La philosophie comme la morale se rappellent à moi chaque fois que j'attaque un Shônen. Dernièrement, bien des interrogations quant aux distinctions entre l'art et la technique m'auront agité l'esprit. De mes détractions plurielles, j'aurais, en plus de quelques crises de nerfs entre autre pertes de foi en l'humanité, trouvé de quoi écrire un traité philosophique sur l'art, le goût et l'industrie. Que les élèves de philo des siècles futurs me pardonnent alors qu'ils seront forcés de m'étudier sans jamais me comprendre.
Comment ne pas s'interroger sur le rapport d'un auteur à l'art quand ce qu'ils conçoivent et composent tient à la stricte manufacture de masse. Tout ce qui encadre le Shônen aujourd'hui tend quasi-systématiquement à nous le présenter comme le plus rebutant des produits de consommation qui soient. J'en viens à nier la possibilité du processus de création artistique que certains pensent contempler. L'industrie du manga n'est que l'illusion de l'art.
Toriko aura été un produit sur lequel son industrie aura capitalisé comme jamais. Son succès - en demi-teinte - n'aura été que la triste résultante d'une campagne marketing agressive qui, par tout moyen, aura cherché à forcer ce Shônen auprès des lecteurs en le leur présentant comme une légende incontestable. La postérité aura jugé de cela. Sévèrement.
Puisqu'il faut renouveler les étalages et que rien de bien probant ne s'y présentait depuis longtemps, le Shônen Weekly Jump était aux abois. Son magazine était - depuis près d'une décennie - exclusivement tracté par le trio de tête de son magazine avec en tête One Piece, suivi de Naruto puis de Bleach. Bleach fatiguait alorsà. En tout cas, il ne séduisait plus comme aux temps jadis. Il fallait un nouveau succès Shônen... quitte à ce que celui-ci fut entièrement factice. Alors, pour l'occasion, on aura sorti l'artillerie lourde. On aura même été jusqu'à créer un épisode croisé de Toriko, One Piece et Dragon Ball afin de laisser entendre que les trois se valaient au regard de la renommée qu'ils suscitaient.
La campagne aura pris un temps auprès des lecteurs. Un court temps. Les fioritures entourant la parution du manga abandonnées - car on ne pouvait pas entretenir le marketing éternellement - alors, Toriko retrouva sa place d'attribution : dans l'oubli. Un jeune loup, que dis-je, un charognard aura cru pouvoir se payer un vieux lion au prétexte que ce dernier paraissait mourant et s'y sera cassé les dents. On retiendra Bleach, pas Toriko.
Car, une fois à nu, sans les soieries du marketing confectionnées sur mesure, Toriko n'est plus que ce qu'il est, à savoir pas grand chose. Disons-le franchement et sans détour, nous sommes en pleine parodie de Shônen non-assumée. Quand le personnage principal est un gros musclé ayant raison de tout et surjouant une virilité - pourtant puérile - c'est que la beaufferie Nekketsu va turbiner à plein régime et qu'elle n'aura rien de plus à offrir que celle déjà étalée par ses prédécesseurs. Toriko n'a véritablement aucune ambition et se contente aisément de cet état de fait pourtant lamentable.
Ma foi en l'humanité fut toutefois restaurée l'espace d'un instant en ce sens où le lectorat - malgré la publicité poussive - se sera largement détourné de l'affaire sans grand regret.
Ces mangakas Shônens.... sans doute savent-ils dessiner - quoi que leurs crayonnés tendent parfois à se confondre - mais ils ne savent décemment pas écrire. Se sont-ils déjà intéressés au mal-fondé ou au manque de pertinence que recouvrait le fait qu'un personnage principal soit peu ou proue invincible au naturel ? Le calcul qu'ils en font me paraît clair «Un costaud qui défonce tout, c'est la classe». À cette «classe» (ou l'a ou on ne l'a pas, et l'auteur ne l'a pas), je privilégie en principe la construction d'un récit plus élaboré où le personnage principal peut partir de zéro pour progresser graduellement, nous permettant de suivre ses progrès pas à pas. C'est le principe du Nekketsu dans ses soubassements les plus élémentaires et cela, Mitsutoshi Shimabukuro n'a même pas été foutu de l'ingérer et encore moins de le restituer.
Lancez un RPG. Pas maintenant ! Continuez de lire la critique. Imaginez que vous commencez la partie avec des personnages qui, dès le départ, seraient tous au niveau maximum. Me feriez-vous l'affront de prétendre que votre partie serait plaisante ? Non, vous vous emmerderiez comme jamais puisque rien ne vous résisterait. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Toriko n'est fait ni de périls et encore moins de gloires, il ne repose que sur de bêtes combats dont l'issue est jouée d'avance. Si je connais systématiquement la fin de ce que je lis... à quoi bon lire si pas même un soupçon de garniture n'est agrémenté en sus du reste ?
