Ashtag JusticePourGogols
Y'a pas plus crétin qu'un indigné. Je le sais, j'en suis un. Mais pas un qui soit issu de la même crèmerie que ce bon monsieur Tsutsui, j'en ai bien peur. Non, moi, je viendrais plutôt de la...
le 24 juil. 2020
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Y'a pas plus crétin qu'un indigné. Je le sais, j'en suis un. Mais pas un qui soit issu de la même crèmerie que ce bon monsieur Tsutsui, j'en ai bien peur. Non, moi, je viendrais plutôt de la concurrence, celle située à l'exact opposé de l'échiquier politique. Parce que politique, Prophecy le sera de fait. Elle le sera comme pourrait l'être un billet Facebook d'une collégienne encolérée par la première dinguerie sociétale susceptible de la piquer aux ovaires. Chez Prophecy, on s'offusque pour peu et on se plaint pour rien et ce, au point où son auteur aura été qualifié de «rebelle modéré» (sic) dans un article du monde qui cherchait pourtant à en faire sa promotion. Florant Brunel, match retour, c'est dans Prophecy que ça se joue.
L'œuvre d'un naïf se livre à nous. Caliméro s'essuie la morve au nez avant d'écrire sur les malheurs de ce monde. Des malheurs.... ma foi insignifiants quand ils ne sont pas fantasmés à outrance par un auteur soucieux de forcer le trait pour nous faire réagir. Car quand on dénonce un monde injuste mais que le monde n'est précisément pas assez injuste... il faut bien gonfler la baudruche pour justifier son absence de propos. C'est de bonne guerre. Malhonnête comme pas permis, mais de bonne guerre.
Une histoire de justicier - je soupire rien que de l'écrire - à la mode Anonymous 2.0. Un justicier des internets - plus communément appelé «branleur à clavier». Beau, juste et innocent, il sévit alors contre le mal de notre monde : des gens qui publient des commentaires cyniques sur Twitter.
Ce même auteur qui aura été censuré dans son pays pour une de ses œuvres précédentes nous témoigne ici d'une vision très personnelle de la liberté d'expression qu'il prétend révérer. Pensez donc, un anonyme tweet sur le fait qu'une jeune fille naïve ayant suivi un homme dans un hôtel la nuit devait s'attendre à ce que ce dernier ait des attentes la concernant. Alors, à cette déclaration odieuse (mais vraie) le héros s'offusque. Comment peut-on dire des choses pareilles enfin ! Il intrigue donc de sorte à kidnapper l'impudent ayant posté ce message absolument criminel pour lui faire insérer un gode en des voies peu désignées bien que prévues à cet effet si on se réfère au mode d'emploi. Les voies de la Justice ne sont visiblement pas impénétrables.
Voyez, Tetsuya Tsutsui est favorable à la seule liberté d'expression qui vaille : SA liberté d'expression, celle des gens purs et parfaits qui pensent comme lui. Ayez l'audace de dévier de l'orthodoxie de ses sains opinions et vous mériterez les pires outrages. Les esprits retors crieront au totalitarisme, au fascisme ou que sais-je encore. À ceux là je répondrai qu'il ne faut pas se fourvoyer. Il n'est point question de haine mais de Justice, il est donc légitime de châtier les mal-pensants. Ce que vous appelez le totalitarisme, eux appellent ça la gauche. Et la gauche - c'est bien connu - ne peut faire que du bien au genre humain. Car, évidemment, comme toute œuvre orientée politiquement, Prophecy ne saurait virer qu'à bâbord, la seule orientation qui vaille comme vous vous en doutez.
Le manga ne sera rien d'autre qu'un pamphlet geignard signé par un Social Justice Warriors, une idée de la révolution qui fera peut-être mouiller les ménagères en manque de sensation mais exaspérera ceux qui, comme moi, considèrent le fait révolutionnaire avec autrement plus de sérieux. Rien que la narration est ridicule. Il lui aurait pourtant été aisé de donner le change, nous présenter le personnage principal comme faillible et ayant parfois tort... mais non. Paperboy n'est ni plus ni moins que l'avatar de son auteur. Il est la justice, il est droit, victime mais jamais bourreau et n'a pas à s'embarrasser de la moindre nuance au regard de son caractère. Le doute ne nous est pas permis à nous lecteur : il est l'incarnation du bien et nous devons souscrire passivement à son idéologie autant qu'à ses actes. Peut-être que le procédé aura de l'influence sur quelques esprits faibles mais... un soupçon de jugeote et d'esprit critique vous délivrera de la mystification en cours. C'est si ridicule que j'en suis gêné pour l'idéologue chargé de sa rédaction.
