Parasite
7.8
Parasite

Manga de Hitoshi Iwaaki (1989)

Méfiez-vous des maires écolos

Dans une précédente critique, j'avais établi une parenté indéniable entre Devilman et Parasite. Que ce fut la forme des créatures, la lente pandémie insidieuse s'installant dans le monde des hommes, un héros hybride pour combattre sa propre espèce, tout désignait l'œuvre phare de Hitoshi Iwaaki comme le successeur légitime de Devilman. J'irai même - sans honte et sans reproche - jusqu'à prétendre que Parasite parachève et transcende Devilman, comblant les lacunes de Go Nagai dans la rédaction de ce qui est à mon sens son seul chef d'œuvre (parce qu'il en a dessiné de la merde le père Nagai).


On ne s'arrête pas là pour les inspirations ; la trace des films The Thing et Invasion of the Body Snatchers (traduit par «La nuit des profanateurs de sépulture en France») sont probantes et immanquables. J'en venais d'ailleurs à craindre une réadaptation habile des deux films sans que rien ne fut ajouté par l'auteur. Toutefois, et c'est heureux, Parasite se veut une œuvre purement originale qui, si elle n'a pas honte de sa parenté (et à raison), suit son propre chemin. Loin d'être une bête copie des classiques de l'horreur dans le monde du manga ou du cinéma, ce Seinen ayant remarquablement bien vieilli (contrairement à Devilman) aura incontestablement marqué, devenant à son tour une source d'inspiration pour d'autres auteurs de renom. Je pense notamment à l'illustre Yoshihiro Togashi dont le trait et le ton de la fin de son Yuyu Hakushô ainsi que de Level E sont imprégnés de ce qu'a pu délivrer Iwaaki. Pour les sceptiques, je vous invite à glaner plus attentivement les similitudes entre Gotoh (Parasite) et Yupi (Hunter x Hunter). Ajin attestera aussi de l'influence qu'a pu exercer Parasite sur les auteurs récents.
Lorsqu'il est question de Parasite, nous ne parlons pas là d'une œuvre anecdotique et vaguement divertissante mais d'un instigateur de tendances. Et de bonnes tendances ; trop rarement suivies à mon goût.


Dans l'éventualité où un lecteur potentiel viendrait lire ma critique, je me permets de le débarrasser d'un doute : La version animée est à exclure absolument. Parasite a bien vieilli et pourtant, il s'est trouvé quelques animateurs pour vouloir l'adapter à une période plus contemporaine au cours de la décennie deux-mille-dix. L'animation est fluide, colorée, aseptisée (comme presque tout ce qu'il se fait aujourd'hui hélas), bref, tout ce que n'est pas Parasite. Faut-il être insane pour greffer de l'électro bas de gamme et un caractère pop sur une œuvre où l'horreur se veut lancinante et la réflexion poussée. Version papier ou rien.


Shin'ichi, personnage principal de l'intrigue connaîtra la crise d'adolescence existentielle la plus perturbée qui soit. Il y a comme un changement de paradigme qui survient lorsqu'un parasite polymorphe remplace votre bras droit. Migi, ce parasite ayant échoué à prendre le contrôle du corps de son hôte est amené à l'aider à survivre afin de ne pas périr lui non plus. Se confrontent alors l'humanité candide d'un jeune garçon aux idées propres et le rationalisme absolu d'une créature animée uniquement par la logique élémentaire et son instinct de survie.
Rationnel, Migi l'est jusqu'à l'extrême. Là où de nombreux auteurs auraient cherché à le faire évoluer jusqu'à adopter le point de vue de Shin'ichi (car, c'est bien connu, les adolescents sont des exemples tout trouvés comme modèles de vie et d'intelligence), son essence demeurera inchangée et traitée à part égale avec l'humanité affichée de son hôte.
Point question ici d'un être immoral, d'un mauvais démon auquel aurait recours Shin'ichi dans les moments critiques ; Migi suit une logique implacable qui, si elle nous paraît cruelle, se veut en réalité admirablement bien dépeinte et concevable comme modèle philosophique. De la philosophie (de comptoir, certes), Parasite en est remplie.
Mieux encore, c'est Shin'ichi qui, à son corps défendant, sera amené à épouser cette logique car confronté à des situations l'exigeant.


