Yû TAKITA fait partie de ces auteurs peu connus en France mais reconnus dans leur pays d’origine en l’occurrence pour les travaux sur ses souvenirs d’enfance, ces récits sauront-il toucher le public français ?


TAKIYA se découvre très jeune une passion pour le Rakugo et le dessin. En 1951, il devient assistant du renommé Tagawa Suihô auteur de Norakuro. Ce n’est qu’en 1967 qui dessinera pour le magazine alternatif Garo sur la tendance du Gekiga avec pour référence le mangaka Yoshiharu TSUGE. Au contact de ce dernier, il s’oriente vers « le manga du moi », le manga autobiographique.


Sous le nom atypique de Chaud, chaud les petits pains et autres ragots du quartier, Yû TAKITA nous relate ses souvenirs d’enfance où il n’était encore qu’un bambin. Sous l’avatar de Kiyoshi, il dépeint le quotidien de sa famille dans ce Japon avant-guerre dans le début des années 40.


L’action se situe dans un quartier populaire de Tokyo principalement composé de restaurants et bordels. Nous découvrons que sa famille s’occupe d’un estaminet et comporte cinq membres. La mère est une mégère qui passe son temps à critiquer tout ce qu’elle voit ou à gronder son fils. Le père, en bon imbécile heureux, travaille et passe son temps à paraphraser les discussions de commentaires graveleux. La soeur est hôtesse de nuit, elle aime faire la fête et se lève à pas d’heure. La grand-mère essaye d'arranger les étourderies de son petit-fils et prépare des bons plats… pour son chat !
Il ne reste que Kiyoshi, le cadet, plutôt naïf à l’air nonchalant, il vit sa vie de petit garçon. Tête en l’air, il chantonne, court, s’amuse et combat ses copains à coup de tournoi de toupies.


Le manga se caractérise par la reproduction minutieuse de cette époque, grâce à Kiyoshi nous découvrons les pièces typiques de sa maison ou les rues étroites et labyrinthiques du quartier. L’auteur retranscrit l’ambiance de ce quartier populaire avec des rues qui fourmillent de détails visuels, rendant ainsi la ville vivante. Dans cette animation urbaine, nous pouvons croiser ainsi des vendeurs ambulants, des travailleurs, des enfants qui jouent aux toupies, ou des ivrognes cherchant à éviter les policiers.


En allant au plus simple, l’auteur nous montre la vie de ces travailleurs racontant leurs problèmes autour d’un verre, les petites arnaques que ses parents subissent, les discussions des passants saisis dans la rue ou tout simplement les appels des courtisanes pour attirer les passants en recherche de compagnie. Tous ces éléments ajoutent de la véracité et de l’authenticité dans cette représentation.


Tout ceci se fait au détour d’une case ou parfois d’un détail dans le dessin, pour exemple on peut voir la grande soeur lire Sarutobi Sasuke, un manga d’avant-guerre de Sugiura Shigeru ou encore des travailleurs exerçant leurs métiers aujourd’hui disparus. Si l’on s’attarde sur chaque case, l’émerveillement est au rendez-vous, le travail de restitution de l’auteur est impressionnant. Nous pouvons ainsi redécouvrir ce Japon disparu en nous évadant littéralement dans cette époque. Nous devenons spectateur invisible d’un monde d’un autre temps.


Cette découverte se fera aussi au fil des saisons et des années. Passant de la chaleur estivale étouffante aux saisons des pluies avec de fortes tempêtes. Au cours des chapitres la situation évolue et la guerre se fait de plus en plus sentir. Le rationnement devient un problème, les hommes sont appelés à la guerre contre leur gré. Les habitants vivent sous le couvre-feu et les alertes et la surveillance du peuple se fait de plus en plus présente.


Pourtant le ton choisi se veut léger et insouciant, aucune situation dramatique ne se passe sous nos yeux. Nous découvrons les situations via des bribes de conversation ou par la présence fortuite de notre personnage principal Kiyoshi, qui étant trop jeune est mis à l’écart par les adultes. Il est bien entendu l’avatar de l’auteur et il sera le lien entre les personnages, toutefois l’histoire n’hésitera pas à le délaissé par moments pour s’arrêter sur des membres de la famille.


Naturellement ce manga s’adresse avant tout à un public cherchant des oeuvres patrimoniales, sinon la déception sera au rendez-vous. Ici aucune intrigue n’est présente, les histoires sont une succession de petits évènements ordinaires et rien n’est fait pour créer une histoire épique. Juste des tranches de vie des souvenirs de jeunesse de l’auteur. Il n’y a pas d’introduction, de mise en contexte ou de conclusion, uniquement la banalité du quotidien.
Pour les plus curieux, deux histoires complémentaires sont disponibles dans la série Histoires singulières du quartier de Terajima édité chez l’éditeur Seuil.


Le dessin est aussi un point qui risque de décevoir. L’auteur a développé un style « brouillon » avec des traits « tremblant » entièrement réalisés à la main. Les cases sont remplies de détails et les décors sont parfaitement reconnaissables. À cela s’ajoutent des personnages de forme comique à tête de pastèques ayant des oeufs au plat sur le front en guise d’yeux. Ce style cartoon est particulier mais renforce le côté léger du titre. Ce parti pris est à mille lieues des mangas traditionnels et rebutera une grande partie du lectorat.
TAKIYA essaye de rendre son manga universel avec de nombreux pictogrammes qui remplacent les bulles des protagonistes. Si certains sont facilement reconnaissables, d’autres restent très japonais et inconnus pour nous, cela s’applique aussi à certains métiers d’antan.


Ce sont les éditions Picquier Manga qui ont édité ce titre dans un grand format (env. 14x21cm). L’édition est de bonne qualité mais le papier à un grammage un peu léger, et de ce fait les noirs auraient pu être plus prononcés. Toutefois la jaquette et amovible mais surtout elle est en papier-calque qui donne un aspect très atypique à l’ouvrage. Cette jaquette est bien sûr à manipuler avec délicatesse.
Côté éditorial, l’éditeur a fait un excellent travail avec un dossier de 5 pages reprenant la vie de l’auteur, les différences entre la réalité et la fiction, et une analyse sur le titre. C’est une excellente initiative qui permet de mieux saisir et comprendre l’importance de cette oeuvre. Toutefois quelques précisions ponctuelles au cours de la lecture n’auraient pas été en trop.


Tout en légèreté, l’auteur nous fait revivre ses souvenirs de jeunesse d’un Japon ayant disparu. La vie quotidienne qu’il décrit est criante de vérité et c’est avec plaisir qu’on lit et relit ces histoires patrimoniales d’un autre temps.

darkjuju
8
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le 5 déc. 2020

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darkjuju

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