Bref, de gentils justiciers du net contre la vilaine police qui fait appliquer une loi sur le respect des propriétés numériques. Bouh qu'ils sont vilains. Les uns présentés comme purs, parfaits, pourvus et drapés de toutes les excuses du monde pour accomplir le moindre forfait au nom d'une vision très... expérimentale de la Justice et de l'autre, des bourreaux sans cœur et sans nuance qui écument de rage à l'idée de ne pas mettre au pas cette jeunesse réfractaire qui, rappelons-le, appartient au camp du bien. L'auteur nous rejoue la narration officielle Mai 68 avec un demi siècle de retard.
Peut-être est-ce l'occasion de revenir sur les lois relatives aux propriétés numériques. Tetsuya Tsutsui, quand il était censuré, subsistait du fait qu'on achetait ses créations sur internet... aurait-on téléchargé illégalement ses mangas qu'il n'aurait pas mangé à sa faim tous les jours. Quand des créateurs investissent leurs propres fonds pour créer par exemple un jeu-vidéo, il n'est pas juste que certains le partagent gratuitement sans leur accord. La démarche peut être assimilée à une forme de vol et de recel.
Mais aussi longtemps que certains n'ont pas le nez dans la merde, ils en viendraient à dire que cette dernière a une odeur de rose. La réalité, Tsutsui, il s'en fout, il la fantasme et l'adapte à sa sauce en se prétendant son rédempteur. Le complexe du messie transpire et dégouline de chaque page de Prophecy ; ce n'est plus ridicule, c'est lamentable.
Paperboy est un tel poseur qu'il suggère d'emblée l'antipathie d'un lectorat que l'auteur cherche pourtant à acquérir à sa «noble» et «juste» cause. Je n'ai vu chez lui qu'un trou du cul en manque de sensation désireux de se faire mousser. Le voudrait-il qu'il pourrait rendre sa «Justice» sans en faire étalage sur les réseaux sociaux, ou en tout cas derrière son pseudo seul, sans son image. C'est l'ego qui motive ses vengeances de bac-à-sable, pas la Justice. Mais cela, ni lui, ni son auteur ne l'ont compris visiblement.
Erika - pourtant présentée comme l'épouvantail de la méchante autorité - sera malgré elle la voix de la raison du manga en dépit de la manière dont l'auteur cherche à nous la dépeindre; à savoir caricaturalement. Elle a raison quand elle rapporte que toute cette «Justice» n'est qu'une farce grotesque orchestrée par des pseudo-citoyens qui n'ont que ça à faire. J'aurais aimé m'abandonner aux facilités que m'accorde la narration et m'inscrire en faux à ce qu'elle rapporte... mais contrairement à l'auteur, je vois la réalité telle qu'elle est et la réalité donne davantage raison à Erika qu'à Paperboy.
Paperboy... redresseur de torts digne de l'école maternelle. Un tel doute de la sincérité d'une victime de viol ? On le séquestre et on lui refait l'oignon au gode. Un DRH stupide (caricatural là encore pour justifier une sanction qui autrement n'a pas lieu d'être ) se moque d'un candidat lors d'un entretien d'embauche ? On le finit à coup de batte (pas très inspiré). Des américains opposés à la chasse à la baleine ne censurent pas des messages bêtement cruels (toujours la caricature, Prophecy ne tient fébrilement debout que grâce à elle) sur le Tsunami de 2011 ? On leur pourrit leur réputation (ça va loin la lutte).
Les justiciers civils, ça avait quand même un peu plus de gueule du temps de Ki-Itchi. De meilleurs motivations aussi.