Pas de grosse ficelle larmoyante (en réalité gerbante) pour nous rappeler que ce qui fait notre humanité serait notre propension à ressentir des émotions. Les chiens ressentent la joie comme la tristesse. Ce qui nous rend humain - et l'on est amené à y réfléchir au gré de notre lecture - c'est encore de transcender notre instinct de survie propre au profit d'une collectivité qui nous dépasse. Migi se veut si rationnel qu'il cherche à éviter toute situation susceptible de le mettre en danger. Individualiste jusqu'à l'extrême car parfaitement logique, Migi illustre froidement ce qu'est devenue une partie de l'humanité : lâche, incapable de se sacrifier pour les autres, égoïste, mettant alors en péril l'ensemble de ses congénères dans son intérêt propre. Où en serait restée l'humanité au stade du chacun pour soi ?
Et c'est là où la rationalité absolue se veut irrationnelle dans son principe. La survie de l'individu se veut plus facilement garantie par la survie de l'espèce et donc, dans le fait de devenir un être collectif. Or, et c'est là tout le paradoxe, l'être collectif se conçoit sur le sacrifice de certaines individualités afin de se maintenir. Les Parasites sont au départ individualistes et ne se coaliseront que plus tard, luttant alors contre leur nature profonde qui prendra finalement le dessus, s'avérant nuisible au groupe qu'ils composent.
La notion de sacrifice désintéressée sera aussi écornée par un discours de professeur d'université soutenant que la protection de l'environnement n'est pas motivée par l'attachement à l'environnement, mais le fait que l'espèce humaine en soit dépendante pour sa survie. C'est en réalité par égoïsme que l'on s'investit pour la planète - avec en ultime objectif de garantir sa survie. À ce sujet, je recommande un sketch de George Carlin qui avait lui aussi analysé ce phénomène.


Autant de questions philosophiques soulevées par un manga qui ne s'arrête certainement pas à de l'horreur stricte. Les combats se veulent relativement peu fréquents et une large part du manga est laissée à l'évolution des parasites sur terre, s'adaptant peu à peu à leur situation afin de garantir leur survie. Seront abordées la question de l'écologie, de la biologie des Parasites, la prédestination et la pré-détermination biologique du vivant entre autres sujets passionnants. Pas de gentil qui charcute les méchants au nom de l'amour du genre humain. Ce genre humain, Shin'ichi le quittera peu à peu alors qu'il commencera à comprendre les objectifs des parasites, remettant en cause la question de la survie d'une espèce au détriment d'autres. Au fond, le plus cruel n'est pas le potentiel nuisible des Parasites mais le fait qu'il soit identique à celui des êtres humains, la modération en plus.


Bien que n'accordant aucune importance à leur identité (les Parasites ne voient pas l'intérêt d'avoir un nom), tous auront un caractère marqué, chacun d'entre eux étant échaudés au gré de leurs expériences propres. Tous ont une personnalité souvent déterminée par leur cadre de vie, rajoutant sur le reste des réflexions déjà établies, celle du débat constructivisme contre essentialisme. Rien n'est laissé au hasard et tout est méticuleusement pensé. Les réflexions les plus intenses dans les œuvres surgissent souvent des supports les plus insoupçonnés ; personne ne pouvait s'attendre à quelque chose d'aussi profond d'un manga se présentant initialement comme une histoire d'invasion de parasites mangeurs d'hommes.
Anecdote amusante sur leurs personnalités, l'un d'eux simulera les expressions humaines jusqu'à se faire réprimander par ses congénères les jugeant trop outrecuidantes et exagérées. Ces expressions rapportées par ce personnage sont pourtant celles habituellement arborées par des héros de Shônen expansifs jusqu'à l'excès. De là à y voir une pique adressée à certains auteurs (notamment de Shônen), il y a un pas que je ne me risquerais pas à franchir. Quoi que...


L'horreur n'est pas en reste bien que se dissipant de volume en volume alors qu'il nous est permis d'en savoir plus sur les parasites. À force de démystifier, la crainte n'a plus raison d'être. Toutefois, les chroniques régulières des incidents occasionnés par les parasites dans les médias battent lentement le rythme de la névrose s'installant doucement dans les esprits. Les raisons de s'inquiéter se multiplieront alors qu'ils commenceront à s'organiser en groupe, allant même jusqu'à se faire élire à la tête d'une commune.


