Du mouvement de la Terre
5.5
Du mouvement de la Terre

Manga de Uoto (2020)

Mes abonnés le savent, je suis un hérétique patenté. La profanation m’échappe de la plume ou d’entre les lèvres au naturel et le sacrilège tient pour moi d’un réflexe analogue au fait de respirer. Un manquement à l’irrévérence, c’est bien simple, j’en crèverais, parce que la mécréance, j’ai ça dans le sang. Je suis la figure du Français la plus immonde qui soit car la plus fidèle à l’esprit français. Et c’est dans la plus stricte tradition voltairienne que je l’écris : y’a rien de plus conformiste et grégaire qu’un anti-clérical au vingt-et-unième siècle.


Qu’on s’entende, je ne suis pas un catholique fervent ni même exemplaire. Pas même croyant pour vous dire. Aussi, le fait de ne jamais avoir été excommunié de mon existence tient au fait que mes propos n’ont jamais été rapportés jusqu’à sainteté sénescente domiciliée au Vatican. De ce fait – car j’anticipe les réactions des grégaires susnommés – le procès de la ferveur chrétienne offensée par le contenu de l’œuvre présente ne pourrait m’être adressé. Ces gens-là, ces grégaires, ils sont les bons républicains de notre temps comme ils auraient été les bons et zélés catholiques qu’on attendait d’eux du temps où les oratores portaient encore la soutane.

La voilà, cette sainte Inquisition, dont j’émulais les postures fantasmées dans une précédente critique. Oui, fantasmée. Car l’Inquisition, il y a ceux qui en parlent, et ceux qui l’ont étudiée. Le lieux-communs, depuis 1789, ne se privent pas de nous rappeler que les siècles précédents, plongés dans l’obscurantisme chrétien, étaient un Enfer du quotidien. Il fallait au moins ça pour légitimer le pire qui venait.


L’Inquisition qui torture et passe au bûcher le tout-venant comme leur prendrait une envie de pisser, c’est une constante que l’on retrouve dans la fiction occidentale, copieusement abreuvée de propagande anti-cléricale en supplément. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas de propagande catholique inique, je dis qu’une propagande vaut une propagande, nonobstant qui en est l’auteur. Aussi, puisque Chi : Chikyuu no Undou ni Tsuite se consacre à l’aune des procès en hérésie du fait du géocentrisme, il convient au préalable de faire le travail de détricotage des mailles d’une propagande solidement nouée depuis des siècles. J’encourage dès lors le lecteur de cette critique à se renseigner sur les écrits d’Aimé Richard relatif à la légende noire du procès Galilée. De nombreux ouvrages, notamment celui de Didier Le Fur, se sont quant à eux attardés sur la légende noire de l’Inquisition dont on avait outrageusement grossis les dérives – bel et bien existantes – à compter du 19e siècle. La vérité historique se rapproche en réalité de 10 000 à 12 000 exécutions dans toute l’Europe sur plus de trois siècles de temps. Il importe de préciser que les bûchers érigés pour les sorcières - faussement imputés à l’Inquisition - étaient le fait de tribunaux protestants ; le bilan s’était alors élevé à 50 000 morts en moins d’un siècle. Eux n’ont pourtant eu droit à aucune légende noire. Pour poursuivre les comparaisons macabres, je rajouterai que 17 000 personnes ont été guillotinées en un an et demi de révolution sur le seul territoire français. Les victimes comptaient alors une vaste majorité d’innocents qui, pour beaucoup, étaient les nouveaux sacrilèges de leur époque puisque le chef d’accusation consistait pour certains d'entre eux à avoir simplement crié « Vive le roi ».

Il n’est pas question de légitimer l’Inquisition dont les héritiers présomptifs de la 17e chambre correctionnelle de Paris continuent de sévir au nom d’un substitut de Dieu, mais simplement de rapporter la Vérité. Du moins faire preuve d'exactitude. Oui, l’Église catholique, de par son dogme, a été un frein à l’essor scientifique en plusieurs occasions. Mais bien plus rarement qu’on se plaît à le rapporter. Non, Galilée n’a pas été ce martyr qu’on présente. Non, les travaux de Copernic n’ont pas été aussi violemment déconsidérés pendant des siècles du fait de l’Église. Non, on ne cramait pas le premier péquin venu au prétexte qu’il avait dessiné des schémas astronomiques sur un cahier.


