De Togashi, je prends tout. Mais raisonnablement. J’ai beau être fanatique, je le suis l’esprit clairsemé. Aussi, si j’adule et j’encense un auteur au point parfois de le révérer plus que de raison – encore que – je sais lui reconnaître ses torts. Tende shōwaru kyūpiddo est un manga qui, lorsque vous savez qui l’a écrit, vous conduira à dire en balbutiant : « Il fallait bien qu’il commence quelque part ».
Mais de là à commencer par ça.
Parce que parmi vous, honteux profanes et hérétiques de dernière bourre, vous ne saviez pas que la carrière de mangaka du petit père Togashi se sera initiée sur une comédie romantique. Ça la fout mal, hein ? On aurait aimé dire de lui que son génie macérait très tôt et qu’il s’annonça de ce fait dans les pleines pages de Yu Yu Hakushô. Mais non. Ce mangaka révéré du plus grand nombre pour une excellente raison aura, comme beaucoup, commencé par ramper avant de nous gratifier de saltos. En Inquisiteur auto-proclamé de la sainte Église de Togashi, je condamne ces lecteurs qui, à mon sens, n’aiment pas les œuvres du maître à leur juste valeur. De même que c’est salir le caviar que d’y goûter après un burger, on ne se régale pas d’Hunter x Hunter après s’être essuyé la bouche dans du One Piece. À Hunter x Hunter, quand on lui compare des œuvres analogues, on ne compare pas des torchons et des serviettes mais des kleenex usagers et des tapis brodés à la main. Quand on prétend aimer un auteur, on s’efforce de connaître ses œuvres sans rougir des plus honteuses. Car il en est question ici.
Si, avec Ookami nante Kowakunai, Yoshihiro Togashi présentait déjà les étincelles du brasier qui animerait bien plus tard la passion de ses lecteurs, Tende shōwaru kyūpiddo fera en revanche l’effet d’une douche froide. Il s’agit de sa première publication qui ne soit pas un One-Shot, celle-ci s’étant poursuivie sur quatre volumes de temps. Et si les inconditionnels du maître n’en parlent que très rarement, c’est sans doute par pudeur.
Il lui fallait un marchepied, à Togashi, pour faire des séries qui lui plaisent. Ça impliquait de commencer avec ce qui était tendance pour se faire remarquer. Car on ne peut pas se permettre d’être un auteur de Shônen anticonformistes en publiant du Level E sans avoir au moins fait ses preuves avant. Tende shōwaru kyūpiddo furent ses premières passes d’armes. Elles étaient maladroites et incomparables avec ce dont il nous gratifie aujourd’hui… mais il fallait bien commencer quelque part.
Et ce quelque part, ça nous conduit par-là. Par-là, chez Ryuji, un fils de chef de clan Yakuza qui a vu poindre un démon nu dans une forêt. Un démon féminin, bien entendu. Il s’en va ensuite prévenir ses quatre demi-sœurs dont l’une lui proposera de dormir avec lui s’il a peur avant que les quatre ne le déshabillent – dans un contexte potache, bien entendu. Il ne s’est pas écoulé un chapitre que, déjà, le scénario à des allures de mauvais hentai.
Comment ? Vous ne savez pas ce qu’est un hentai ?
……
Moi non plus.
Je sais simplement que Hideaki Togashi, le frère de Yoshihiro Togashi, en a écrit plusieurs signés de son nom propre.
Ce serait néanmoins se fourvoyer que de clamer qu’il n’y a aucune espèce de parenté entre Tende shōwaru kyūpiddo et la suite des œuvres de son auteur. L’idée de l’apparition d’un démon renvoie à Yu Yu Hakushô, mais pour assouvir ici un autre registre. Enfin, la manière dont la narration présente les quatre sœurs, en situant de quelle épouse elles sont issues, n’est pas sans rappeler la présentation des princes de Kakin dans HxH. Il avait déjà sa patte, mais elle était encore trempée dans l’édulcorant pour qu’on ne puisse pas trop en apercevoir les griffes. Mais un lecteur avisé sait la reconnaître.
Je l’avais fait remarquer lors de ma critique de Ookami, mais il y a ici dans le trait un semblant de Rumiko Takahashi. Quelque chose qui se prête très bien à la légèreté du fait de tons féminins et même enfantins. Nous sommes, du reste, dans la droite lignée du courant des comédies romantiques qui ne fleurissaient que trop à cette époque.
