L'assassinat d'une légende

Quelqu'un a dit "intéressant"? Non? Je me disais, aussi...

Le concept de next generation, par essence, est de profiter d'une série populaire, pour faire une suite qui aura perdu les idées et le charme du précurseur mais au succès assuré grâce à la réputation de celui-ci. Certes. Mais je me dis qu'il doit bien exister des auteurs capables de se renouveler; de modestement se reposer sur leur gloire passée, tout en créant quelque chose de nouveau. L'auteur de Boruto, assurément, n'en fait pas partie.

Naruto, j'ai jamais trop aimé, je dois le reconnaître. Mais au moins, ça avait une âme, une aura, ça avait... quelque chose! Boruto porte le nom de son père, mais sans jamais acquérir une seule once de son essence.

On ne présente plus Naruto, devenu Hokage de Konoha et désormais père de famille après ses péripéties. Désormais, nous suivons l'histoire de son fils, qui ne rêve pas de devenir Hokage pour sa part, comme il nous le rappellera tous les deux chapitres. D'ailleurs, toute cette nouvelle génération hurle à corps et à cris qu'ils ne sont en rien semblables à leurs parents... Et les efforts faits pour marquer la différence sautent aux yeux. Sarada sera celle qui aspire au titre d'Hokage, et Boruto chouine à cause de son papa qui ne lui accorde pas assez d'attention là où celui-ci souriait malgré la solitude. Mais à la fin... ils seront leur copie conforme. Chocho subira le même running gag sur son poids que Choji, et notre héros se positionnera contre l'autorité comme son prédécesseur le faisait autrefois. En cherchant à devenir l'opposée de leurs géniteurs, ils s'y relient malgré eux. Naruto, tout autant qu'il m'insupportait, était quelque chose! Pas cette coquille vide qui, si elle avait mené sa vie sans dégueuler sa haine du titre d'Hokage, n'aurait finalement véritablement rien eu à voir avec son parent.

Les combats, n'en attendez pas grand-chose. Ça tape, et... ça tape. Je crois que j'ai bien résumé. J'ai néanmoins bien aimé l'union des cinq Kage pour emprisonner un des Ôtsutsuki. Et les outils scientifiques ninjas apportent tout de même une dimension inhabituelle.

Car les nouvelles techniques se résument en ces trois mots: outil scientifique ninja. Je comptais sur des remaniements des pouvoirs héréditaires, et j'ai eu un déferlement de technologies dans le monde de Naruto, qui se reposait autrefois sur son fabuleux. Des parchemins, des animaux immenses doués de paroles, des sorts qui agissaient grâce aux signes de mains! À présent, nous avons des héros pas fichus de trouver leurs propres techniques. Du renouvellement, ce n'est qu'une tentative ratée: je ne suis pas opposée à un changement de style si celui-ci est fait d'une manière pertinente. Les outils... ça colle simplement pas. Je dirais néanmoins que ce point en particulier provient d'une pure subjectivité: je conçois qu'on puisse apprécier le style plus technologique.

Je reprochais au précurseur de faire de son héros le gagnant de toutes les situations, qui maîtrise les techniques les plus compliquées en un tour de main, et s'oppose aux plus forts alors qu'il est encore jeune. Si j'avais su... Le petit nouveau aura sa voie encore plus tracée. Il plie l'apprentissage du Rasengan en une moitié de chapitre, avec une évolution s'il-vous-plaît. La scène où il en balance un totalement surdimensionné sur les Ôtsutsuki... non. Juste, non. Pas d'argumentation, pas de développement de ma part: non. Lisez ça comme une supplique.

Le dessin, je le trouve juste laid. Les traits sont gras, les chara-designs peu recherchés (Inojin est un perturbant mélange d'Ino et Saï, Shikadai semblable à son père que ce soit en terme d'apparence en de personnalité), les expressions peu naturelles, et les techniques n'ont rien de l'esthétique d'un Chidori, par exemple. Et le côté mécanique des outils scientifiques ninjas alourdit les personnages.

