La chute de la civilisation

Conan est un personnage intéressant mais dont la plus grande originalité réside dans son cadre spatio-temporel. L'âge hyborien est un patchwork de cultures, mélange entre une histoire déformée, des mythes de toutes sortes, un conflit permanent entre la civilisation et la barbarie primaire à une ère où la magie gangrène la terre. Une autre œuvre qui me rappelle vaguement cela est la série Thorgal, en tout cas au moins dans ses premiers tomes, où l'auteur se baladait dans les mythologies tout en inventant des empires et royaumes fictifs (Brek Zarith, le pays de Qâ, le pays d'Aran, etc). Mais là où Thorgal constate la violence du monde et fait le choix d'essayer de s'en isoler pour enfin trouver la paix, Conan assiste goguenard à ce triste spectacle et réagit bien différemment.

L'énorme atout de ce type de cadre, à la fois d'une identité forte dans ses thèmes et d'une malléabilité incroyable dans la forme, est qu'il permet à son auteur de plonger dans diverses styles de récits. Robert E. Howard proposait dans la nouvelle adaptée dans ce tome une réécriture des conflits entre colons occidentaux et amérindiens - joués ici par les Pictes. Conan, étranger aux deux mais mercenaire à la solde des premiers, assiste à la contre-attaque massif des indigènes qui vise à raser la colonie, prendre d'assaut son fort et ne laisser aucun survivant. La barbarie à son plus fort degré, réponse d'une population qui se sent agressée en ses terres. L'œuvre est directe, puissante, et nous emporte à tout allure dans une bataille obscure et perdue d'avance. Au milieu de ces ténèbres, notre héros nous régale de sa vision si singulière, de sa sagesse apprise à la dure, et de sa lucidité face à la folie des hommes ; le tout en y prenant part à sa façon, mais suivant ses règles et son honneur. Pour pimenter une histoire aussi intéressante sur le fond, qu'haletante sur la forme, Conan devra aussi se confronter à un ennemi qui forme quelque part son négatif, chaman primale qui aura vendu son âme pour en extirper toute trace de la civilisation et laisser son double démoniaque hanter la jungle au-delà de la rivière noire.