Je ne tiens pas rigueur à monsieur Uoto (c’est un mononyme) de ne pas avoir pris en compte ces éléments dans son œuvre. Tous ces truismes et ces poncifs mensongers sont résolument ancrés dans l’esprit européen et, la propagande actuelle – car il y en a toujours une en place quelle que soit l’époque – valide cette version au point de la dispenser dans les livres d’histoire de l’Éducation Nationale. En 1789 puis en 1905, un clergé s’est substitué à un autre. C’est être naïf de croire que la libre pensée, dans tout ce qu’elle a de pur et parfait, fut instaurée par décret durant la IIIe République. Je ne manquerai cependant jamais de m’incliner bien bas devant la sainte loi de la presse de 1881, honteusement ternie et salopée par les nouveaux curés de notre temps.

Uoto, dans sa méprise consentante, ne fut alors que le relai malheureux d’une histoire falsifiée qu’il considérait de bonne foi. Du moins je l’ai cru. Ce faisant, il s’acceptait à son corps défendant (mon œil) comme la courroie de transmission d’un ramassis d’inepties assénées par des individus de bonne foi, mais à l’esprit copieusement embrumé par l’ignorance. Ces mêmes individus qui, du temps de l’Inquisition, nous auraient juré à que les païens qui les avaient précédés n’avaient été dans l’ensemble qu’un ramassis de primitifs barbares, cruels et foncièrement arriérés. On est toujours le sauvage d’un autre. C’est pas tant une affaire de culture que de temporalité.


Oh et puis si, finalement, je lui tiens rigueur de son absence de recherche. Quand on a vocation à écrire un manga très ancré dans une période historique définie, un auteur scrupuleux s’appesantit en principe sur sa documentation afin de mieux brosser l’époque. Ce que j’ai lu ici m’a rappelé mes fous rires intimés par Inquisitio. Quand j’en viens à comparer une œuvre à un téléfilm France 2, c’est qu’il y a matière à s’inquiéter de son contenu.

Le manga se conçoit ici comme le Vinland Saga polonais. Les dessins sont ressemblants, à peu de choses près qu’ils sont ici autrement moins bien aboutis. Mais les lecteurs de Vinland Saga ne pourront pas ne pas ressentir la présence de ce manga dans l’atmosphère qui plane sur ce récit.


Le festival de la connerie s’étale bien vite à pleines planches et sans pudeur. L’inquisiteur qui, sans procès, va au domicile de quelqu’un qu’il suspecte d’un fait anodin pour le torturer et l’assassiner sur place ; c’est tout à fait dans la réalité. La réalité fantasmée par les crétins j’entends. Uoto fait de l’excès de zèle, ce même zèle foncièrement excessif qui est le propre du nouveau converti et l’amène à céder au fanatisme le plus débilitant pour mieux s’inscrire dans le mouvement qu’il rejoint bien volontiers. En l’occurrence, le mouvement qui s’attarde à perpétuer la légende noire de l’Église et de tout ce qui gravite autour. Même un méchant de film de Stallone est plus nuancé dans son écriture que l’évêque Darth Vader qui sévit ici. On est même en-dessous de la caricature interprétée par Elie Semoun dans Kaamelot en terme de représentation. Décidément, se donner des airs de fiction sérieuse ne contribue en rien à dissimuler la malfaçon quand celle-ci s’avère être le socle même de l’ouvrage.


Donc, vous apprendrez que l’Inquisition – qui rappelons-le, est kré kré méchante – brûle des enfants sans procès… alors que le rôle premier de l’Inquisition, était justement de tenir des procès. Étymologiquement... Inquisition partage la même parenté que le mot «Enquête». Mais peu importe, nous ne sommes plus à un manque de documentation près. J’en suis à un point où je m’estime heureux que les robots et les aliens ne soient pas de la partie. Car, à force d’approximations, la chose n’aurait rien d’étonnant.