L’œuvre sera ainsi faite de poncifs convenus jusqu’aux plus inqualifiables extrémités alors que, comme de juste, Maria, notre démon, viendra non seulement faire sa scolarité dans la école que Ryuji, mais en plus, s’installera chez lui. Oui, Yoshihiro Togashi, auteur de Shônen renommé et estimé à juste titre pour son infini talent… a dessiné ici ce qui se présente indubitablement comme un pastiche de Maison Ikkoku. Écrire cette dure vérité, c’est profaner une idole. On a presque le sentiment de renier sa foi quand on en prend la réelle mesure.
Tout y es exubérant comme sait l’être un manga de Rumiko Takahashi. Ça gueule pour un « oui » ou pour un « non », ça s’agite perpétuellement, ça multiplie les grimaces mille fois dessinées ailleurs… nous sommes vraiment dans le Shônen bas de gamme par excellence comme savait en produire l’époque.
Et la proximité avec le hentai se renforce quand on apprend que Maria a été engagée par le père de Ryuji avant de faire un homme de ce dernier. Cette lourdeur… je n’avais jamais connu ça sous la plume de Togashi qui, alors, pour l'occasion, frayait allègrement dans le racoleur et la beauferie vulgaire. L’image qui illustre son édito d’auteur le représente d’ailleurs en train de faire un doigt d’honneur. Nous en étions à ce niveau-là. Tende shōwaru kyūpiddo est clairement l’œuvre d’un mangaka immature qui s’essayait à ses premiers coups de griffe.
De comédie romantique, le manga n’en a ici que la catégorisation. Car outre la romance induite et larvée comme on en retrouve dans tous les mêmes mangas du genre, la comédie est absente. Et ce ne sont pourtant pas les tentatives cherchant à nous faire rire qui manquent. Les sourires et les éclats sonnent faux, tout y est prévisible, il n’y pas une trace d’humour susceptible de nous faire rire. J’ai peut-être relevé la commissure de mes lèvres de quelques degrés en voyant le père de Ryuji fumer plusieurs cigarettes à la fois pour tromper la colère… mais un rictus modéré en quatre volumes, ça ne nourrit pas son lecteur.
On a beau y agréger l’enjeu de la domination du monde des démons reposant sur la corruption de Ryuji, ça ne rend pas le plat plus digeste. Il se passe des chapitres entiers sans que rien, pas même un atome de quelque chose ne nous évoque la présence de Yoshihiro Togashi à l’autre bout des crayons. Aurait-il utilisé un nom de plume à cette époque que personne n’aurait jamais trop su lui attribuer la paternité de l’œuvre. Lui qui est si friand des choses occultes ne sera pas parvenu à en distiller ici, même discrètement. De ça, on peut légitimement lui en vouloir dès lors où il est question de démons dans l’intrigue.
Les histoires courtes qui nous sont présentées ne sont même pas inventives a minima. Vous connaîtrez la chute de chaque chapitre en entamant la première page. Et tout ça dure jusqu’à ce que leur relation d’amour devienne plus pesante, jusqu’à ce que, le plus prévisiblement du monde, ils se retrouvent en couple en s’en aillent marcher en amoureux vers l’horizon en se tenant par le bras. Tant de clichés d’un coup aura manqué de m’aveugler.
Si vous souhaitez savoir pourquoi personne ne se souvient de Tende shōwaru kyūpiddo, c’est d’abord car il n’y a rien à en retenir mais surtout, parce qu’on se fait un plaisir de l’expurger de sa mémoire quand on sait qui l’a écrit. Mieux vaut se tromper la mémoire et se mentir à soi-même que d’associer le nom de Yoshihiro Togashi à une œuvre pareille. Il fallait bien qu’il commence sa carrière quelque part… mais comme ça ?Dr. Slump, pour piteux qu'il fut, avait au moins pour lui l'originalité de son trait et ses attraits. C’est à croire, ici, qu’on voulait tuer le mythe par avance. Je puis en tout cas attester avec assurance que personne, en ayant lu cette seule œuvre de lui, n’aurait un jour pu deviner qu’il deviendrait l’auteur qu’il est aujourd’hui. Jamais en tout cas je n’aurais accordé une once de crédit à un mangaka capable de se commettre si piteusement avec une comédie romantique aussi mal foutue. Et pourtant, Dieu sait que j’aurais eu tort.