Ōkami nante kowakunai!!, c’est une œuvre de Yoshihiro Togashi ; un de mes mangakas favoris pour trois de ses œuvres dont deux d’entre elles ont la part belle dans la liste de mes mangas favoris. Pour qui a un peu bourlingué au milieu des Shônens, le nom ne vous sera pas inconnu.


À tort, le public occidental se figure que ses trois œuvres phare sont les seules de son répertoire. Il est vrai qu’elles sont les seules à nous être parvenues en France… et pour une bonne raison. Car effectivement, il n’y a pas que des trésors de mangas qui n’ont jamais été édités en France, il y a aussi cette foultitude de titres si médiocres qui, s’ils venaient à être édités, feraient la ruine de ceux qui chercheraient à les mettre sur les étales. Et ces œuvres-ci, peut-être comptent elles par dizaines de milliers. Un tas de rebus, écrits pour le fric et presque assumés comme tel, qui auront, au mieux, fait office de galop d’essai pour leurs auteurs.


Celui qui aura risqué la lecture de cette critique jusqu’à maintenant comprendra que, si j’en suis déjà à évoquer ce phénomène éditorial, les pleurs, ainsi que les grincements de dents, ne tarderont pas à suivre. Je ne cherche pas d’excuse à Yoshihiro Togashi, mais j’écrirai simplement que tout le monde n’a pas atteint la consécration en un seul essai.


Ookami nante Kowakunai!!, donc. Oui, avec deux points d’exclamation dans le titre ; comme avec Sakigake!! Otokojuku ou bien encore Bastard!!. Je ne sais pas ce qu’ont les mangakas avec cette double ponctuation. À tous les coups il y a un fétiche érotique honteux derrière, je préfère ne pas creuser.


Lire Ōkami nante kowakunai!!, c’est un peu comme surprendra papa en train de trousser la bonne quand on est jeune. Soudain, on revient de ses illusions, on comprend que celui qu’on croyait invulnérable, parfait, avait néanmoins quelques failles dans la carapace. C’est évidemment accabler Togashi plus que de rigueur de le présenter ainsi. En vérité, Ōkami nante kowakunai!! aura été une des marches le menant à une renommée bien méritée. Une marche branlante qui manque de s’effondrer dès l’instant où l’on met le pied dessus ; une marche néanmoins.


Les avides du style de Togashi dont je suis espérerons sans doute y glaner quelques savoureuses pitances le temps de cette lecture. Que ceux-là n’espèrent pas non plus faire bombance. Car de même que le début de Yu Yu Hakushô n’avait encore que très peu d’empreintes de ce qui sera un style propre à son auteur, Ōkami nante kowakunai!! n’a que peu de traces du style graphique typiquement Togashi à mettre en avant. Pour le gros du dessin, c’est purement et simplement dans la veine de ce qui se faisait pour le Shônen moyen de l’époque. Vous retrouverez davantage ici un style se rapprochant de Rumiko Takahashi que celui de Yoshihiro Togashi. Oui… la lecture promet d’être éprouvante à ce point pour celui qui s’y risque.


Ōkami nante kowakunai!! est un recueil d’histoires paranormales qui, en un sens, préfigure un Level E d’où l’on aurait ici expurgé quelques kilotonnes de créativité en comparaison. Ce recueil s’entame ainsi par l’histoire d’une famille de loup-garous qui apprennent à vivre avec leur affliction, mais dans un cadre humoristique et léger. Takuro, le protagoniste, cherchera à tout faire pour que jamais son secret ne soit révélé afin de ne pas avoir à changer d’école, séduit qu’il est par Saotome, sa petite camarade.


Au menu, gags potaches pour enfants et situations cocasses au milieu d’une amourette induite. Je l’ai dit à l’occasion de ma critique de Hunter x Hunter ; Yoshihiro Togashi a réinventé le Shônen en parvenant à révolutionner le genre sans pour autant trahir ses codes les plus essentiels. Il a, de son seul fait, ouvert une voie que personne n’ose emprunter à part lui du fait du manque d’imagination et d’esprit créatif de la plupart de ses confrères. Mais à l'aune de la première histoire de Ōkami nante kowakunai!!, on jurera que, non seulement il n’aura rien inventé, mais il se sera en plus accroché aux wagons d’une locomotive faite de lieux-communs inhérents au Shônen. On peut sentir les traces de fainéantise créative sur les pages qui se succèdent.


On pourra néanmoins dire de Ōkami nante kowakunai!! qu’il a été le prototype inconscient de Twilight alors que loups-garous et vampires se rencontrent dans le cadre d’un Shônen s’accomplissant sous l’égide d’une comédie romantique.