Le personnage de Toriko est d'ailleurs la plus illustre analogie de son traitement marketing puisque sa renommée est faite avant même qu'il n'ait eu quoi que ce soit à présenter. Le voilà un des quatre empereurs gourmets alors que le premier tome est à peine entamé. Cela équivaudrait à ce que Luffy ne débute One Piece comme l'un des quatre Empereurs pirates. De là à dire de Shimabukuro qu'il a copié allègrement le principe des quatre empereurs sur One Piece tout comme il a ouvertement «emprunté» le concept des Hunters Gourmets de Hunter x Hunter.... Ce manga n'a rien pour lui. Il n'a mêle rien à lui. La purge ici est à peine plus supportable que celle d'un Fairy Tail ; j'y retrouve les mêmes malfaçons propres à ces Nekketsus qui cherchent à en être en simulant les codes plutôt qu'en les incarnant. Une forfaiture Shônen de plus, mais une conséquente cette fois.
Quoi qu'on en dise, l'imaginaire entourant l'univers de Toriko est d'une pauvreté abyssale. Ce n'est pas tant une construction qu'on observe qu'une suite d'improvisations. D'improvisations bien peu inspirées qui plus est.
Food Wars nous en mettait bien plus dans la vue sans aucun ingrédient de fiction. Avec Toriko, on innove rarement, toujours de la viande d'un gros monstre ou d'ingrédients convoités autour desquels gravitent... d'autres gros monstres. La ritournelle est vite connue et surtout lassante.
Le plat du jour nous aura été ici servi sur son lit de dessins plutôt rudimentaires où les personnages ne se distinguent certainement pas par la subtilité du trait mais des artifices superflus les recouvrant. Le reste est particulièrement convenu. Expressifs, ils le sont. Ils ne sont même que ça puisqu'ils affichent sans cesse des expressions démesurément controuvées afin de dissimuler la fadeur des façades qu'elles recouvrent.
Bien entendu et sans surprise aucune, les personnages n'ont aucune saveur, s'en tenant chacun à une ligne de caractère. Komatsu aura été la pire pom-pom-girl tous Shônens confondus, devant Sanae de Captain Tsubasa malgré son petit surplus de rôle qui lui tient lieu de lot de consolation. Il n'y a rien d'attachant à retirer d'un produit manufacturé. Les sentiments que certains affectent de lui vouer ne viennent que de l'importance qu'ils daignent accorder à Toriko mais certainement pas à ce que ce dernier représente réellement. Toriko est un plat coloré mais sans goût.
Tout y est si archétypiques que j'en viens à sérieusement considérer qu'un pareil scénario aurait pu être rédigé par mes soins en deux heures de temps. L'inévitable organisation maléfique toute faite viendra avec la Gourmet-corp. C'est le schéma classique. Quand on sent que les lecteurs saturent de ne vois que des monstres sans cervelle se faire occire, on passe la vitesse pour inclure les figures humaines afin de continuer à donner le change. C'est exactement comme cela qu'avait procédé Bleach.... mais en réussissant son coup et en travaillant ses antagonistes. Comme quoi, il ne suffit pas de tuer Jesse James pour devenir Jesse James, cela, l'auteur l'aura ici appris amèrement alors qu'on l'oubliera aussitôt son manga conclu, ne revenant sous le feu des projecteurs que le temps de quelque affaire de mœurs.
J'ajouterai - car j'ai à cœur d'enfoncer le couteau dans la plaie - que Tite Kubo avec Bleach savait soigner ses combats et son dessin, ce que Shimabukuro est décidément bien incapable de faire. Des affrontements sans grâce ni même une quelconque maîtrise de la violence. Et cela, à foison. C'est trop fouillis pour seulement s'apprécier comme des combats de chiffonniers ; les idées pèchent presque autant que celles de la mise en scène. On ne sait d'ailleurs qui des deux dessert le mieux l'œuvre qu'ils sont en principe censés servir et magnifier.
La nature étant habituellement bien faite, les moches, pour compenser, ont quelques attributions pour se rattraper ; l'humour généralement. Mais la nature n'est pas toujours remarquablement foutue. De même que certaines sont à la fois moches et connes (non, je ne ferais aucune remarque désobligeante sur les féministes aujourd'hui, n'insistez pas), Toriko est mal foutu et dépourvu du moindre nanogramme de comédie. On ne rigole pas une fois malgré les multiples et insupportables esclaffes vomies à longueur de pages par ses personnages. Tout est dans la simulation et le paraître.
Toriko, c'est exactement ce qu'on peut en attendre, sans surprise ni contenu additionnel. Le plus strict récit Nekketsu dans tout ce qu'il peut comporter de prévisibilité et d'impérities grossières ; la parodie d'un genre qui s'obstine dans l'auto-caricature. Si cela devait être résumé de manière lapidaire - et ça ne mérite au fond que ça -, Toriko, c'est Saint Seiya au flunch. L'inconvénient étant pour l'auteur qu'il a plus de trente ans de retard sur un genre qui aurait pu prendre la peine d'évoluer depuis le temps.
L'aventure n'est ici qu'une improvisation de tous les instants qui ne requiert pas des trésors d'imagination pour continuer à avancer. Elle s'embourbe d'ailleurs mieux qu'elle n'avance et nous entraîne dans sa lente descente.
Et quand enfin ça se termine, ça ne manque pas de faire honneur à ce que l'œuvre a toujours été : un monument de prévisibilité qui se paiera en plus le luxe de nous abandonner avec des pistes qui n'auront pas été intégralement exploitées. Une lecture de Toriko équivaut à un jeu de quintet où vous devez deviner qui seront les cinq derniers ; je vous prie de croire qu'ils arriveront ici dans l'ordre alors que l'auteur aura coché toutes les cases qu'il fallait éviter.