énervement d'une bourrique ... Il laisse également planer un doute déroutant sur l'âge de ses personnages, minuscules par rapport au « monde des adultes » que pourraient représenter le patron et l'écrivaine-voyageuse. Nylso donne l'impression de dessiner en grande taille les personnages qui ont perdu leurs illusions, réservant les petites jambes à Jérôme et à Sultana, qui sont eux pleins d'idéalisme, sans toutefois être niais. Sultana vit chez ses parents mais Jérôme vit seul dans une caravane après que son Maître (qui l'a élevé) l'ait rejeté de chez lui pour lui faire découvrir le vaste monde et trouver un métier. Mais cependant, ils ont apparemment le même âge. Cette confusion sur les âges permet de donner une réelle intemporalité aux personnages, qui représentent du coup tout un chacun.
Dans le quatrième tome, tout juste sorti des presses, Sultana et Jérôme s'interrogent sur les livres, sur ce qu'il faut en faire et ne pas en faire. En clair, un livre, est-ce que ça se jette dans un lac ? Jérôme devient responsable du magasin après que son patron soit parti reprendre la librairie familiale à la capitale, ce qui provoque un certain nombre de frictions, notamment avec bourrique qui estime qu'il n'est pas mûr pour une telle responsabilité. En parallèle, il découvre la Femme, et les différences qu'il peut y avoir entre les deux sexes,, permettant à Nylso de faire passer, plus ou moins subtilement selon les planches, un message féministe par la bouche de Sultana.
En résumé, Jérôme d'Alphagraph est une excellente série, bien construite, sans facilités ni tromperie : on suit les aventures d'un petit libraire dans le vaste monde, et on y prend un plaisir fou. Pourquoi s'en priver ?
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