The crowd goes silent. Except for [Elektra]... She whispers. Knowing only I can hear it. The only voice in the world. She says...
"I bought it. All of it. Your home. Your Hell. I don't understand you. I never did, really. But do what you need to do. Make your foolish sacrifice. Your home is safe...
... Matthew"
C'est pour des moments de grâce comme celui-ci que je lis des comics. Pour situer l'action, nous sommes dans une salle de procès. Daredevil, accusé de meurtre rentre et s'installe, son masque de justicier sur le visage pour protéger son identité. Il a tué un homme par accident et il souhaite que le super-héros qu'il est soit puni pour cette action. Mais il avait besoin de savoir Hell's Kitchen en sécurité avant d'accepter son sort. Or, les vautours sont aux portes.
Et voilà qu'Elektra, du fond de la salle d'audience, d'un murmure si léger que seul le diable rouge, à l'autre bout de la pièce, sur les bancs des accusés peut l'entendre, lui indique qu'elle lui fait ce cadeau. Elle protègera Hell's Kitchen. Elle en sera la propriétaire. Elle en sera la régente. La gardienne.
L'émotion est palpable sur le visage de notre héros. Mais le coup de poignard émotionnel, celui-ci qui va achever de nous mettre à nous comme à lui la larme à l'œil, dans cette séquence au silence d'or, c'est le dernier mot, "Matthew", comme un murmure d'outre-tombe, 40 ans d'histoires qui reviennent à la vie par la seule force d'un mot, d'un nom, son nom.
Pour comprendre cela il faut revenir en 2015. Daredevil, après près de une grosse douzaine d'années de publications où son identité secrète avait été révélée au monde, réussit par un tour de passe-passe à la faire oublier. Il peut retrouver sa double vie. Matt Murdock le jour, Daredevil la nuit. Mais cela a eu un coût : tous ceux qui étaient au courant de ce secret l'ont oublié, tous, ennemis mais aussi amis. Ainsi, Elektra, l'amour de jeunesse de notre héros pour qui les deux facettes de Matt n'avaient jamais fait qu'une, se retrouve à les distinguer. Les deux amants maudits n'ont même plu ces souvenirs à partager. Leurs chemins s'étaient séparés il y a une éternité et voilà que Marvel enterraient jusqu'aux souvenirs qui les liaient.
Nous sommes maintenant en 2021 et par un simple mot, Elektra nous révèle qu'elle est bien au courant de l'identité de Matt, que ses souvenirs sont là, que leurs destins sont toujours entremêlés.
Nous en sommes au cinquième tome du run de Chip Zdarsky sur Daredevil. Acclamé d'entrée par une majorité du public, je dois admettre que j'ai eu beaucoup de mal à suivre le mouvement. Oui il proposait des histoires de qualité, mais il manquait quelque chose à mon sens. J'avais l'impression d'assister à un remix des histoires à succès du personnage, un soupçon de polar à la Miller, une thématique catholique appuyée, un DD qui s'enfonce dans une spirale négative tandis qu'un Caïd ne cesse de prendre de l'importance (instauré en tant que maire de New-York par le scénariste Soule, prédécesseur de Zdarsky sur la série). Il manquait l'originalité mais plus encore il manquait un brin de passion pour me faire adhérer pleinement à l'œuvre.
Avec ce cinquième tome, me voilà pleinement conquis. Le talentueux scénariste a fini de mettre en place ses pions, si le tome 4 constituait la conclusion de son premier acte, ce tome 5 forme la transition vers l'acte II qui enfin va amener un vrai vent de fraîcheur par rapport aux histoires du diable rouge. DD va en prison, Elektra revient au centre du récit (première fois depuis 1994 et "Fall From Grace" qu'Elektra va s'offrir une grande saga au sein des pages de Daredevil).
S'aiment ils ? Non. Ils se sont aimés jeunes mais leurs chemins étaient trop différents. Et quelque part, cet amour de jeunesse a été pour Elektra la seule étincelle de pureté dans une vie de combats et de meurtres.
Tu étais la lumière Matthew. C'était l'exaltation des premiers jours. Rien que nous deux. Les corps mêlés parsemés de gouttelettes de sueur. Tu rayonnais. Moi j'étais terrifiée. Et l'obscurité ne m'a jamais quittée.
Désormais Elektra a besoin non de Matt mais de Daredevil, une fois de plus, dans son éternelle croisade contre la Main. Mais Matt n'est plus le jeune naïf d'autrefois. Il a ouvert les yeux sur qui est Elektra, une assassin, une fanatique qui dans la lutte séculaire entre deux sectes balance d'un camp à l'autre, laissant toujours une traînée de cadavres sur son sillage.
La différence entre elle et moi, c'est que moi j'ai tué. Elle, c'est une tueuse.
Je ne te fais pas confiance. Tu es un assassin. Tu te sers des gens. Tu es fatiguée de toute cette noirceur ? Tu veux oeuvrer pour la lumière ? Prouve-le.
Et voilà Elektra qui fait son choix.
L'idiot. Moi aussi d'ailleurs. Je pensais pouvoir acheter sa confiance en faisant l'acquisition de Hell's Kitchen. Maudit quartier. Juste une grosse verrue qui défigure le paysage new-yorkais. Et il m'appartient. L'assassin bailleur. Quel gâchis.
Matt Murdock est idiot. Mais j'ai besoin de lui. J'ai besoin de lui pour parvenir à mes fins. J'ai besoin qu'il croie en moi. Il pense que Hell's Kitchen a besoin de Daredevil ? Quelqu'un qui veille sur les gens, à la fois violent et bien intentionné ? Entendu. Je serais ton Daredevil, Matthew...