Telle est l'expression d'un journaliste japonais (1).
Cela faisait longtemps qu'on n'a pas eu une bande dessinée marquée par une légèreté enthousiaste. Ce qui l'est d'autant plus pour un manga entièrement en couleur. Même si l'histoire est classique avec de l’aventure riche en émotions, elle reprend des éléments narratifs bien trop connu pouvant aller dans la niaiserie la plus totale. Toutefois la manière dont l'histoire est découpé par l'art séquentiel est intéressante. Avant d’y établir une réflexion sur le découpage de Comet Girl, il me faut plonger dans l'histoire et son atmosphère si nostalgique pour certains, que l'autrice Yukito Akase a recréée.
Une narration intrigue au sein d'un scénario d’une simplicité arrogante
« Comme je viens de vous le dire, Sazan est parti dans l'espace à la
recherche de la fille dont il est tombé amoureux. »
Sazan, un agent de voirie est un personnage très réservé. C'est sa rencontre avec Mina et le coup de foudre qui va lui donner du cran pour la chercher à travers la galaxie. Quand on voit progressivement la confiance en soi du personnage jusqu’à devenir hors-norme, c'est beau à en être presque touchant. C’est justement cette simplicité arrogante du scénario que le manga d'Akase nous raconte, avec son lot d’aventures et de personnages attachants. On s’accorde aussi que l’autrice reprends des stéréotypes allant de pair avec l’histoire.
Le fait d'affirmer que Comet Girl est un manga dit « rétro » est plutôt d’un point de vue graphique et scénaristique. Pour la narration, la manière dont on raconte un récit, il en est autrement.
Comet Girl, comme vous le constaterez en admirant les dessins et l'aquarelle, reprend beaucoup de cette esthétique des animes japonais des années 80 et 90. C'est la première chose à souligner. Les couleurs sont très bien travaillées, on peut sentir quelques défauts dans certaines cases plus petites ou bien certains endroits laissant la marque de l'eau. En pinaillant davantage, certains dessins sont trop petits en fonction de la taille des cases. Rien de vraiment alarmant au sein des compositions majoritairement bleutées, Akase varie son récit avec des teintes monochromes dans certaines scènes. Quand on sait que l'aquarelle est un outil fragile à manier pour obtenir de parfaits aplats de couleur ou des variations avec l'ombre et la lumière, cela rend le travail de l'aquarelle important auquel il ne faut pas sous estimer. C'est le genre de travail très précautionneux auquel Bretch Evens accomplit dans Les Rigoles.
D'où le fait que cette histoire a été prévue en deux tomes. Le travail de la couleur est conséquent, et il va bien plus loin que de construire une ambiance vaporeuse avec les effets de l'aquarelle comme dans Beyond the Clouds, qui joue davantage sur le gris et non que sur le noir et blanc de n'importe quel manga lambda.
Quitte à le redire, l’affirmer et le diffuser en boucle : en organisant le texte, le dessin et la couleur en harmonie avec la mise en page et le découpage des cases comme le prouve Comet Girl, il est possible de faire du manga avec de la couleur, qui s'est toujours cantonné à l'impression en noir et blanc pour des raisons économiques. Sauf exception (2), le manga shōnen a toujours été en noir et blanc, certains mangakas ont pu tiré cet aspect en un ressort graphique bienvenue voire inspiré, comme Ryuko ou Blame ! avec des compositions fascinantes. L’aventure se passant en grande partie dans l’espace, le bleu marque de sa présence. Akase fait en sorte que l’ensemble des cases soit homogène, et ce quel que soit la scène.
Rétro mais pas trop
Comet Girl est fascinant dans la manière dont son autrice à sculpter le temps. Ce n'est pas qu'un travail sur les émotions des protagonistes. Akase découpe la plupart de ces moments pour rendre les personnages plus présents aux yeux du lecteur-spectateur. D’un point de vue narratif, Comet Girl est une très bonne alternative à toutes les animes en matière du traitement du temps. Par exemple, la durée des combats qui ponctuent les deux tomes sont typiques d'un film d'animation, là où dans l'adaptation d'un shōnen en une série animée dont Comet Girl s'est inspiré (à tout hasard, Dragon Ball) dure plusieurs épisodes. Une bande dessinée, un manga ou un comics, permet aussi d'observer et de contempler les images à son rythme. Comme si un dessinateur a photographié des instants de son récit pour le restaurer par la mine de plomb, le stylet sur la tablette ou la peinture directement. Une autre forme du réalisme, qui ne vient pas forcément que des mouvements et actions des personnages.
Une autre différence avec un anime est son rapport au support audiovisuel. La musique et les bruitages accompagnent ou accentuent la narration. Quant à la bande dessinée, elle met en suspens ces éléments et les remplace par les onomatopées. Il s’agit pour le lecteur d’imaginer les sons même s’ils ne sont pas perçus de manière concrète. C’est dans ce sens qu’il est alors plus pratique d’observer une scène cisaillée en plusieurs plans. Dans Comet Girl, le lecteur a affaire à ce genre de scène surtout d’émotion, en étant concentré à regarder. Alors que la présence d’un doublage niais ou insupportable pourrait (et c’est bien sûr une possibilité) déranger le lecteur. D’un autre côté, au vue de la traduction réalisée par Fédoua Lamodière, on a clairement ce texte imprégné du doublage mielleux mais bon enfant de ces productions animées qui passaient au Club Dorothée.
Cela m'en vient à conclure : lequel de ces deux productions japonaises le lecteur apprécierait le plus ? Vaut-il avoir un récit simple mais inventif par rapport à l'esthétique et la mise en page sur quelques tomes, ou une histoire plus complexe qui va durer une cinquantaine de tomes ? Tout dépend en réalité de l’intention de l’auteur(e). Mais aussi du système de travail. Il est a rappelé que Comet Girl a fait l’objet d’une sélection pour le Grand prix du manga (ou manga Taishô) de l’année 2019, qui récompense un manga récent et dont le nombre de tomes est inférieure à huit. C’est purement un autre contexte de création que celui d’un tome de One Piece ou de Fruit Basket.
À titre personnel, cela été un bonheur de découvrir ce manga et de savoir que ce genre de production existe. S’il faut émettre un inconvénient qui relève du livre comme objet, les pages du livre jauniront avec le temps et les couleurs perdront en qualité, là où les pages en noir et blanc gardent les lignes et formes du récit, quelque soit leur état.
(1) Cette phrase a été trouvée dans une vidéo Tracks d'Arte dont elle a été retirée malheureusement. Elle portait sur le réalisateur Masaaki Yuasa, un réalisateur d’animation japonaise.
(2) En cherchant des tomes de JoJo sur Leboncoin, une offre d'un particulier a mis en vente des éditions limités de JoJo, provenant du Japon. M'ayant informé auprès de cette personne, ces éditions en grand format sont en couleur.