D’ailleurs, le lecteur remarquera sans doute que les personnages présentés ici sont des personnages conçus pour la fiction uniquement, qu’ils ne se rapportent à aucune figure ayant réellement existé. Le procédé est étrange car, si l’auteur avait été si sûr de ce qu’il avançait relativement à ce traité contre l’Inquisition et l’Église qu’est son œuvre, il n’aurait eu qu’à nous rapporter des cas pratiques ayant été observés au cours de l’histoire. Mais curieusement, pas un seul des protagonistes qui se présentent à nous n’est tiré de l’histoire de la Pologne. De là à parler d’affabulations...


J’ignorais par ailleurs qu’il existait, en pleine ville, des tavernes spécialement dédiées pour les gens de la haute-société bourgeoise et qu’un système de caste aussi formel discriminait les habitants en fonction de leurs revenus en plus de leur appartenance ou non au clergé et à la noblesse. Sans doute une spécificité polonaise. Sans doute… Car je n’oserais, en aucune façon, remettre en cause le sérieux du travail de recherche de monsieur Uoto. En au-cune façon.

Peut-être un peu tout de même… parce que je n’ai rien retrouvé de tel en m’essayant à quelques recherches. Mais monsieur Ueto devait avoir des sources que je n’ai pas. Des sources rescapées des flammes de l’Inquisition sans doute.

Sans doute.


Et alors que je ne respirais initialement que le ferment de Vinland Saga, j’en venais très vite à humer toute la fragrance pestilentielle de ce qui constituait ici une inspiration incontestable de l’œuvre présentement critiquée. Oh que oui, c’en est bien tiré, comme du vinaigre puisé depuis une piquette. Tous ces discours abscons qui s’imaginent profonds et empreints de sagesse, ils sont d’une lourdeur, d’un ridicule. Le plus triste étant que l’auteur ne semble pas s’en apercevoir, alors il persiste et signe à chaque nouveau tome. L’hérétique qui nie le paradis, mon Dieu, on croirait qu’il cite un billet d’instagrammeuse « Trop libr den ça téte, quoi » qui se serait essayée à la théologie entre deux tutos maquillage. Et ses geôliers qui se trouvent ébranlés par ses lieux-communs d’écolier, tout cela est si risible. Qui pour se laisser prendre par les grossièretés de la mise en scène ? Très franchement ?


Tout le grotesque que comporte le récit – et qui n’est d’ailleurs fait que de ça – cherche à se parer d’un ton sérieux qui, de ce fait, ne le rend que plus ridicule. On jurerait voir un enfant de trois ans dans un costume-cravate taillé pour un adulte cherchant à tenir un discours prétendument sérieux alors qu'il buterait sur chaque mot. Ce serait touchant si l’auteur avait lui aussi été un enfant. Hélas, il n’a pas cette excuse. Il n’en a d’ailleurs aucune. Parler aussi inconséquemment de thématiques aussi lourdes que la torture, la liberté et le rapport à l’hérésie – qui est un avatar de la déviance de la marginalité – est simplement impardonnable. Je lis ici l’œuvre d’un wanabe universitaire qui n’a jamais ouvert un livre de sa vie et dont la pensée propre se borne à des poncifs. La belle affaire que voilà.


Sans doute sommes-nous tenus d’être émus par le sort et le sacrifice de tant de personnages fictifs qui, en aucune façon, n’ont trouvé le moyen de plaire par ce qu’ils ont à apporter. Mais là encore, c’en est si ridicule. Des morts plus invraisemblables les unes que les autres et des protagonistes qui se succèdent en se passant le flambeau, c’est là-dessus que se sera fondé l’œuvre. Avec des bases aussi branlantes, comment ne pas s’effondrer sur place ? Remarquez qu’on ne tombera jamais de très haut.


Toutes les cases sont cochées, toutes. Les ecclésiastes, misogynes à outrance, nient par exemple la découverte d’une femme parce qu’elle est une femme. J’adore quand un auteur, avec les yeux acérés de son époque, se permet de juger le contexte sociétal d’une période dont il ne connaît que bien peu de choses. Oui, ceux qui nous précèdent sont toujours des barbares car leurs mœurs ne sont pas les nôtres. Nous serons sans doute à notre tour les barbares des générations futures. Mais ça, l’auteur ne parvient vraisemblablement pas à l’envisager.

