Le blog de Frantico par belzaran

En 2005, alors que les blogs BD commencent à peine à percer, celui de Frantico défraye la chronique. Autobiographique, comme beaucoup de ses contemporains d'alors, ce dessinateur écrit des notes sur sa vie. Si son dessin hésitant ne présageait pas son succès, c'est ce qui est dit qui va le propulser sur le devant de la scène. Frantico se livre comme rarement l'ont fait : il se décrit comme un véritable obsédé sexuel et raconte sa misère sexuelle... Une sorte d'extrémisme de l'autobiographique en BD...

Fort de son succès, « Le blog de Frantico » a été édité par Albin Michel dans un véritable pavé de près de 300 pages ! Comme la plupart des recueils issus de blog, le tout est au format A5. Et on est vite étonné de l'homogénéité des notes de Frantico. Chaque note fait entre une et deux pages et se termine sur une chute. Au fur et à mesure, on découvre sa vie qui évolue pendant l'année. Chose particulière : la réussite sur son blog a une influence directe sur son existence ce qui fait des mises en abîme assez sympathique (bien que devenues monnaie courante désormais chez les blogueurs).

Frantico est illustrateur de métier et voudrait être dessinateur de BD. Il a donc des projets BD, va Angoulême pour les présenter et ouvre son blog suite aux conseils d'un de ses amis. Clairement présenté comme un mauvais dessinateur de BD (étant donné les remarques des éditeurs...), il va pourtant réussir par le blog où l'aspect graveleux du propos attirera de nombreux visiteurs, autant pour le côté voyeuriste que pour l'humour qui se dégage des planches. En étant ouvertement exhibitionniste, Frantico s'est forgé une solide réputation qui lui permettra d'être en contact avec de nombreux blogueurs de l'époque, dont Boulet.

« Le blog de Frantico » est clairement un blog adulte. Très suggestif, vulgaire par moment, c'est une porte ouverte sur les fantasmes de l'auteur. On le retrouve à regarder des sites pornos chez un ami, se tripoter dans son atelier en pensant à la boulangère. Et quand il trouve une partenaire, il raconte les moindres détails de ses relations sexuelles sur son blog. Ce qui le rend ensuite paranoïaque : il a peur que cette femme sache qu'il a un blog... S'ensuit des créations d'adresses e-mail nouvelles, etc.

A la lecture de l'ouvrage, on sent que son blog change sa vie. Il va lui permettre de se rendre compte qu'il n'est pas un loser, pas si pervers que ça... le blog (et sa célébrité), d'abord source de problème, servira avant tout de thérapie à l'auteur...

J'ai eu la chance de découvrir le blog de Frantico bien après qu'il soit apparu sur la toile. Et je n'en avais jamais entendu parler avant. L'aspect exhibitionniste m'a beaucoup marqué mais aussi l'humour finalement très subtil qui le parsème. Puis j'ai fait une recherche de ce qu'avait fait l'auteur comme autres ouvrages. Stupeur...

« Le blog de Frantico » est en effet une supercherie. Il semblerait que Frantico n'ait jamais existé. De nombreux éléments (comme le festival en Corée) n'ont jamais existé. Sous un aspect autobiographie, Frantico est une fiction... Et son succès tient beaucoup du plaisir voyeuriste des lecteurs... De nombreuses spéculations vont bon train pour savoir qui est le véritable auteur du blog et beaucoup citent Lewis Trondheim (à ma relecture, la narration et l'humour lui correspondent plutôt bien). Mais ce dernier ne l'a pas reconnu... On peut donc encore discuter longtemps sur « qui est Frantico ? »

Suite à cette remarque, une deuxième analyse du bouquin paraît nécessaire et elle est encore plus intéressante. En créant ce faux blog en 2005, l'auteur (quel qu'il soit) analyse déjà la sphère du blog BD avec beaucoup d'avance sur tout le monde. L'aspect autobiographique exhibitionniste y est traité avec beaucoup de nez (puisque ça participera au succès du blog), la critique du système des éditeurs (Frantico se fait refuser tous ses projets mais quand son blog fonctionne, ils sont plusieurs à vouloir l'éditer), l'aspect communautaire des blogueurs (certains auteurs feront semblant d'aller au faux festival de Corée). « Le blog de Frantico » est donc une critique acerbe et visionnaire de la blogosphère BD qui reste à ce jour d'actualité.

Au niveau du dessin, le tout ressemble au trait d'un débutant. Très hésitant au départ, il s'affirme par la suite sans atteindre un niveau génial non plus. L'utilisation de trames rend la première approche plutôt négative. Mais une fois habitué au trait de l'auteur, ce n'est plus vraiment une gêne. Attention cependant : Frantico n'hésite pas à dessiner des sexes, des pénétrations, des éjaculations... Vous êtes prévenus !
Considéré comme un blog « normal », Frantico est déjà passionnant et jouit d'un humour à la fois trash et subtil. En soit, j'ai adoré déjà cette première lecture. Pris comme une supercherie, cela devient un chef-d'œuvre où un auteur, a priori déjà édité, dessine comme un débutant et parvient pourtant, à la fin, au succès. Ca ne vous rappelle pas quelqu'un ?