Une BD qui commence par Nouméa-du-Centaure ne peut pas être mauvaise.
C’est comme ça, cet argument suffit en lui-même. Achetez cette BD.
Je pourrai m’arrêter là, mais je suis généreux et je vais étayer un peu.
Illustrateur de nombreux ouvrages (Sally Lockhart de Philip Pullman, Les Étranges sœurs Wilcox, etc.), Erwann Surcouf est encore trop rare en bande-dessinée. Après les excellents Erminio le milanais et Le Chant du Pluvier, ou encore sa participation à des ouvrages collectifs comme Les Autres gens ou Axolot, il sort son premier album en solo : Pouvoirpoint, après avoir commencé l’aventure sur Internet.
Comme le personnage d’Evariste, Pouvoirpoint est en perpétuel décalage. Il ne va pas où on l’attend. Nous voici dans une époque qui maîtrise le voyage dans l’hyper-espace, mais où la population continue à s’habiller et à vivre comme dans les années 60. Le Jour où le Hippie s'arrêta. Taillé pour être un space opéra, le récit s’attarde sur les vicissitudes d’un stagiaire dans les méandres d’une administration absurde. Kafka chez Barbarella ou The Office sur l’Etoile noire. En terme d’action, les combats spatiaux sont aussi explosifs qu’une partie de Pong. WoW en mode Wargames. Les publicitaires essaient de vendre des désintegrator avec des chatons. Don Draper de Mad men a été engagé par les Starship troopers. La réalité virtuelle est totalement immersive, mais nécessite des manettes dignes d’une Atari (j’ai adoré cette scène). Tron : Legacy surpassé par Tron (quoique, ça, c'est vrai).
C’est décalé, inattendu, donc très drôle.
La forme aussi participe à ce décalage. La gamme de couleurs est très éloignée des standards habituels de la science-fiction et offre un panel tout à fait inédit.
La mise en page est tout aussi originale, n’hésitant pas à casser la monotonie de la case. Il ne s’agit pas là non plus d’une course à l’originalité, puisque le découpage se fait à chaque fois au service du récit pour en épouser le dynamisme.
J’évoquerai également l’un des principaux ressorts de la BD, qui se trouve dès le titre. Soit Erwann Surcouf a été traumatisé par la loi Toubon de 1994, soit il veut se placer à l’Académie française. En tous les cas, il a la fâcheuse tendance de traduire littéralement tous les anglicismes de notre langue et cela confère aux dialogues un caractère absurde tout à fait délicieux. La scène du bal est exceptionnelle avec les traductions du Mad World de Tears for Fears ou encore le Sexual Healing de Marvin Gaye.
Pouvoirpoint nécessite d’ailleurs plusieurs lectures, car il fourmille d’astuces et surtout de références. L’esthétique n’est pas sans rappeler l’esthétique de Jean-Claude Forest, Zardoz, 2001 : L'Odyssée de l'espace, Planète interdite, Dark Star - L'Étoile Noire… D’autres sont plus moderne. Je me suis beaucoup amusé de celle du A bas la hiérarchie de Stupeflip. D’autres sont plus subtiles, comme celle de la case la plus copiée (NSFW), que je n'aurai jamais connu si l’auteur n'en avait pas parlé sur la page Facebook de l'éditeur Vide Cocagne. Il arrive même à faire des auto-références, avec son personnage de Chicou-Chicou.
Cette BD multiplies les trouvailles (mention spéciale pour le LOSANGE CHAFOUIN) et, clairement, l’auteur s’amuse beaucoup. Cela ne l’empêche pas de faire un récit solide, bien construit, sachant dissimuler ses rebondissements sous le vernis de l’anecdotique, à l’image des messages subliminaux cachés dans la décoration du bal.
Ayant suivi avec assiduité le récit sur Internet (et avoir connu l’extrême frustration de ne pas en avoir la suite), le seul défaut de cette BD au format papier est de ne plus avoir ces Gif aux couleurs chatoyantes. Le CH-BOÏNG était du plus bel effet.