Paraît qu'il est question d'un monde féerique, donc, possiblement enchanteur, d'un endroit fabuleux où les héros s'adonneraient à une quête légendaire qui blablabla blablabla, bla.
Je vieillis peut-être - et pas avec grâce - mais le registre fabuleux dans le Shônen ne me fait plus aucun effet. Ce n'est pas tant que je vieillis mais que la ligne éditoriale en vigueur s'obstine à ne jamais grandir.


Novateur, original, construit, créatif, voilà autant de mots à proscrire du lexique couramment usité par un mangaka qui, aujourd'hui, chercherait à nous émerveiller avec un univers fantasmagorique. Il n'est plus question maintenant que de s'en remettre à la même recette indigeste que l'on resservira à l'envie d'ici ce que ceux qui y goûteront ne s'écroulent enfin raides morts. Tant pis si les ingrédients commencent à être particulièrement frelatés pour ne pas dire faisandés ; «tant que je gagne je joue», c'est la doctrine éditoriale en vigueur dans le milieu.
Nakaba Suzuki touche le jackpot à moindres frais comme d'autres avant lui et plus encore après. Hélas. Inutile de travailler les détails et encore moins de les peaufiner ; pour peu qu'on ait un début d'intrigue tout ce qu'il y a de plus basique sans jamais avoir à l'agrémenter de quoi que ce soit de nouveau quarante-et-un tomes durant, pourquoi se gêner ? Pourquoi même seulement chercher à élever le niveau ? Pour peu que les porcs se contentent de tout ce qu'on leur sert dans leur auge, il n'y a pas lieu de leur concocter de la cuisine premier choix. Et encore une fois, ce cochon de lecteur se laissera prendre par une recette qu'il n'a pourtant que trop bouffée. Engraissé par une pitance à la qualité pour le moins douteuse, il sera plus tard éventré de sorte à ce qu'on lui soutire jusqu'au dernier centime de sa carcasse grasse et bouffie. Cochon de payeur, mais certainement pas cochon qui s'en dédit ; il se laissera truander une fois de plus par un nouveau Shônen estampillé «fantastique» dont le goût ne variera pourtant pas d'un iota de ce dont on l'aura gavé par le passé, quand ledit Shônen ne sera pas plus infect encore.
Que ce soit dans les vieux pots qu'on fasse les meilleures confiture, j'en conviens, mais peut-être faudrait-il récurer le fond de la gamelle de temps à autre. Les sédiments collés gâtent la nouvelle fournée de relents déjà sentis, ces derniers titillant plus volontiers la bile que le palais.


Partis pour une épopée déplorable, nos protagonistes ne manqueront pas de faire halte à chaque étape connue de tous ceux ayant épluché le guide Michelin du Nekketsu sans imagination. Les relais sont réputés et pas pour leurs mérites ; qu'on ne s'y trompe pas, mes deux étoiles sont bien notées sur dix et non sur trois.


Accordons au moins quelques louanges au vice, Suzuki ne démérite pas dans ses tentatives promptes à pourvoir son œuvre ne serait-ce que d'un semblant de nuance. Méliodas a tout d'un héros de Shônen, à commencer par le fait qu'il en soit un. Basique à l'extrême si ce n'est à l'outrance, candide comme savent l'être ses congénères, il donne toutefois le change ce qu'il faut pour ne pas paraître aussi plat qu'il n'aspire à l'être. Sans parler pour autant de relief dans son caractère, suggérons au moins que ce dernier soit un tantinet bosselé dans sa platitude. Certainement pas assez pour dissimuler les grossières malfaçons. Chacune des têtes du bétail humain faisant office de personnages ne se distingueront que par une seule caractéristique propre ; on les dissocie les uns des autres comme on identifie une vache par rapport à une de ses camarades laitières, aux taches. En dehors de ça, elles meuglent et broutent toutes si bien qu'on ne saurait les différencier autrement. Les bovins ont en tout cas le mérite de ne pas irriter ceux qui les contemplent alors que l'hystérisation couplée à l'infantilisation de certaines relations et réactions entameront les nerfs de ceux malheureusement habitués à lire de la qualité. Elisabeth aura beaucoup pesé dans la balance. Elle est cette héroïne pleurnicheuse aux yeux sans cesse humides qui ne grandira pas l'image des femmes dans le milieu du Nekketsu. Le petit chien docile et jappeur de Méliodas. Un chien aussi collant que geignard, le genre qu'on fait piquer prématurément ; Méliodas, lui, lui aura passé la bague au doigt.
Avec son lot de personnages monodimensionnels et plats, Seven Deadly Sins s'aborde comme une route nationale, une longue route où il ne nous reste qu'à regarder le paysage et prendre son mal en patience d'ici à ce que l'on arrive à destination.


