Captain America est pris dans un affrontement direct avec son gouvernement et ses amis proches au sujet de la controversée "Loi de Recensement des Surhumains", et ses proches en paient le prix. La vie de la petite amie de Cap, l'agent 13, est déchirée alors que ses supérieurs utilisent ses loyautés partagées contre elle. Ailleurs, un nouveau méchant émerge, Crâne Rouge commence à se faire connaître et le Soldat de l'Hiver se retrouve à nouveau face à face avec Cap. Mais quel camp choisira-t-il ?
[ En préambule, il convient de préciser que les numéros abordés seront les numéros 22, 23 et 24 de la cinquième série consacrée à Captain America, relatifs à l'arc "Au loin tonnent les canons" (ou "Drums of War" en VO) et qu'il est nécessaire de lire l'event "Civil War" dans son intégralité pour comprendre les tenants et les aboutissants de l'arc abordé dans cette critique. ]
Points positifs :
- L'exploration de divers points de vue différents
- Une réflexion profonde sur l'impact et les choix de Captain America
- Un scénario haletant qui révèle ses enjeux progressivement
- Humanisation de figures complexes
- Les dessins de Mike Perkins
- Préfère les dialogues aux bastons
Points négatifs :
- Traiter Cap en symbole plus qu'en personnage
- Une fin frustrante qui appelle nécessairement à une suite
- Beaucoup trop court
Au loin tonnent les canons
En tant que lecteur assidu et passionné, découvrir cet arc de 2006 avec mon point de vue de lecteur de 2023 force à la réflexion. Voire à l'introspection. En effet, il est aujourd'hui difficile d'appréhender un arc aussi radical (s'inscrivant d'ailleurs parfaitement dans le ton et les intentions au long terme du run de son scénariste Ed Brubaker) sans se départir de toutes les influences et autres acquis issus de la longue expansion du MCU au cinéma ainsi qu'à la complète transformation de statut opéré par le milieu du comics. Passée de sous-culture de seconde zone connue de ses seuls lecteurs et raillée des autres à un univers dominant aussi bien le box-office du cinéma année après année mais aussi le monde des séries et des jeux-vidéos, la culture comics est sortie de l'ombre. Elle est maintenant connue du plus grand nombre, influence de nombreux secteurs culturels par sa rentabilité et sa popularité et a fait aussi bien de ses personnages des visages de Pop-Culture identifiables que de ses lecteurs des fans parmi tant d'autres. On ne découvre plus forcément ces univers par le biais des comics, et dorénavant, davantage grâce aux films et séries. Ainsi, revenir en 2006, c'est revenir à une époque où la culture comics et Marvel, plus précisément, n'en étaient pas du tout au même point. Cela permet ainsi de constater l'étendue du chemin parcouru depuis mais aussi de se questionner plus profondément : un tel récit est-il encore possible, à l'heure où les comics sont sommés de se ranger aux évolutions et choix amorcés par les films pour se vendre mieux et où l'impact culturel du MCU se retourne progressivement contre lui-même ?
Le vent tourne
En effet, attardons-nous maintenant sur ce récit : qu'est-ce qui fait sa singularité et sa profondeur ? Tout d'abord, son ton et son ambiance. Techno-thriller d'espionnage ainsi que drame psychologique, il traite son univers et ses personnages avec attention et respect et ne se départit jamais de son intention de base. S'inscrivant dans un run qui s'étendra sur plusieurs années, cet arc du scénariste Ed Brubaker prolonge et développe une volonté de transfiguration et de réactualisation de la figure de Captain America, figure éminemment datée et kitsch de l'univers Marvel. Le personnage n'aura, malgré ses diverses évolutions et réinterprétations au cours des décennies qui ont suivies sa création, jamais su réellement se départir du kitsch qui accompagne son design et ceux de ses ennemis récurrents ainsi que l'innocence et la simplicité de ses origines anti-nazis et propagandistes de l'époque de la Seconde Guerre Mondiale. Pourtant porteur de valeurs progressistes et prônant l'égalité et l'ouverture aux autres, le personnage sera dominé par le poids de son image résultant d'une propagande datée et manicchéenne, image qui n'aura jamais réellement su s'adapter au temps qui passe, tout comme le lore qui est attaché au personnage ainsi que ses ennemis. Le personnage devient ainsi, littéralement et métaphoriquement, hors du temps et éternellement coincé dans une époque à laquelle il n'appartient pas, thématique pourtant souvent abordée et qui au coeur même de l'écriture du personnage dans les comics. L'entreprise d'Ed Brubaker consiste ainsi à réactualiser le personnage et lui permettre d'être enfin accessible aux lecteurs afin qu'ils puissent réellement s'identifier à lui malgré sa nature profondément extraordinaire. Le comics Captain America se rattache ainsi enfin à la réalité concrète de son temps et de l'époque à laquelle il est écrit, faisant des problématiques qui occupent l'Amérique à l'époque (le terrorisme, les disparités sociales, le racisme...) le centre névralgique de son récit. Les personnages y sont confrontés et doivent réagir en conséquence. Le comics parle enfin du vrai monde et y confrontent ses personnages afin de mieux faire ressortir le courage des uns et l'ignominie des autres. La Guerre Civile qui oppose les surhumains autour de la Loi de Recensement est ainsi oscultée à travers un parti-pris radical : chaque numéro explore le point de vue d'un personnage en particulier (Sharon "Agent 13" Carter, Bucky "Soldat de l'Hiver" Barnes et Steve "Captain America" Rogers, autrement dit l'amour et le meilleur ami de Cap), s'interrogeant et questionnant la nature profonde du conflit et des positions de chacun. Cap étant le leader et le visage de la résistance face aux partisans de la Loi, ses actions sont ainsi d'abord disséquées par ses proches les plus intimes avant d'être abordées et développées par Cap lui-même. La position de Captain est ainsi explicitée et beaucoup plus nuancée de par ces divers regards sur l'homme et ses actes, fidèle à lui-même et aux idéaux qu'il défend. Le scénario explore ainsi les failles et errances de ses personnages, plus humains et donc plus attachants que jamais, qui subissent autant qu'ils le façonnent le cours de l'Histoire et l'avenir de leur pays.
