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Edoardo di Muro nous donne à voir dans "Noir et blanc en couleurs" (éditions roymodus) ce que traditionnellement les Européens ne voient pas, ou ne veulent pas voir.

Parce qu'il a vécu plus de trente années en Afrique, muni de son crayon à illustrer la vie africaine, dans ce vaste continent, Edoardo di Muro a su croquer des tranches de vie et ressentir le vécu des Africains.

« La richesse n'est pas ce que tu possèdes mais ce qui t'entoure ». Et riche Tyara l'ai dans cette histoire de migrations qui traversent l'Afrique et l'Europe. Riche des aventures, des rencontres et des deuils. N'Gozy, la prostituée qu'il devra protéger de la pègre. Ablay encore imprégné de la guerre civile de son pays et qui suit les préceptes du Prophète jusqu'à brûler la bière dans son corps. Franco, l'Européen, mal dans sa peau, harcelé par sa mère. Un commissaire de police, plus malin qu'un singe. Kouyalin, le médecin de brousse, qui met à contribution ses malade pour faire les travaux des champs. Mama Stella, la maquerelle, qui bricole du vaudou pour tenir son clan de bras cassés et effrayer les gazelles trop naïves.

Tyara est comme le reste de son peuple, animiste. Il doit se défendre du prosélytisme des religions du livre. Il sait que tout se tient et que les êtres sont reliés entre eux et au monde dans lequel ils vivent. Les Européens ont inventé la montre mais les Africains ont inventé le temps. Un temps qui rempli l'espace et qui permet au caméléon, l'animal sacré, de relier les gens entre eux. Un caméléon-téléphone, que la pensée cartésienne ne peut concevoir et qu'elle voudrait, à défaut de détruire, assimiler.

Tyara est un initié que les esprits rappellent, pour à son tour, initier les jeunes. Les futurs chasseurs devront comprendre le monde saturé de sens. L'animal sacré, le caméléon, transformera ces nouveaux-nés en hommes, les Beliyan.

Comme tous les Africains, Tyara comprend très rapidement les rouages de la société européenne. Insupportable en Europe et criminelle en Afrique. Une troisième voie se dessine à l'aube de ce millénaire. La voie de la nature, non pas maîtrisée, mais écoutée et entendue. Le caméléon, avec la fabuleuse capacité d'adaptation à son environnement, ne tranche pas entre le noir et le blanc, il s'exprime dans l'arc-en-ciel.

La palette de couleur d'Edoado di Muro nous donne une bande dessinée qui est autant de tableaux à chaque page. Le parti pris a été de rendre les bulles quelque peu transparentes pour remettre au premier plan l'illustration. L'expressionnisme du trait, les lignes frontières, participent de l'impression de vivacité et de mobilité des scènes. Aucune image ne peut être plus animée qu'elle ne l'est déjà. Les personnages sont dans la parole et le geste. Leurs corps sont tendus dans l'action et figés dans le sens. La technique d'Edo est d'une singulière précision anatomique et remarquablement descriptive pour l'environnement. Les pages sont jaunes dans le désert, vertes dans la forêt, bleues dans la nuit et rouges dans le sang. Les peaux noires ont une amplitude chromatique sans pareil. Les animaux ont la finesse et la concision du trait. Chaque personnage y joue son rôle individuellement et la scène entière rassemble le dessin comme un cliché photographique. Improbable pour un Européen, mais tellement réelle pour celui que s'est déjà trouvé à marcher dans un quartier de Dakar ou de Douala.

Voilà donc le premier volet des aventures de Tyara le Bassari, parti puis revenu. Persuadé que si ses amis européens le comprennent mieux, quelque chose en Afrique sera moins en danger, sera plus protégé. Le sentiment que lire l'histoire d'un Africain dans une bande dessinée, en Europe, c'est aussi prendre en compte l'histoire de l'Afrique dans sa réalité. C'est ce que pense Edoardo di Muro, c'est ce que permet le caméléon, l'animal sacré.
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le 11 févr. 2012

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