Mise en bouche idéale dans l'univers de Nihei, incursion dans la vallée de l'étrange, mais aussi plongée en eaux sombres dans l'une des créations SF les originales, Abara, diptyque paru en 2007, ne laisse pas indifférent.
Au travers d'un coup de crayon nerveux et brouillon et des traits noirs ultra saturés, un univers malaisant apparaît. Derrière ce griffonnage intensif, on y découvre un monde gothico-cyberpunk où des citadelles filiformes se dressent dans une logique architecturale aberrante. Les humains tentent de maintenir un semblant de société dans ce monde mais l'apparition d'êtres monstrueux, des Shirogauna, massacrant tout sur leurs passages, les amènent à la panique.
Il existe cependant une légende narrant l'existence d'êtres semblables à ces créatures faites de vertèbres et d'os, les Kurogauna, et qui serait capable d'en venir à bout. En suivant plusieurs personnes dont les histoires vont s'entremêler, découvrirons-nous la vérité derrière l’apparition de ces créatures ?
S’il y a une chose dont on doit faire de suite l'éloge, c'est bien le travail ironiquement monstrueux sur les designs des créatures, dont les contrastes dévoilent chacun de leurs os durant les transformations. Certaines pages donnent la pose à ces êtres démoniaques dont on peut admirer toute la complexité de détails de leur squelette silicique. On comprend mieux d’où Fujimoto a tiré son inspiration pour les designs de son manga Chainsaw Man !
Le rythme est cependant complexe à tenir, au début. En effet, Nihei prend un malin plaisir à ne donner que peu d’indices à son lecteur, le laissant ainsi seul responsable de l'assemblage du puzzle scénaristique. Les scènes d’action, parfois complexes à suivre, restent quand même diablement énergiques et usent d'une violence sans nom pour rythmer des affrontements bestiaux, vers une conclusion cryptique.
Le format one-shot laisse très peu de temps pour développer ses personnages, mais permet d'être concret et d'aller droit au but. Ceci offre donc un immense théâtre pour laisser se propager la rage destructrice de ces proto Chainsaw Man à la carapace indestructible.
Au fur et à mesure que l'humanité semble se consumer dans ces grandes citadelles vides, on observe donc son extinction inexorable pendant que ces êtres surnaturels se livrent à des affrontements sanglants. Voilà le monde de Abara.