Enfin, le paysage, il faudra se le représenter figurativement alors que les premiers tomes ne nous concèdent guère que des décors à la petite cuillère. Les trois quarts des cases en sont bien dépourvues et, plus tard, l'auteur empruntera tous les détours de mise en scène possibles et imaginables afin qu'il n'y ait pas lieu d'en dessiner. Tout porte à croire que cette histoire aura été écrite et surtout dessinée sans assistants.
Il ne faut pourtant pas hésiter à demander de l'aide, tout spécialement pour l'écriture du récit.


Pour avoir lu et découvert les deux à une courte intervalle l'un de l'autre, la réalisation m'a d'abord sauté aux yeux avant de très vite de me prendre à la gorge : je relisais purement et simplement Dragon Quest : La Quête de Daï. Une réactualisation aux infimes variations qui joue à un jeu dangereux alors qu'elle se trémousse sur les limites du plagiat. Que les univers fantastiques de Shônen se ressemblent tous, c'est acté ; que les deux présentent ici des similitudes quasi-calquées, ça interroge.


La forme est aussi incriminable que le fond dans la tentative de plagiat qui - je l'admets - transcende celle de La Quête de Daï ; la différence étant toutefois de taille alors que Dragon Quest bénéficiait de la primeur du répertoire. Les dessins sont similaires et rappelleront immanquablement Dragon Quest à qui l'a lu. Des dessins qui ont cependant le mérite de surclasser ceux de Koji Inada en terme de détail et d'élaboration. Le trait ici fin et élancé offre même un rendu plus supportable au calvaire. C'est aéré dans le style. Style qui cédera évidemment à la mode des traits plus épais aux tons noircis et opaques sur la fin. Ça avait un style et ça fini en resucée graphique de Fairy Tail.
On reconnait ceux qui ne s'assument pas à leur suivisme plutôt qu'à leur volonté de suivre leur propre voie ; à ce titre, Nakaba Suzuki restera prudemment dans le chemin tracés par d'autres avant lui, prenant bien soin de ne surtout pas dépasser les limites des sentiers battus. Si ça n'a aucune motivation et que ça n'ose rien, ça rentre dans le rang et obéit sans déroger à la norme. Ce sens de la discipline somme toute nippon doit expliquer en partie le conformisme ambiant et exécrable dans l'édition manga à ce jour.


Car le conformisme ne s'arrêtera bien évidemment pas aux dessins. Fidèle à ce qu'il copie, l'auteur ne dérogera des éléments phares de La Quête de Daï pour rien au monde. Ici aussi, le déroulé et le rythme de l'intrigue ne souffrent d'aucune halte d'aucune sorte ou de la moindre phase même vaguement réflexive - le propre du Shônen contemporain étant justement de prévenir toute forme de réflexion chez son lecteur. Je ne m'abaisserai pas à faire le compte des antagonistes virant de bord en cours d'intrigue comme j'ai pu le faire pour Dragon Quest. Je vaux mieux que ça. Enfin, non. J'ai simplement la flemme d'énumérer la myriade d'éléments susceptibles d'accréditer ma thèse de Seven Deadly Sins comme suite non assumée de Dragon Quest : La Quête de Daï.


Autre ressemblance - que je crois cette fois fortuite - avec un manga concurrent : Übell Blatt. Cette histoire de Chevaliers Sacrés qui s'imposent comme des protecteurs bienveillants mais qui sont en réalité des usurpateurs n'est pas sans rappeler les filouteries de Glenn et ses copains. Juste une mention en passant, mais rien de franchement rédhibitoire ; encore moins d'intéressant.
Quant à la dernière référence, elle apparaît évidente à la simple lecture du titre alors que la thématique des sept péchés capitaux fut partagée en son temps avec Full Metal Alchemist. La proximité aurait pu s'arrêter à la thématique et à la thématique seulement, mais qui n'a pas vu de ressemblance douteuse entre Ban et Greed ou King et Pride a regardé ailleurs.


