Jules Renard revisité par Fred
Cette nouvelle version dessinée du Journal de Jules Renard, rééditée dans son format original, a tout d’une balade d’hiver pour âmes blessées. Le dessinateur Fred, né Othon Aristidès, a réussi dans les années 80 à saisir le paysage moral de l’auteur de Poil de carotte dont le journal révélait une écriture par essence désenchantée .
Pour cette lecture en images, il a réalisé une fable aux accents mélancoliques. Et puisque Jules est né Renard, Fred a crayonné un corbeau à ses côtés. Mais dans ses planches, l’oiseau au plumage noir ne tient pas un camembert dans son bec ; il est libre de parole et interroge son acolyte quand bon lui semble. Renard et corbeau sont tous deux à égalité et partent pour une promenade hivernale en pleine campagne. La route est parsemée de bons mots et de réflexions tantôt mélancoliques, tantôt cyniques sur les hommes. L’écrivain manie l’art de la litote, il jette aussi un regard amusé et sans complaisance sur ses pairs. Dans une langue ciselée, à la fois tendre et acérée, on le poursuit dans ses errances (« j’aime la solitude même quand je suis seul »).
C’est à la demande du quotidien Le Matin, dans les années 80, que Fred décide d’illustrer le Journal de Jules Renard (une planche publiée par semaine). A cette époque, selon ses proches, il est à une période clef de son parcours : il traverse une période sombre après avoir décidé de mettre de côté son personnage fétiche, Philémon. En proie à des doutes, Fred a revisité graphiquement les pérégrinations de Renard dans un état d’esprit proche de l’auteur. Son trait simple transpose avec justesse les humeurs de l’écrivain et dépeint bien son intérêt poétique pour la nature.
Edité en 1988, en petit format, par Flammarion, l’album ressort cette année dans son format original avec une mise en couleurs réalisée par Dargaud. Cette nouvelle version rend hommage au dessinateur Fred, mort en avril de cette année à l’âge de 82 ans, mais célèbre aussi les 150 ans de naissance de Jules Renard.
Un album remarquable qui réunit deux grands artistes à l’esprit un peu misanthrope sur une route constellée d’aphorismes dont le suivant n’est pas le moins beau : « il faut toujours casser la glace qui se reforme dans le cerveau pour l’empêcher de geler ».