Ceux qui me connaissent le savent, je n'apprécie pas Grant Morrison, et j'use là d'un euphémisme. Amateur de Superman, j'avoue avoir été profondément déçu lorsque j'ai appris que le reboot des new 52 du personnage serait orchestré par la starlette du monde des comics.
Le premier tome m'avait révolté de par son traitement du personnage allant, ne renouvelant le personnage quand détruisant les fondements même de l'icone. J'avais pourtant été étonné, qu'outre la trahison que représentait cette approche, elle se laisse lire et évitait les défauts propres au scénariste. La fin du tome semblait annoncer un second tome, imbitable typique de l'auteur. Surprise à nouveau, le second tome, bien que totalement vain et n'hésitant pas à reprendre quelques gimmicks habituels du scénariste se lisait encore mieux car moins centré sur les origines et la personnalité de Superman, il en devenait moins scandaleux. Sans déborder d'enthousiasme, je m'engageais donc sans désespoir dans le dernier tome de Morrison consacré au personnage. Prêt à pardonner la vanité habituelle du mégalomane, je ne pouvais que ressentir un soulagement à voir se finaliser ce run.
Mais non, je ne peux m'empêcher d'être à nouveau scandaliser, par l'abyssale nullité de celui-ci. Le pire de Grant Morrison s'y retrouve. Au scénario, confus, cousu de fils blancs, prétentieux et ridicule s'ajoutaient d'hideux dessins. Se succèdent principalement dans ce tome, Rag Morales et Brad Walker. J'avoue méconnaître ce dernier, ces dessins manque de détails, les visages se révèlent totalement anodins, sans réelle émotion et dépersonnalisés. A priori, un dessinateur qui manque de talent, aurais-je eu envie de me dire alors. Mais vint alors, la révélation, l'autre dessinateur : Rag Morales. Lui, je le connaissais. Et j'avais notamment apprécié son travail dans le cross-over Crise d'identité. Et bien, je ne l'ai pas reconnu. Ces hideux dessins semblaient nous dire de pardonner la banalité et la facilité des dessins de Walkers en comparaison, qu'on pouvait oublier si tôt vus. Alors que Rag Moralès, mon dieu, ces dessins sont ici d'une inégalité incroyable. Sur une même page, et dix cases différentes, jamais le visage de superman ne se ressemble. On passe du grotesque, à l'anodin, d'une forme carré à un visage plein de rondeur. Déjà que le changement quasi-systématique à chaque numéro avait tendance à m'agacer, mais là il me semblait difficilement envisageable de considérer les cases d'une même page du même dessinateur. Un véritable calvaire visuel donc.
J'en reviens maintenant au scénario, lorsque Grant Morrison fait relativement simple, il est assez simple de démontrer à quel point l'auteur est superficiel, incapable de réel développement psychologique, de cohérence narrative, de rythme narratif subtile. Cela m'étonnera toujours que si peu de gens semblent avoir remarqué qu'il a expédié en une page, un des événements les plus important du Batman, l'arrivé de Damian. Plus ou moins sa création, et peut-être son apport le plus bénéfique à l'histoire du chevalier noir. Si lui n'a guère su réellement le développer, il le fut par la suite avec talent par bien d'autres auteurs. Evénement important, posant maints problèmes psychologiques, narratifs, et j'en passe. Le tout est balayé en une page rendant totalement ridicule, incohérent et inconsistant l'événement. Bref, s'il n'y a guère besoin de rigueur pour voir la vanité du traitement pour cet événement, le talent du scénariste tient en partie, peut-être même principalement, au fait de rendre suffisamment bordélique et confus ses intrigues, pour qu'il devienne véritablement laborieux de démontrer l'inconsistance, l'illogisme perpétuel de ces runs. A nouveau, on retrouve donc dans ce tome, une suite de numéros sans queue ni tête, qui s'enchaînent sans transitions parcourus d'ellipse. Mélangeant les époques, les intrigues. Amorçant même une intrigue, celle d'un vilain mettant en danger l'avenir, Universo, qu'il mettra finalement tout simplement de côté. A quoi bon s'embarrasser de terminer ce qu'on a commencé et mis en avant. Le pire dans tout cela, c'est que la structure même de l'intrigue faite d'une juxtaposition anarchique nous pousse à oublier même ce désastre futur mystérieux intrigant. La logique et la continuité narrative étant complètement absente, le lecteur dilettante sera suffisamment perdu pour avoir totalement oublié cette intrigue parallèle.