L'intrigue sert copieusement la soupe à son personnage principal. La police renonce par exemple à l'interpeller alors qu'il se fait passer pour un livreur au prétexte que l'un des flics considère que «je péterais un plomb si on me faisait ça». Y a-t-il un flic dans le monde qui se soit déjà mis à la place de ceux qu'ils appréhendaient pour un motif X ou Y ? Ce n'est habituellement pas la courtoisie qui les étouffe ; ce sont des gens qui font leur boulot aveuglément, des mercenaires étatiques qui ont peu de choses à foutre des états d'âmes du grouillot moyen, a fortiori du premier livreur venu (moi aussi je suis un peu de gauche).
Tetsua Tsustui cherche à nous pondre dans son œuvre un monde prétendument injuste censé être le nôtre... un monde injuste pourtant bien arrangeant quand cela lui est profitable. Tout cela n'est qu'une immense tartufferie en trois volumes.
Tous les gens sont krékré méchants sauf le gentil Calimé... Papeboy qui aura été une perpétuelle victime innocente parce que c'est la faute à la société et blablabla... le manichéisme de ceux qui n'ont rien à dire est de sortie, il faudra attendre la conclusion de Prophecy avant qu'il ne retourne à la niche après avoir bien abondamment aboyé trois tomes durant.
Encore et toujours la vision constructiviste sociale de gauche qui vaut tant de relaxes dans nos tribunaux : «Comprenez, il a eu une jeunesse difficile.... donc on dira que tout l'exonère et qu'il a le droit de se comporter comme le dernier des enculés».
En plus d'être stupide, l'idéologie professée ici est indécente. Okuda est certes un précaire dans son pays... mais c'est un précaire dans l'une des plus grandes puissances économiques mondiales. À l'entendre gémir, on jurerait pourtant qu'il a connu les bombardements au Yémen. S'indigner de Tweets d'adolescents entre autres commentaires déplacés de DRH : c'est un luxe pour petits bourgeois. Demandez-vous si on a le temps de s'offusquer d'un billet Twitter au Siera Leone.
S'ajoute à l'incurie ambiante et bouillante le magistral couplet sur l'économie. Un pur pamphlet de militant N.P.A ascendant fac de socio : «C'est la faute aux autres s'il y a l'inflation, moi je dénonce, t'as vu». C'est digne d'un radotage de vieillard. D'un vieillard qui n'a pas compris que la complexité de l'économie globalisée et ses déviances ne pouvait pas se définir et encore moins se résoudre en dix lignes.
Prophecy a été écrit par un vieux jeune qui, avec trois rudiments d'informations sur l'économie croit avoir été touché par la grâce en plus d'être capable de comprendre tout du monde qui l'entoure. Croyez-vous que Okuda ait réfléchi à la question de la dette et de la monnaie ? De la régulation du flux des marchandises dans une économies où les nations sont interconnectées à l'échelle mondiale ? De la question de l'amenuisement des ressources en règle générale ? Non. Trois lieux-communs sur l'inflation et basta, voilà pour ton cours d'économie appliqué.
N.P.A encore, la nomenclature du parti se confond et se transpose à Prophecy à la virgule près.
Pour ceux qui ne seraient pas au courant, selon une certaine idée de la gauche, la complexité des rapports sociaux n'est plus de ce monde, tout est devenu de plus simple. Il y a les gentils (dont ils font évidemment partie) et les méchants (je crois en faire partie). Et les gentils doivent gagner contre les méchants. Pour vous aider à comprendre - car c'est très ardu à saisir quand on sait faire preuve d'esprit critique - je vais vous définir les forces en présence :
Les gentils - qui sont tous des victimes - ce sont :
Les méchants ce sont :
Convaincu par le bien-fondé de cette saine doctrine qui ne saurait souffrir ni de nuance ni de contestation ? Moi non plus.
Prophecy aura toutefois le mérite d'être un tract politique joliment illustré à défaut de faire montre de la moindre crédibilité dans son propos. Car, mes bons enfants, la nuance et tout ce qui y a trait, vous vous la mettrez au cul et sans vaseline ; la gauche a parlé et, la contredire, c'est mériter la mort. Une mort juste, cela va de soi, puisqu'elle vous aura été délivrée par les gentils.
