Le Cas Fodyl
6.9
Le Cas Fodyl

BD franco-belge de Lomig (2017)

Dans un monde proche du notre, Fodyl est « gestionnaire de cas » à la CRGC (« Centre Régional de Gestion des Cas »), un organisme censé s’occuper des personnes en inactivité temporaire. Mais en fait, cette institution ne leur amène aucune solution. Ce qui n’est pas le cas de notre héros qui préfère passer du temps avec les personnes en situation précaire, qu’il reçoit afin d’éviter de les voir condamnés, par la justice, à des travaux productifs non rémunérés. C’est cette propension à la sollicitude pour ces personnes dont il gère les dossiers, qui lui vaut des évaluations négatives et une animosité de la part de sa hiérarchie.


Le scénario et la narration sont plutôt bien construits dans ce roman graphique d’anticipation. De manière générale, il s’agit de la critique d’une société ultralibérale, régie par le contrôle et la sanction, qui préfère la répression contre les personnes sans emplois à la réinsertion. L’épée de Damoclès au-dessus de chacun se trouve être le licenciement décidé par des patrons surpuissants qui considèrent leurs employés comme des produits. On peut d’ailleurs l’appréhender par l’utilisation de champs lexicaux tirés du domaine de la productivité, par exemple « stock défaillant » pour parler des personnes sans emploi ou par l’utilisation de certaines perspectives (dans les dessins) qui cherchent à écraser les personnages. Cette exploitation de l’homme par l’homme amène une misère économique et surtout sociale qui est renforcées par la solitude ou l’indifférence à l’autre (celui que l’on ne connait pas ou qui n’est pas de notre famille).


Outre l’industrialisation à outrance, l’auteur nous présente une société normalisée, sans originalité et sans droit à l’erreur. Si vous ne rentrez pas dans le moule, vous êtes marginalisé.


J’ai beaucoup aimé également les coups de crayon réalistes de Lomig. Certains décors et les traits des personnages (le docteur par exemple) m’ont fait penser à du Will Eisner, notamment dans sa trilogie sur New York. De même, dans un certain nombre de décors, le dessin utilise des perspectives fluctuantes et zigzagantes pour représenter le sentiment de malaise ressenti par le personnage principal le jour ou l’horreur de ses cauchemars la nuit. On a l’impression qu’il est dans un état second. On retrouve cela également dans les perspectives écrasantes et cauchemardesques, durant le procès inhumain et chronométré à l’instar des 3 minutes que la CRGC est censée accorder à chaque « cas ». A l’issue de celui-ci, il sera condamné à être licencié pour faute grave. Cela enclenchera le processus qui va le libérer psychologiquement et sera symbolisé par sa transformation en goéland, prenant son envol pendant que le juge édicte la sentence.


Les couleurs sont également très importantes dans cet album. J’avoue que je suis un peu daltonien mais je ne me suis pas rendu compte tout de suite que l’album était constitué de noir, de blanc et de bleu. Au départ, j’avais l’impression qu’il était en noir et blanc uniquement, tellement cette couleur bleu turquoise rend l’aventure froide et déshumanisée. Elle a toute sa place dans cet album. Même à la fin quand par l’utilisation de grands à plats de couleur, Lomig donne une impression autre : celle de liberté ainsi qu’une grande respiration à l’histoire, en l’associant aux oiseaux, planant dans le ciel, et à la nature. D’ailleurs celle-ci a été présente très tôt dans la BD avec l’apparition d’un personnage engagé pour exterminer les goélands et leurs progénitures afin d’éradiquer le dernier bastion de nature qui existe encore en ville.


Les transitions entre certaines scènes sont quelquefois un peu brusques, à la manière d’un cut cinématographique. Elles marquent une rupture dans l’aventure et permettent de s’affranchir de trop d’explications dans la narration.


Enfin, au début de l’album, on trouve une référence à Pink Floyd (« Another Brick in the Wall », chanson contestataire qui dénonce la rigidité des règles scolaires en général) qui peut faire écho à l’expérience du héros avec le système scolaire et les règles strictes qui régissent ce monde. Autre clin d’œil musical en début d’album, un hommage posthume à David Bowie (goodbye blackstar), par le biais d’une inscription sur un mur du couloir de l’immeuble délabré et tagué où vit Fodyl.

Playmo44
8
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le 8 mars 2018

Critique lue 333 fois

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