Pour ce qui est du contenu en un mot - et pas en deux, car le con tenu, c'est le lecteur agrippé à ces volumes sans substance - il est à la mesure de La Quête de Daï, la fraîcheur de la nouveauté en moins. De la force surhumaine toute droit sortie du fondement des enfers, aucune sensation que les personnages aient évolué en terme de puissance, des combats en saccade et pas un coup qui ne soit digne d'intérêt : un résumé de Shônen comme un autre à ce jour.
L'auteur aura tout de même tenu cinq volumes d'ici à ce qu'il n'inclut un arc tournoi ; le côté tournoi en moins. C'est une idée qu'il a eue. Pas une bonne, mais elle est de lui, on ne peut pas lui ôter. Fairy Tail et Dragon Quest l'avaient eu avant lui, il est vrai. Quelle tempérance que de se retenir si longtemps avant de s'abandonner à l'arc cliché par excellence, surtout lorsque l'on ignore où on se dirige dans sa trame ne serait-ce qu'à moyen-terme.
De scénario, nous n'en aurons aucun a priori. Un début : un postulat, une fin : un épilogue prévisible ; entre les deux, un milieu qui se révélera uniquement à nous comme un énième prétexte Nekketsu à enfiler les combats tapageurs les uns après les autres. Puis, disséminés aléatoirement au gré des obscurs désidératas de l'auteur, on retrouvera des éléments de la légende arthurienne piochés çà et là sans lien logique. Suzuki aura cherché chez Chrétien de Troyes ce que d'autres ont fouillé dans la Bible pour le restituer dans Neon Genesis Evangelion : de la référence d'apparat ; du mythe pour faire plus «classe». On ne reprend que les noms et les symboles sans jamais les approfondir. Il ne faudrait pas non plus que l'auteur risque un claquage en formulant le moindre effort de construction dans son récit.


C'est finalement Samurai Deeper Kyo qui recommence : on multiplie les organisations sorties de nulle part pour ne surtout pas freiner l'interminable succession ininterrompue de combats brouillons et fades. Peu importe leur justification d'ailleurs du moment qu'ils aient lieu pour meubler sans discontinuer. C'est compulsif, les protagonistes ne peuvent pas s'arrêter deux minutes pour s'écouter réfléchir, il faut castagner sans intermède. À croire que l'auteur ne sait pas capter autrement l'attention de ses lecteurs. Déjà pas en écrivant une histoire.
Les chevaliers sacrés dont les six étoiles du ciel azur, les six chevaliers noirs, les dix commandements et je retiens quatre archanges.... la déferlante incessante d'antagonistes sans charisme ni raison d'être a tout du ridicule le plus insigne alors que l'auteur use et abuse de la grosse ficelle du genre à l'envie. La sienne, pas la nôtre.


Qui aura ouvert un conte pour enfant dans sa vie a déjà lu la fin de Seven Deadly Sins : Méliodas terrasse la princesse et épouse le gros monstre. Ou l'inverse, c'est selon. Je ne saurais en tout cas dire qui de Cath ou d'Élisabeth est le plus monstrueux au regard de mes critères d'appréciation.


Aussitôt rentré dans la postérité, aussitôt expédié des mémoires, Seven Deadly Sins a beau être récent, il reste aujourd'hui quasiment immémoré de tous. À juste titre. Les effets de mode éditoriaux sont de plus en plus éphémères en dépit de leur durée parfois outrancière. Quarante-et-un tomes pour ne rien dire et ne rien faire ; je connais un autre mangaka qui, en son temps - a lui aussi fini son œuvre en une quarantaine de tomes. Force est de constater que celui-ci, tout fainéant qu'il était, a mieux su mettre son temps à parti.
Un Jean-Foutre qui sait de quoi il parle aura toujours plus à dire qu'un petit malin peu loquace. Nakaba Suzuki a poussé un cri aphone qu'on aura cru entendre l'espace d'un long instant. Notant finalement le silence qui en résulta, on oublia bien vite qu'il avait tenté de le souffler. Si l'auteur aura pu exprimer une chose et une chose seulement avec Seven Deadly Sins, c'est qu'il ne savait pas de quoi parler.

Josselin-B
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le 16 juin 2020

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Josselin Bigaut

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