Le "couple" Sakura-Sasuke mérite un paragraphe à lui tout seul. Sasuke, après n'en avoir eu rien à foutre de Sakura pendant des années, décide de lui faire un gosse. La seule explication raisonnable que j'y vois, c'est qu'il ne veut pas que la lignée des Uchiha s'éteigne. Bah oui, c'est le dernier, et il peut être assuré qu'elle ne le laissera pas tomber: elle professe son amour pour lui alors qu'il a tenté de la tuer. Je dis ça très sérieusement, tout en ayant conscience que ce n'est probablement pas la pensée de l'auteur.

Pour sauver un peu la face, les auteurs auront eu le bon goût de ne pas le représenter en père de famille épanoui qui vient chercher son gosse à la sortie de l'école. L'image du père absent convenait bien mieux.

J'aimais bien l'idée de Boruto qui veut devenir le disciple de Sasuke. Environ les trente premières secondes. Pour que finalement, aucun lien concret ne se lie entre eux. Le néant total. À l'image de toutes les relations entre personnages, d'ailleurs. Je relève néanmoins une scène, une des seules, que j'ai trouvé bien narrée: Boruto dévasté par l'enlèvement de son père, réconforté par Sasuke qui lui affirme platement qu'il est tricheur et nul, ce qui par association d'idées, en vient à l'encourager. Le choix du professeur de le laisser accompagner les Kage lors de la mission de sauvetage demeure néanmoins un mystère à mes yeux.

Le trio Sarada-Boruto-Mitsuki, j'en attendais quelque chose, quand même. J'avais le pressentiment d'une familiarité, une complicité, lors de la scène de l'examen où ils chutent et où Sarada et Mitsuki s'unissent très naturellement pour sauver le groupe. Mutsuki m'intriguait, car il était le seul personnage qui ne m'évoquait strictement rien. L'idée d'une création d'Orochimaru, c'était osé, et il demeure le seul qui s'éloignera de ses parents (ou plutôt de son créateur) non pas parce qu'il le proclame, mais tout simplement car... il ne leur ressemble pas. Je le vois comme une bouffée d'air frais dans cette pièce enfumée, mais qui est bien trop discrète pour me permettre d'un peu respirer. Le trio aura rarement l'espérance que je lui espérais.

Et les secondaires, alors? ... J'ai oublié leur nom. Et pour cause: en-dehors de quelques figures centrales qui se comptent sur les doigts d'une main, ils ne seront que les "fils de". Des pots de fleurs en arrière-plan du décor qui n'auront pas d'importance. Mais alors, pas la moindre!

Pour plonger un peu plus loin l'agonie de la série, les auteurs ont cru bon d'employer pour méchants des Ôtsutsuki. Vous savez, l'extraterrestre improvisée en dernière seconde et sans la moindre personnalité de Naruto? Bah y en a d'autres. La copie d'un raté total aurait difficilement pu donner quelque chose de qualitatif.

Je réalise que c'est peut-être ça, l'erreur qui a plombé l’œuvre sans retour possible: chercher à faire de la menace principale un danger encore plus grand que tous ceux du manga précédent. On a eu droit à toutes les légendes, de Madara à Rikudo, toutes les menaces étaient éliminées: la surenchère demeurait la dernière option. Peut-être aurait-il mieux fallu se contenter d'antagonistes plus modestes, mais également plus crédibles.

Oubliez le charisme qu'ont pu avoir certains membres de l'Akatsuki. Le fabuleux twist d'Itachi, Pain dont on comprenait l'intention sans pouvoir approuver ses moyens; le meilleur que Kishimoto avait pu démontrer, on n'en aura pas une esquisse.

Boruto feint trancher les liens avec son prédécesseur, mais aucune concrète tentative d'envol ne le portera aux cieux. Je l'accuse de n'être qu'un projet commercial destiné à appâter les fans de Naruto. J'aurais aimé qu'on laisse les vieux héros dormir en paix, plutôt que leur infliger de nouvelles aventures qui traînent leur nom dans la boue.