Je n'ai même pas envie d'analyser plus longuement cette prétentieuse mascarade. Cependant, j'aimerais revenir sur une absurdité que j'ai lu à propos de cette run de Morrison. Véritable échec, ce reboot est régulièrement qualifié de vilain petit canard des new 52. Des fans francophones de Morrison prétendent que si cette run est finalement imbitable à lire numéro par numéro, en suivant donc la publication éditoriale traditionnelle des comics américains, elle prendrait tout son sens lorsqu'on enchaine les numéros. C'est en réalité totalement faux, elle est tout aussi illogique et imbitable, car elle dépourvue de toute solidité et profondeur. J'entends pourtant parler d'une prétendue "richesse abyssale", et j'apprécie l'ironie de ces amateurs de Morrison qui ne savent finalement même pas apprécier les "véritables qualités" du scénariste. Si l'anglais est un véritable escroc, je lui reconnais un talent marketing narratif. Pas marketing et narratif. mais marketing narratif. Escroc de talent, il ne se repose pas simplement sur un marketing extérieur, c'est sa narration même qui est pensé de manière à plaire à un certain public prétendument élitiste. Les fans américains de comics, les vrais hein, les vieux de la vieille, ou du moins qui s'en réclament. Comment cela ? Tout simplement en multipliant les références à l'âge d'argent principalement, mais parfois légèrement plus récent, parfois aussi remontant même à l'âge d'or. Il est vrai, on ne peut le nier, que ses références sont légions. Et qu'il faut moultes lecture et une connaissance encyclopédique pour toutes les repérer. Bravo, plus vous en repérez, mieux vous serez classez au classement de la plus grosse quéquette. Au-delà de ça, un peu de recul et une quelconque honnêteté suffirait à se rendre compte que si l'âge d'argent a marqué une réelle progression narrative et psychologique, osant mille et une audace, foisonnant d'inventions et d'idée, il n'en reste pas moins que cet âge était en réalité marqué par une faiblesse narrative et psychologique qui faisait peine à voir dès qu'on pouvait le comparer aux narrations plus matures d'autres médias. Le comics en était à son adolescence, il n'était pas encore mûr, mais le devenait. Multipliant les délires, Grant Morrison aime à reprendre les idées, les plus loufoques et à essayer de les rendre plus premier degré, plus sérieuse. Bouffonne tentative d'élever le grotesque au sublime. Amusant jeu d'esprit, il n'en reste pas moins que le projet reste au final d'une profonde vanité, sacrifier toute intrigue réellement narrative, et toute profondeur symbolique et psychologique. Piochant dans les éléments les plus ridicules, ou les moins intéressants de l'histoire de l'homme d'acier pour tenter de les déguiser sous des apparats faussement intellectuels ! J'avoue avoir été étonné de ne pas voir Morrison piocher une idée assez récente (début des années 2000) qui aurait été typique de l'âge d'argent, si elle n'allait pas à l'encontre du fameux code déontologique, celle de la kryptonite rose rendant l'homme d'acier prêt à apprécier et même à désirer l'introduction de tiges d'aciers dans son fondement super-héroïque. Cependant, il faut donc être honnête, Morrison n'est pas qu'un simple escroc, si Adam Worth peut-être fièrement qualifié de Napoléon du Crime, le scénariste britannique mérite bien le nom de Napoléon de la fumisterie. En toute honnêteté, l'accumulation de références ridicules flattant les culturistes du comics n'est pas un élément suffisant pour comprendre le succès de l'écrivain et ni son véritable talent. Pour cela, il faut vraiment reprendre le contexte purement américain de publication numéro par numéro, de manière mensuel, des bon nombre de séries. Si les runs de Morrison sont cousus de fils blancs, il prend soin systématiquement et réussi avec talent à créer à chaque numéro une intrigue qui apparaît riche, et multiplie de pseudo révélations et rebondissement. Bien entendu, le tout est vain. Mais il faut se remettre en contexte, et appréhender la frustration qui peut naître lorsqu'un lecteur découvre un numéro qui n'est qu'une pure transition. Toute longue et bonne histoire a nécessairement besoin de prendre davantage son temps par moment, pour poser quelques bases solides. Dans les formules cartonnées que j'apprécie tant, on appréciera un temps de pause d'un numéro permettant d'offrir une intrigue plus profonde, réellement plus riche. Mais lorsqu'un numéro représente la lecture d'un mois sur un super-héros, l'effet peut se révéler une véritable déception. Vous aurez toujours quelque chose à vous mettre sous la dent avec Grant Morrison, des rebondissement, des questions en suspens, des relectures permettant de discuter sans fin en attendant le prochain numéro. Clairement, Grant Morrison est celui qui sait le mieux gérer le format de publication mensuel, il a pleinement conscience des enjeux d'une telle publication, et des attentes à court terme de son lectorat. Une telle maîtrise de son média n'est pas à la portée du premier fumiste venue. Et si je trouve cette ambition totalement vaine, typique de notre société superficielle, du zapping, privilégiant l'effet à tout prix, je reconnais ce talent à Morrison et ne peut m'empêcher alors de sourire jaune quand j'entends certains dire qu'on apprécie mieux ces runs quand on enchaîne l'ensemble dans les format cartonnés plutôt que dans les formats kiosque...
Cependant, j'aime Superman et j'aimerais terminer sur une note positive et pleine d'espoir : Urban Comics, éditeur adoré, maintenant qu'est enfin terminé cette run, remettez au goût du jour notre kryptonion adoré, publiez nous les runs suivantes et pas qu'en kiosque. Vous semblez par trop le délaisser pour l'instant ! Faites que l'avenir soit plus radieux !