Soi dit en passant, permettez une petite liste sacrilège qui rapporte le nom des femmes s’étant illustrées au Moyen-Âge pour leurs capacités académiques. La très vaste majorité d’entre elles proviennent d’Europe. Vous savez, cette sordide Europe chrétienne qui n’était pas même au diapason de #MeToo, pouah !


Des femmes versées dans l’étude des sciences à cette époque, on en dénombre curieusement très peu dans cette liste qui soient originaires du Japon. Aucune même. Mais dites voir monsieur Uoto, ne faudrait-il pas commencer à balayer devant sa porte avant de faire le procès truqué d’une civilisation à laquelle vous êtes manifestement étranger et que vous avez remarquablement très mal étudiée ? Je pense que oui. J'en suis même persuadé.


Je crois qu’après avoir lu ceci (notez le nombre de périphrase pour ne pas avoir à écrire le nom compliqué du manga) et Innocence, que le temps est venu de décréter officiellement les mangakas Japonais comme inaptes à l’étude et la restitution de l’histoire européenne. On leur accordera un accès prudent à l’imaginaire médiéval européen, mais on se gardera bien de les laisser toucher au reste. Parce que, maladroits comme ils sont, ils vont finir par se blesser à force d’écrire et de dessiner autant de conneries. J’accorderai toutefois un sauf-conduit pour le Historie de Hitoshi Iwaaki.


Tous ces drames, tous ces morts, et tout ça, soi disant pour l’héliocentrisme. Comment un sujet aussi sérieux a pu être romancé jusqu’à ces extrêmes grotesques ? L’histoire de Copernic – car c’en est le préambule – est loin d’être aussi houleuse, ce qui ne l’empêche pas d’être fascinante. Son histoire, c’est celle d’un homme brillant qui, précisément parce qu’il n’a pas rencontré les adversités délirantes rapportées ici, a pu gratifier le monde de ses recherches en laissant prospérer ses écrits à travers les âges. Le parcours de ses idées n’est pas pavé par le sang, les larmes et l’injustice, mais pas le travail, la patience et la rigueur. La controverse que cela a soulevé et la révolution que cela suggéra dans le milieu des sciences est suffisamment passionnant en soi sans qu’il ne soit besoin d’en rajouter des caisses en empilant des cadavres imaginaires. On rappellera que toute inique et monstrueuse pouvait être la très, très vilaine Église catholique… celle-ci admit l’héliocentrisme de son propre chef comme la seule hypothèse scientifique recevable au terme d’un débat en interne de plusieurs siècles. Encore une fois, je vous renvoie à Aimé Richard qui a démystifié toute cette affaire.


La fiction, ici, salit l’histoire et insulte la connaissance. Qu’on puisse accorder du crédit à une œuvre qui se pique d’exactitude, quand celle-ci ne déballe en réalité qu’une fiction aberrante, ne tient finalement qu’à un manque de culture flagrant et affligeant. Je note que les mêmes qui font les gorges chaudes de ce mythe historique sont beaucoup moins âpres à s’émouvoir du sort d’actuels tenants d’un discours discordant par rapport à la loi sur certains sujets. Je ne mentionnerai aucun nom – surtout pas celui de Vincent Reynouard – et pas même la thématique que j’évoque du bout des lèvres tant l’Inquisition contemporaine me fait peur. Mais cherchez ceux-là même qui ont été châtiés par les lois restreignant le droit de la presse, vous verrez à quoi ressemble une vraie persécution pour délit d’opinion. Et ça se passe de nos jours, dans nos contrées, quand l’Église catholique est hors de cause. Vous voulez du drame monsieur Uoto ? Penchez-vous donc plutôt là-dessus. Mais vous ne le ferez pas… car la remise en question des dogmes que cela suggère, pareille à l’héliocentrisme en son temps, nécessiterait un minimum de courage. Or, votre composition mitée et approximative n’est autre que l’œuvre d’un lâche engagé et prompte à la fantaisie sous couvert d’histoire. Le rendu fut alors aussi lamentable que l’on pouvait s’y attendre.


P.S : À l'intention de mes abonnés, j'ai posté un commentaire sous cette critique où j'en appelle à vos suggestions. Si ça vous intéresse, n'hésitez pas à le lire et y répondre.

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le 27 janv. 2023

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Josselin Bigaut

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