Reçu pour mon anniversaire par des amis qui me savent sensibles à la situation des travailleurs, cette bande dessinée qui se lit d'un trait en moins d'une heure retrace la vie d'un agent de sécurité.


La spécificité de cet agent est qu'il est un grand lecteur mais aussi un dessinateur. Mais quel intérêt pour cette bande dessinée ? Evidemment, comme bien souvent dans l'art, c'est à la primeur du lecteur de chercher l'intérêt de c'bouquin - fort bien édité au demeurant.


Ce laisser-aller, ce nerf vague de la création, puissante, imprécise et sourde, cet abandon à l'autre pour voir ce qu'il en pense me pose extrêmement problème dans la mesure où rien n'empêche l'auteur de dire cet intérêt, de dire la place de son oeuvre, de dire ce qu'il veut dire vraiment.


Ce récit prosaïque commence avec le portrait d'un homme heureux qui aime ne rien faire au travail, qui aime lire pendant le boulot. C'est une vision du travail que je trouve déjà fort éloigné de la plupart des travailleurs, y compris de la sécurité, des travailleurs qui sont de plus en plus issus de la sous-traitance, des travailleurs peu formés, français d'origine étrangère, des travailleurs en proie à la violence et qui, généralement, se prenne toutes les violences sociales en pleine gueule. Et plus ça va, plus ces agents sont très loin du bonheur éprouvé par Lénaïc Vilain, notre héros ordinaire. Plus ça va, plus la violence va, plus ces agents surenchérissent dans les tactiques de prévention et d'appréhension de la délinquance.


C'est une histoire à la fois très naïve mais terriblement attachante. Oui, attachante, et pour une bonne et simple raison : je suis infiniment attaché à prendre pour modèle et à véhiculer ces héros ordinaires, qui travaillent pour les autres (souvent de manière alimentaire) avant de travailler pour eux-mêmes. Les artistes qui ne sont qu'artistes se défendent d'être des égoïstes, mais dans une définition économique, ils le sont. Et l'économie, c'est le nerf de la guerre. Ce n'est pas le seul mais il est le nerf de tous les leviers, de tous les combats et c'est le plus essentiel. On me dit obsédé du travail. Je ne suis pas un obsédé du travail. Le travail, j'essaie de le vivre du mieux possible, et avec mes propres capacités, et surtout avec cette violence antiouvrière continuelle. Je suis obsédé des conditions optimales de l'émancipation qui concerne les travailleurs, ainsi que tous les privés d'emploi, mais aussi tous ceux qui dépendent du travail productif (des objets manufacturés). Et cela comprend les artistes comme tant d'autres. Cette liberté, la liberté, cette émancipation, elle commence par une société d'abondance. Je suis un obsédé de l'abondance et des intérêts qui la forge, des intérêts capitalistes que j'ai combattu, que je combats et que je combattrai toute ma vie, aussi longtemps que je pourrai.


Mais quel rapport les intérêts capitalistes et ce récit ont-ils ? Déjà, on y parle beaucoup de précarités, précarité de décider de notre fonction, de la manière de faire, de l'heure à laquelle on mange, précarité de la formation, de l'inutilité ou de l'absurdité de la formation. On y parle de l'absurdité et de la dépersonnalisation du travailleur. On parlera de l'indignité faite aux anciens, que la société préfère mettre au placard plutôt sur un poste adapté. On y parle de la folie. Bref, on y parle des impacts de la rentabilité dans un milieu censé profiter à tous, impacts de la rentabilité sur la sécurité et sur la santé précisément. Et, au milieu de tout ce désordre invisible (invisibilisé ?), Lénaïc Vilain est le spectateur nécessaire, la distance qui pioche les petites anecdotes révélatrices des dépradations des bonnes conditions des travailleurs et des bonnes conditions de la sécurité. Et c'est encore sous le coup de la violence que se conclut ce livre puisqu'on assiste à une surenchère sécuritaire où, comme je l'ai déjà dit, plus la société est violente, plus elle multiplie les pansements sécuritaires, les processus, et les filtrages dissuasifs pour protéger d'autres filtrages remplacés par des portiques qui bippent. Parallèlement à cette surenchère, il y a cette dernière discussion, avec un travailleur français d'origine étrangère dont le métier consiste à surveiller des grillages. (j'en profite pour dire aux gens qui trouvent ce boulot inutile et qu'ils le laissent volontiers aux autres que, effectivement, tout le monde sait qu'il serait inutile si la société n'était pas aussi violente. Par conséquent, intéressez-vous moins aux travailleurs, à leurs choix de vie, plutôt qu'aux intérêts qui organisent cette violence sociale et économique).


La Tour Eiffel, que notre héros protège avec sa dissuasion bidon, devient une entreprise où il faut faire du chiffre d'affaire et de l'affluence. Mais, pour une fois, la Tour Eiffel, symbole culturel et centre de l'attention touristique, est totalement décentrée. Autant elle est une ombre importante au-dessus des travailleur - le lieu n'est pas banal, autant ses coulisses, comme tant de coulisses*, décentre sa vérité d'être pour, finalement, se concentré sur ce microcosme de la sécurité d'un monument rentable et massif, un monstre qui a un besoin de son minerai de touristes de toutes origines.


*cf ma critique sur Disneyland mon vieux pays natal : https://www.senscritique.com/film/Disneyland_mon_vieux_pays_natal/critique/21945198

Andy-Capet
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le 8 mai 2017

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