Le songe étoilé
À la puissance et à la justesse de l'écriture s'ajoutent les dessins de Mike Perkins, qui parviennent avec maestria à capter les émotions, les tourments et doutes des personnages, tous au coeur du récit. Son style réaliste convient totalement au récit raconté et à l'ambition de Brubaker de confronter les personnages au réel et au mal-être d'une époque. Le travail des couleurs de Frank D'Armata fait ainsi ressortir judicieusement les couleurs des costumes des héros comme pour mieux montrer qu'eux seuls parviennent encore à illuminer un monde de plus en plus troublé (comme en témoigne le moment de bravoure de Cap face aux hommes de l'Hydra). La radicalité du récit vient d'ailleurs en grande partie de son manque d'action intentionnel, préférant aux explosions et aux combats l'impact des questionnements et les coups de poignard des mots ennemis. En effet, il règne au coeur du récit une impression de calme avant la tempête, la Guerre Civile n'étant présente qu'à travers les paroles des uns et les retransmissions d'écrans des autres. Au coeur des mots, elle est pourtante absente du récit alors qu'une autre menace, insidieuse et sournoise, s'étend quant à elle au coeur de ces mêmes pages. Cette menace, représentée par Crâne Rouge et ses alliés, est celle de la montée en puissance sournoise du néo-nazisme, du racisme et du faschisme à notre époque. Montée permise par l'influence et la toxicité des mots et des idées mais aussi par l'influence de tiers personnes sur les médias, l'économie et la politique. Montée d'une menace qui ne dit jamais son nom, se montre constamment sans qu'on la remarque, signe qu'elle est sans doute déjà en train de gagner. Ici, la menace ne se combat plus uniquement avec les poings mais avec les mots et les idées, ce qui est sans doute le plus grand impact du run de Brubaker sur le personnage.
L'ambition de cet arc empêche cependant de pleinement s'attarder sur le personnage central du comics, qui apparaît ici paradoxalement très peu en comparaison d'autres personnages, ce qui peut complexifier l'immersion du lecteur. La trop courte durée de l'arc (trois épisodes seulement) fait que le récit est mené à tambours battants et respire finalement assez peu, le problème étant qu'il n'a pas de finalité concrète et se révèle finalement être plutôt annociateur de futurs évènements marquants et passionnants dont il sert de première pièce à l'édifice, davantage comme un arc de transition.
Pour conclure, cet arc interroge sur de nombreux points, notamment sur l'avenir de la culture comics et de ses personnages : est-il devenu impossible de lire des comics qui ne se contentent pas uniquement de coller aux films du MCU, de conter des récits répétitifs et aseptisés ad nauseam afin de coller au plus grand nombre et, surtout, de se vendre ? La réponse est à nuancer car il est évident que de bons comics sortent encore à l'heure actuelle, mais la trajectoire que prend la culture comics, notamment chez Marvel, laisse songeur quant à la capacité du genre à se renouveler, lui et ses figures phares, mais aussi de coller à son temps et son époque afin de se mettre au niveau des valeurs défendues depuis toujours par ses personnages les plus importants. Le comics est à un tournant important de son histoire tout comme les personnages du récit critiqué ici, il s'agit juste de ne pas se trahir soi-même ainsi que les autres.
Pour aller plus loin :
- Captain America : Le rêve est mort (collection Must-Have)
- Captain America : Le soldat de l'hiver (collection Must-Have)
- Captain America : Civil War (film)