Lorsque deux jeunes auteurs chinois se rencontrent autour d'une fable écologique emprunte d'un mystère et d'une noirceur des plus poétique, lorsqu'un travail de fin d'études atterrit dans nos librairies francophones, cela nous donne un manhua envoûtant qui semble bien mériter tous les superlatifs du monde.
Selon une ancienne légende, l'union d'une femme et d'un fantôme aurait donné naissance à des êtres dont la destinée serait de vivre à l'abri des regards. De nos jours, un jeune homme mystérieux nommé Ya San, qui fut trouvé sur une plage alors qu'il n'était encore qu'un nourrisson, vit dans un village pauvre et reculé, comme tout un chacun dans une sorte de torpeur, et souffrant d'une étrange maladie lui faisant craindre la lumière du jour et lui interdisant le moindre mouvement violent. Secoué par des meurtres, des disparitions et autres maladies incurables, le village semble frappé d'une malédiction. Lorsque l'on retrouve la jeune Xiao Hua noyée dans le canal, Ya San sort enfin de sa torpeur et pénètre dans la zone interdite afin d'enquêter sur ces évènements troublants. Ce qu'il découvrira dépassera de loin tout ce qu'il aurait pu imaginer.
Bien que le premier choc reçu lorsque l'on ouvre Ya San soit d'ordre graphique, nous allons tout d'abord nous pencher sur le scénario. Écrit par Wang Bang, une jeune femme à la fois réalisatrice de cinéma et écrivaine, cette fable poético-fantastique assume parfaitement sa forme littéraire. L'histoire nous est en effet contée par un narrateur externe servant de passerelle entre la nouvelle et l'œuvre graphique. La scénariste nous entraîne dans un univers duquel on ne peut difficilement sortir sans avoir atteint la dernière page qui, d'ailleurs, laisse un petit goût amer. Non pas que la fin soit bâclée, mais la conclusion choisie nous laisse sur quelques interrogations qui auraient pu trouver réponse dans des planches supplémentaires.
La véritable découverte et l'autre point fort de Ya San est sans conteste son dessinateur, Huang Jia Wei, dont il s'agit de la première œuvre dépassant les cent pages. En effet, ce manhua fut présenté en tant que travail de fin d'année pour couronner ses études de dessin et n'a jamais été publié avant sa parution chez Kana. Et il faut reconnaître que ce jeune dessinateur de 24 ans est diablement doué. Il installe un graphisme personnel d'une incroyable finesse, tout en crayonnés réhaussés de quelques trames. Chaque planche est un véritable bonheur pour les yeux et Huang Jia Wei fait preuve d'une vraie maîtrise des ambiances.
À la fois d'une beauté enchanteresse et d'une noirceur dérangeante, Ya San est une oeuvre forte à tout point de vue et qui mérite d'être placée bien en évidence sur nos étagères. Quant aux réticents à la bande dessinée asiatique, on ne peut que leur conseiller de ravaler leurs préjugés sous peine de passer à côté d'une véritable réussite.