Seul contre tous, avec néanmoins un allié occasionnel, Shin'ichi ne sera pas l'artisan de la guerre contre les Parasites. Ses combats seront rares et, en dépit de la faible variété offerte par ses moyens d'action, ses affrontements reposeront sur un sens de l'astuce nécessaire pour venir à bout d'ennemis bien plus puissants que lui. On épicera d'ailleurs le risque en instaurant plus tard la règle scénaristique selon laquelle Migi ne pourra plus lui venir en aide quatre heures par jour. Rien n'est plus appréciable qu'un réel sentiment de difficulté dans l'adversité rencontrée par le héros. Parasite ne cède à aucune facilité.


Le lot de tragédie aura sa part belle sans pour autant être omni-présent. Il y aura du sang versé et pas seulement celui des parasites.


En toile de fond, accompagnant la perte d'humanité progressive de Shin'ichi, ce dernier sera amené à vivre une histoire d'amour tout ce qu'il y a de plus banale. Banale et surtout crédible. Une histoire d'amour sans fioriture et authentique. Nulle question de passion éclatante, de mièvrerie écœurante ou de débordements impudiques d'émotions exagérées ; tout se fait dans la subtilité et le calme. Cette petite amie n'étant pas un intérêt-amoureux visant à servir de trophée au héros, mais un témoin inamovible de la lente déliquescence de Shin'ichi, constatant impuissante le changement graduel de sa personnalité sans qu'elle n'en connaisse la cause. Un personnage utile, ce qui n'est que trop rare quand cela concerne un personnage féminin ayant vocation à être l'âme-sœur d'un protagoniste de manga.


En parallèle ou plutôt en opposé, Tamura Reiko, le parasite ayant donné naissance à un enfant, connaîtra une trajectoire psychologique inverse à celle de Shin'ichi. Sans céder un instant aux poncifs de l'amour-maternel, elle sera amenée à comprendre la logique propre au genre humain, épousant même la notion du sacrifice. Il n'est pas question pour l'auteur de se servir des parasites comme allégorie poussive de l'immoralité d'un genre humain qu'il aurait en horreur, simplement de comparer et confronter deux approches idéologiques relatives au comportement du genre humain sans pour autant le dépeindre comme un ramassis de salauds. Notre espèce a ses forces et ses faiblesses et elles seront ici rapportées sans jugement. Les considérations philosophiques soulevées par Parasite sont de saines réflexions, pas des prétextes à faire la morale en se croyant au-dessus de tout.


Loin d'être pour autant un traité philosophique pompeux, Parasite suit une intrigue construite et se déroulant lentement avec son lot de surprises.


L'une d'elles étant la révélation nous rapportant que le maire du conseil municipal Parasite se trouve être un humain ayant considéré comme nécessaire le rôle des parasites dans la société humaine comme un régulateur d'espèce. La logique absolue d'un écologiste cohérent amène immanquablement à considérer sa propre espèce comme nuisible et susceptible d'être contrôlée démographiquement afin d'en prévenir les excès délétères sur l'environnement. Hitoshi Iwaaki avait des décennies d'avance sur la question démographique qui s'insinue lentement dans le débat public des pays développés. Également sur le végétarisme qui sera évidemment en cause dès l'instant où l'on apprendra que les parasites peuvent vivre sans manger d'êtres humains sans pour autant s'en abstenir.


Peut-être que l'œuvre s'essouffle à compter de la traque de Gotoh (dernier volume). Toutes les thématiques ont été abordées et le gibier perd en intérêt pour ne devenir qu'une bête sauvage, rompant avec tout ce qui avait été instauré jusqu'à lors avec la manière dont avaient été abordés les parasites «sociaux». Les deux derniers chapitres ne feront pas honneur à ce qui nous avait été offert en guise de réflexion. Clôturant le manga sur une histoire courte peu trépidante, Iwaaki garnira le tout d'une morale (hélas) assez pauvre recouvrant peu d'intérêt en comparaison de tout ce qu'il avait pu écrire auparavant. Cette traque comme cette conclusion semblent indiquer qu'il n'a jamais su comment terminer Parasite. L'important étant qu'il l'ait fait à temps sans faire traîner l'agonie au risque de trahir tout le propos de son œuvre. Tout se finit trop bien, et c'est un tort.


C'eut été une autre histoire si le poignard d'Uragami avait tranché plutôt qu'effleuré. Morale satisfaisante il y aurait eu ; rien de réjouissant pour autant, juste une fin rationnelle au vu de tout ce qui avait été développé jusqu'à lors.

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le 2 mars 2020

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Josselin Bigaut

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