Ca devait bien arriver un jour. Personne n'avait osé le lui dire bien sûr... Un peu trop admiratifs ou un brin hypocrites, ses scénaristes ont toujours arrangé ses histoires pour que cela ne se voie pas trop. Et pourtant... Batman a beau s'attaquer régulièrement à plus fort que lui, des méta-humains, des êtres d'une autre dimension ou même Superman... Bruce Wayne n'est qu'un être humain et devait, tôt ou tard, être confronté à sa faiblesse.
Bien sûr, quelques années plus tard, il sera question de Bane et d'un dos brisé. Mais cette défaite ne sera que provisoire, une épreuve commune à tous les parcours de héros. O'Neil le grand se pose encore une fois en précurseur: Batman faillit non pas en combattant une montagne de muscles mais en échouant à sauver la vie d'une petite fille. Défaite totale, irréversible. Regrets éternels.
C'est sur ce drame humain que O'Neil pose la réflexion de la validité d'un super-héros sans super-pouvoirs. Les comics ont souvent été de fervents supporters du transhumanisme: Steven Rogers accepte de participer à une expérience transformant les lopettes en Captain America, Peter Parker retrouve confiance en lui grâce à la morsure d'une araignée radioactive, Antony Stark revêt une armure qui fait de lui un demi-dieu... Bruce Wayne, en se contentant d'un entrainement physique et mental naturel, fait presque figure d'exception. Ou serait le mal d'accepter un aide extérieure, un produit dopant ?
Le mal est bien sûr dans la dépendance, le manque de contrôle. La perte de liberté. Ce qui fait la valeur du Batman, ce ne sont pas les gadgets ou les innombrables alliés. C'est l'inébranlable force de conviction malgré la certitude de l'échec. De fait, situer cette aventure pendant les premières années du Chevalier Noir était une riche idée: montrer un héros plus humain, plus fragile, plus solitaire, plus vrai. Batman renonce dans cet épisode à ce qui fera la puissance (et la perte) de Bane, paradoxalement l'ennemi qui parviendra à le briser.
Ecrit comme une enquête policière mais généreux en séquences exotiques, pleines d'inventivités et d'aventures, Venom nous propose du vrai bon divertissement, comme souvent avec O'Neil, où action et réflexion marchent main dans la main. Seuls les méchants semblent un peu trop froids pour être crédibles... mais la plume pessimiste et sobre de l'auteur, accompagnée d'un dessin et une colorisation classiques mais diablement élégants, propose ce Batman un rien rétro (et pourtant déjà moderne) qui incarne décidément ma vision préférée du personnage: le "plus grand détective du monde" plutôt que l'Inspecteur Gadget de Gotham City...