Forte de ma lecture de Fun Home, dont j'avais apprécié le recul de l'analyse faite par l'auteur de sa relation avec son père et son imbrication dans une narration continue, je me suis lancée dans "C'est toi ma maman?" avec une attente aussi comparable qu'avait été ma satisfaction en refermant ce que je pensais être le Tome 1 de l'autobriographie d'Alison Bechdel.
Et bien mal m'en a pris que d'avoir une quelconque attente de ce bouquin, sur la forme notamment, puisque ça m'a valu d'être déçue. Déçue par l'incroyable complexité du récit. La principal difficulté de ma BD et du roman graphique est de préserver une ligne temporelle cohérente, qui ne peut pas se permettre trop d'interruptions ni trop d'allers-retours. Le récit s'alourdit à force de devoir repréciser chaque date à laquelle reprend la narration après des pages de théorie psychanalytique. Autant on apprécie le recul habituel de Bechdel et sa capacité incroyable à l'analyse et la compréhension d'un discours théorique froid qu'elle transfère sur sa propre expérience, autant je n'ai pas su conserver un quelconque attrait pour le récit en tant que tel, tellement il est décousu et interrompu. Pas deux pages de suite de narration, sans être entrecoupées d'extrait de Winnicot (fort intéressants par ailleurs, mais malheureusement complètement disruptifs ici). J'avoue avoir sauté quelques bulles à ma première lecture et je trouve dommage que sous couvert que ses lecteurs n'aient pas en tête l'entière bibliographie de ses références (Freud, Woolf, Winnicot...) elle se soit sentie obligée de nous en rappeler/apprendre les pensées fondamentales. L'intention est bonne mais ne fait pas de "C'est toi ma maman" un "roman" graphique à proprement parler.
Je venais de terminer 23 prostituées de Chester Brown qui, lui, avait décidé de confier aux annexe la totalité des résultats de ses recherches, les éléments de contexte etc. Ça a eu l'avantage de me laisser lire la BD comme un livre, d'une traite, d'être captée par le récit. Impossible ici. Quand bien même ces éléments d'analyse nous intéressaient et que l'on se lance dans l'analyse psychologique de la relation mère-fille qu'entretient Alison avec sa propre mère, elle ne nous en laisse pas l'occasion car l'on n'en connaît que très peu. Elle s'attache à elle-même sélectionner les anecdotes les plus propices à lier la théorie à sa vie. Et c'est fort dommage, car on pourrait croire qu'à défaut d'être diverti, on réfléchit, mais la manière de tout organiser d'Alison pour ne faire place qu'au spectre de l'analyse ne nous permet même pas une minute de réflexion.
Déçue, donc, pour toutes ces raisons (et pour autant j'aime toujours sa manière d'écrire, fluide, dense et claire et bien sûr son dessin).