Sept saisons
6.5
Sept saisons

BD (divers) de Ville Ranta (2013)

Il y a quelques années un ouvrage du Finlandais Ville Ranta s’était un peu fait remarquer dans le paysage de la BD en France : L’exilé du Kalevala. Le mot « Kalevala » soigneusement glissé dans la version française du titre avait peut-être aidé au moment où sortait une nouvelle traduction du fameux recueil de poésies populaires finnoises à résonances mythologiques. Si Elias Lönnrot, le poète compilateur qui publia le Kalevala dans les années 1830, est bien le protagoniste principal du livre, il ne faut pas oublier que le titre original de la bande dessinée est Kajaani. Kajaani est la bourgade à l’intérieur des terres de ce qui n’était pas encore la Finlande où se déroule une grande partie de l’action. Ainsi le livre ne tourne pas autour d’un seul être, mais s’attache à tout son entourage. Un entourage parfois pesant. Dans l’œuvre de Ville Ranta les lieux sont importants : agglomérations, forêts, plaines, rivières, bords de mer. Êtres et lieux sont liés, même si certains cherchent à se défaire de ces liens. Telle personne cherche à partir de chez elle tandis que telle autre finit par y revenir.

Sept saisons, le nouveau livre de Ville Ranta se déroule en 1840, quelques années après, à Oulu, à 200 kilomètres de Kajaani, face à la mer et au golfe de Botnie, de l’autre côté duquel on trouve la Suède. Oulu est aussi la ville où réside l’auteur. Le récit tourne autour de deux personnages. Le premier, Hans Nyman est un jeune veuf, avec deux filles à élever, un poste d’enseignant, un hobby de journaliste et une velléité à devenir pasteur. Son principal souci est que la mort de sa femme l’a laissé dans un état de solitude où ses pulsions sexuelles l’envahissent. La servante de la famille, Anna, est pourtant toute dévouée à le soutenir. Cependant si cela venait à se savoir, il perdrait toute chance de devenir pasteur.
Le second personnage autour duquel tourne ce récit est la belle Maria Piponius, jeune femme encore sans mari, contrairement à sa sœur Kaarina, qu’elle a accompagné dans un voyage autour du monde pendant 3 ans. Elle ne semble pas vouloir époux et dit vouloir «vivre pour Dieu et travailler pour lui». Elle est en effet devenue piétiste. Pourtant son attitude avec Hans, assez aguicheuse, ne correspond pas à la réserve prude que l’on pourrait attendre.

Ce paysage est le reflet de mopn âmeSi à l’époque de L’exilé du Kalevala, le dessin de Ranta, sans doute encore sous influence décontractée de Joann Sfar, manquait parfois de clarté, il faut reconnaître que tous ses efforts de non-compromis avec la séduction immédiate du public ont fini par porter et que son dessin qui ne cherchait jamais la facilité des plans a fini par acquérir une sorte de lisibilité naturelle. Il faut dire que l’emploi de la couleur aide beaucoup. Auparavant Ranta cherchait à rendre les nuances de la neige, du clair-obscur des intérieurs faiblement éclairés, de la pénombre nocturne des sous-bois au clair de lune, par utilisation du seul noir et blanc, sans le recours à la moindre teinte intermédiaire. Forcément ce n’est pas évident. Mais j’ai coutume de penser que quand tu as bien essayé de creuser un tunnel avec une petite cuillère, tu deviens un formidable manipulateur de pelle lorsque tu finis par en trouver une. Ainsi Sept saisons se lit avec une grande aisance et un grand plaisir.

Le lecteur de L’exilé retrouvera dans le nouvel opus la qualité des dialogues auquel il est habitué. Les propos les plus tenus sont ici réfléchis ; jamais gratuits malgré leur apparence anodine. Les personnages ont l’air réels. Leurs motivations sont parfois obscures mais leurs réactions semblent parfaitement naturelles. Cette attention portée aux petits détails de l’expression des corps et des personnalités confère à l’œuvre de Ranta une dimension proprement romanesque et littéraire.

Pour conclure en une énumération on pourrait aussi rappeler qu’il y a beaucoup d’humour dans ce dessin, beaucoup de chaleur dans ces scènes de sexe, beaucoup de talent de direction d’acteur dans les expressions de ces personnages et beaucoup de poésie dans cette façon d’aborder les paysages comme un baume pour les tourments de l’esprit.

Vlad Bapoum
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le 3 déc. 2013

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