Odeur de mâles
Odeur de mâles

BD (divers) de Alain Fretet et Alain Fretet (1992)

« Odeur de mâles » est-il réellement à la hauteur de sa couverture extrêmement provocante ? Moi-même, peut-être victime des derniers relents d’une éducation marquée par un catéchisme assez moralisateur, du moins le pensais-je, j’avais hésité bien longtemps avant de me procurer récemment, un peu par hasard, l’objet du délit que ma mémoire avait mis au placard. J’avais bien eu l’occasion de le feuilleter auparavant, peut-être chez un bouquiniste ou dans une librairie gay, peu importe, mais je n’avais jamais franchi (osé franchir ?) le cap de l’achat. Pourtant, l’explication ne pouvait se résumer à ma seule culpabilité ou la peur de rôtir en enfer. Après l’avoir enfin lu, je crois pouvoir en donner quelques raisons…


Parce que oui, il faut bien le dire, cette couverture est un sommet de provocation en nos « terres chrétiennes » doublement millénaires, un défonçage de tabou plus puissant et plus brûlant qu’un bûcher de l’Inquisition. Ce n’est pas tant lié au fait que deux hommes à oilpé y soient représentés, non… L’un d’eux, bellâtre brun et barbu, ressemble à s’y méprendre au Jésus de la Bible. Fixant l’horizon d’un regard pur et déterminé, il se voit enlacé tendrement par un autre barbu au visage ténébreux, d’apparence diabolique, bien plus hirsute et doté de cornes et d’oreilles pointues ! Le péché ultime pour les uns, un monument d’homoérotisme pour les autres !


Venons-en au contenu. Si l’on fait abstraction du format maigrelet (46 pages) et l’odeur de vieux grenier (il semblerait qu’« Odeur de mâles » n’ait jamais été réédité et que l’éditeur n’existe plus), la première impression est tout de même celle d’un objet vieillot, avec une mise en page pas très équilibrée et un lettrage anarchique, un brin daté (en particulier dans la première partie). Si le dessin, réaliste, comporte des qualités indéniables — ici, le fusain est très approprié pour représenter un érotisme à la fois raffiné et torride, cerné par des ambiances en clair-obscur — le découpage reste assez statique, et on est presque davantage dans l’illustration que dans la bande dessinée. On peut regretter le style parfois inégal d’une histoire à l’autre. Pour le reste, malgré la tournure littéraire des textes, on reste un peu sur sa faim à la lecture de ces nouvelles trop courtes qui laissent un goût d’inachevé, et dont aucune ne raconte la « love story » entre Jésus et Satan promise par la couverture…


Quand on tente de se renseigner sur l’auteur, Alain Fretet, on se rend compte qu’il s’est par la suite davantage cantonné à l’illustration (et on le comprend), en s’orientant parallèlement vers le graphisme et la photographie. Il ne se revendique pas du tout comme appartenant à la communauté LGBT, et se définit plutôt comme un « freaks » amoureux des Harleys, et à voir son look d’ « ange de l’enfer », on se dit que ça ne s’invente pas !… Alain Fretet n’est peut-être pas gay — et au fond, on s’en fout —, mais bien plutôt un être avide de nouvelles expériences et de découvertes. Il faut d’ailleurs noter qu’il a réalisé d’autres BDs « pour adultes » (quelque peu tombées dans l’oubli) décrivant des relations hétérosexuelles. « Odeur de mâles », sous ses dehors esthétisants (et pas moins provocants) privilégiant les intérieurs obscurs, pourrait s'avérer le stimulant homo-érotique le plus approprié pour les hétérosexuels (mâles bien sûr) n’osant s’avouer attirés par la chose… Mais s’il est strictement question de lire des bouquins avec une seule main, les homos, eux, les vrais ( !), préfèreront indubitablement le décomplexé Tom of Finland ou l’hyper-trash The Hun.

LaurentProudhon
6
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le 13 déc. 2020

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