Togashi laisse néanmoins une trace distinctive de lui en ce sens où sa fascination pour l’occulte et l’horreur, même dans un cadre ici plus léger, y trouve très vite sa place. Togashi, dans ses notes, admettra même avoir voulu un jour écrire un manga comme Umezu Kazuo avait pu écrire. L’ébauche des débuts de Yu Yu Hakushô est alors perceptible dès la deuxième aventure où une enquête paranormale s’avère de circonstance. Bien qu’ici, les choses s’orchestrent comme une sorte de mélange entre City Hunter – qui paraissait à la même époque – et le début de Shaman King. Ça reste sympathique. Gentillet, sans prétention ni démérite, sympathique néanmoins. Les dessins initiaux m’avaient fait miroiter le pire, mais quand un style artistique plus proche de Yu Yu Hakushô s’établit dès l’avènement de ce deuxième chapitre, le terrain nous paraît plus familier et autrement moins incommode.


La quatrième histoire avec la fée des films d’horreur rappelle un peu Video Girl Ai dans le principe initial, mais seulement initial. Cette histoire fut l’occasion pour Togashi de s’essayer à de l’horreur graphique comme il s’y habituera par la suite pour notre plus grand plaisir. C’était décidément me fourvoyer que de penser que son style n’était pas né de Ōkami nante kowakunai!!, les traces y sont visibles même si elles ne sont alors qu’embryonnaires. Finalement, son manga vaut la peine d’être lu pour mieux constater les premiers balbutiements timides de ce qui a aiguisé sa griffe d’auteur. Ses commentaires au début de chaque chapitre sont des joyaux pour qui sait apprécier les mots du maître. Je ne peux décemment pas cracher sur Ōkami nante kowakunai!! lorsque j’observe la dévotion de son auteur qui y jetait ses espérances pour l’avenir.


Surtout qu’à l’occasion de la cinquième histoire, son irrésistible passion pour les jeux-vidéos ainsi que des bribes de son dessin lovecrafto-cronembergo-gigerien,(inspiré respectivement des idées graphiques de H.P Lovecraft, David Cronenberg et Hans Ruedi Giger, nous surgiront en pleine gueule pour nous crier bien fort « Oui, c’est bien Yoshihiro Togashi que tu es en train de lire ». Une immersion de son personnage dans les jeux-vidéos ; il n’y a pas une de ses œuvres que j’aie pu lire jusqu’à présent dont ce principe est absent. Le plus plaisant dans l’affaire étant encore qu’il parvienne à se renouveler d’une adaptation à l’autre. Ça ne cassera évidemment pas ici trois pattes à un canard pour ce qui est du scénario, mais on se délectera de ce qu’il y a d’ébauche stylistique – autant pour la forme que le fond – annonciatrice de ce que Togashi sera plus tard en tant qu’auteur.


Les histoires se terminent toutes sur un dénouement mignon que je qualifierai volontiers de cucul, mais sans qu’il n’y ait matière à s’en formaliser. Il y a de la pureté sans emphase ou la moindre mignardise, donc de quoi s’en contenter.


Enfin, la sixième et dernière histoire a eu pour premier mérite de permettre à son auteur d’arracher le prix Tezuka en 1986. Une histoire de Baseball. On y trouve un protagoniste flamboyant, un peu d’injustice pour l’adversité, des bons sentiments à l’enrobée ; ça n’est clairement pas la meilleure histoire des six, mais celle qui, à mon avis, a le plus de potentiel pour être populaire en ce sens où elle est attrayante pour les masses plutôt que pour l’esprit. C’est une de ces histoires qui plaît davantage aux éditeurs pour son potentiel commercial qu’aux lecteurs un brin exigeant pour son potentiel artistique. Oui, ça aurait pu être publié en une série plus longue… mais cela n’aurait clairement pas été souhaitable. Ici, on ne retrouve rien ou presque du style Togashi. Je crois que l’auteur a pu se faire bien voir de ses éditeurs à ses débuts parce qu’il a su renier son surplus de créativité. Un surplus qu’il aura écoulé plus tard le temps de Yu Yu Hakushô jusqu’à s’en rendre populaire et de rendre son style incontournable.


J’entamais Ōkami nante kowakunai!! avec des sueurs froides et je l’achevais avec un sourire bienveillant. Ce recueil d’histoires courtes n’a rien d'une panacée universelle, mais les traces des premiers élans créatifs typiques de son auteur réjouissent quand on les lit. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que je me fourvoyais dans l’erreur en pensant avoir affaire à des planches écrites pour le fric. Il y avait derrière la volonté de proposer quelque chose de nouveau, bien que de peu d’ambition. C’est le travail d’un passionné qui, en ce temps, cherchait à se faire une place dans le milieu du Shônen. Qu’il est réconfortant de voir où cela l’a mené.


Oui, Ōkami nante kowakunai!! aura été une graine insignifiante, mais une graine sans laquelle les fruits délicieux de l’arbre qui en a résulté ne nous auraient jamais régalé de leur saveur exquise. Aussi je recommande chaudement sa lecture aux amateurs inconditionnels de Yoshihiro Togashi. Les autres ne trouveront que peu de matière à s’en satisfaire ; même si ce recueil vaut infiniment mieux que tout ce qu’excrète le milieu Shônen depuis un quart de siècle au moins.

Josselin-B
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le 26 avr. 2024

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Josselin Bigaut

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