C'est pas avec un biais politique qu'aura été écrit Prophecy mais une diagonale tordue. Le propos est aussi débilitant que criant. Dans ce que les mangas furent susceptible de sécréter jusqu'à ce jour, j'ai rarement lu quelque chose d'aussi stupide et compromettant pour l'intelligence humaine. Même quelqu'un susceptible de souscrire à l'idéologie délivrée ici est forcé de voir que l'auteur en fait trop. Entre le gentil immigré philippin sur-diplômé qu'on laisse crever sur un chantier, le DRH plus maléfique qu'un méchant Disney et une police si bornée et incompétente qu'on la jurerait formée par De Funès... ça se voit même les yeux fermés.
La très «subtile» allusion aux branques de Sea Shepherd n'était pourtant pas pour me déplaire. Moi non plus je n'aime pas les ONG étrangères qui viennent faire la loi dans mon pays, la lutte a ici un sens... mais à aucun moment l'auteur ne remet en question le bien-fondé de la chasse à la baleine au Japon. La manière dont les américains professent leur message laisse ici à désirer, mais le fond de ce qu'ils expriment a quand même un propos qui mérite d'être entendu. Je regrette, mais dire méchamment que le Tsunami de 2011 est une punition divine reste à mon sens un moindre mal comparé à la chasse barbare d'espèces en voie de disparition.
Tsutsui engage ses personnages dans les mauvaises batailles et trouve en plus moyen de les perdre à son corps défendant.
Ce manga n'est qu'une succession de réactions d'autistes à la contrariété. Dès que quelqu'un dit quelque chose qui ne fait pas plaisir à entendre, il doit être châtié au nom du bien, du beau, du vrai et de mon cul sur la commode. Or, ce qui ne fait pas plaisir à entendre n'est pas nécessairement faux - en attestent mes nombreuses critiques en dessous de la moyenne, celle-ci ne faisant pas exception.
Pour ce qui est de la structure de l'intrigue, de ses personnages je n'ai pas trop envie de revenir dessus en ce sens où je ne considère pas tant Prophecy comme une fiction qu'un pamphlet politique. Mais si je devais en dire un mot, c'est qu'il n'y aura que des personnages dépourvus de charisme à se mettre sous la dents et qu'on ne se sentira pas de les mâcher.
Contrairement à l'auteur, je souhaite que la liberté d'expression soit applicable à tous, y compris à lui. Qu'il fut frappé par la censure à Nagasaki pour un précédent manga me révulse. Cela me scandalise d'autant plus que, pour avoir lu Man-Hole, je puis attester que ce dernier n'avait rien de particulièrement choquant à faire valoir, surtout si on le met dos à dos avec un classique-manga qu'est Ayako entre autres sinistres délices que j'affectionne tout particulièrement.
Censurer un auteur jusqu'à l'interdire de publier par décision administrative est un non sens. Non seulement cela prouve qu'on n'a rien à lui opposer sur le plan de l'argumentation, mais en plus, cela fait sa réclame. Un auteur censuré par l'administration attire bien plus facilement l'attention qu'un de ses homologues encensé par la critique. N'y eut-il pas eu de censure que Man Hole serait resté un petit succès confidentiel et que l'auteur n'aurait peut-être pas considéré comme pertinent de publier Prophecy, un manga qu'il aura davantage écrit et dessiné par esprit de revanche qu'au nom d'un quelconque processus créatif valable.
Quand bien même ce brave monsieur Tsutsui voudrait trouver de quoi s'indigner, je lui suggérerait alors la lecture de Blessures Noctures ; ici, la détresse et les injustices engendrées par la société japonaise relèvent du factuel et pas d'un misérabilisme en papier-mâché (et encré) si caricatural qu'il desservirait son propos.
Mesdames et messieurs, la gôche se sera encore indignée d'un rien sans toucher à ce qui dérange. Parler pour ne rien dire mais le crier fort, ça, ils savent faire. Pour moi, après Rainbow, Prophecy fut le tract gauchiste de trop. Qu'on ait ses opinions bien à soi, je le conçois, mais ne saurais tolérer qu'on compromette son œuvre en leur nom.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste [Mangas] Les critiques où, dans un accès de rage parfaitement justifié, je me dévoile politiquement parlant
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le 24 juil. 2020
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