Dessin renversant
Le dessin est effectivement renversant, Bertail étant un surdoué extraordinairement talentueux, le scénario repose sur une idée ou deux et est plutôt pauvre. Mais l'ensemble est délassant et amusant...
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le 13 janv. 2018
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BD franco-belge de Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail (2018)
Bon, commençons direct par l'éléphant au milieu de la pièce : c'est un exercice de style avant tout, l'idée étant de souligner les clichés sexistes en inversant les rôles de genre. Pourquoi pas, même si c'est pas si original, n'importe qui ayant baigné un tant soit peu dans le féminisme a déjà vu des exercices de pensée ou des petits webcomics qui illustrent ça.
Le problème c'est que le matriarcat de Mondo Reverso ne me semble vraiment pas crédible pour plusieurs raisons :
1) Si certaines inversion sont plutôt bien trouvées (le féminin générique dans le langage par exemple), il y a quand même pas mal de choses qui émanent de notre patriarcat à nous qui restent dans cet univers. Pourquoi les meufs ont toutes des énormes bzezs ? Pourquoi elles se rasent (et pourquoi les mecs ne se rasent pas) ? Pourquoi les cheveux longs c'est féminin et les cheveux courts masculins ?
J'ai pas l'impression que les mecs soient représentés dans des poses aussi lascives que les meufs le sont dans notre patriarcat à nous. Je pense qu'un homme a bien plus de quoi se rincer l'oeil avec cette BD qu'une femme. Les auteurs ont visiblement pas lu assez de Yaoï.
En fait, on pourrait trouver des excuses pour chacun de ces points, par exemple dire que les meufs sont représentées toutes avec des gros seins car c'est symbole de virilitée (sic) dans ce monde, comme on aurait des mecs ultra musclés dans un stéréotype viriliste de notre patriarcat à nous. Mais n'empêche que c'est un choix de décider que c'est les seins qui représentent cette virilitée, on aurait pu choisir justement de faire ces meufs hyper musclée par exemple.
Ce que cela montre c'est que les stéréotypes de genre pourraient très bien être les mêmes dans une inversion des rôles, un signe représentant un genre n'est là que pour rappeler ce genre et votre rôle dans la société. Il n'est pas intrinséquement positif ou négatif. C'est quelque chose qu'on observe dans la vraie vie, certains signes ont connu des inversions totales au court de l'histoire, ou bien d'une société à une autre.
Et donc, l'exercice de style en soi est finalement pas si intéressant que ça, à part pour choquer.
2) Et justement, j'ai l'impression que les stéréotypes qui sont inversés dans cet univers sont spécialement ceux qui vont énerver les réacs, genre les fringues ou le langage.
D'ailleurs ils ne nous ont pas attendu les réacs pour faire eux-mêmes ce genre de webcomic (car ils aiment se choquer et s'indigner de ce que le monde devient ou va devenir). Ca pullule dans les groupes Facebook et autres communauté de boomers ou de jeunes virilistes identitaires.
Point commun entre ces webcomics et Mondo Reverso : l'exagération. Sûrement le côté "sale gosse" (moi j'aurais dis "adolescent") des auteurs qui s'emploient à vouloir être très brute de décoffrage avec du gore et de l'érotique. Ou bien dans des situations ridiculement grotesques (le bon frère qui tombe du train car il est choqué d'on ne sait trop quoi). Si bien qu'à un moment j'ai cru qu'on était dans le ton pamphletaire des réacs qui nous disent "non mais regardez comme cette société serait décadente si les rôles étaient inversés".
Mais surtout ça m'éloigne encore plus de ce monde. Je n'ai jamais l'impression de voir un monde où les genres seraient inversés, ni même un monde qui serait dessiné par des autrices de BD existant dans un monde où les genres seraient inversés (car c'est beaucoup plus de ça qu'il s'agit dans cet exercice de style).
Non, le fait qu'ils insistent en permanence pour mettre les personnages dans des situations où les clichés seront martelés me rappelle tout le temps qu'on est dans un monde volontairement inversé et qui s'évertue à nous montrer son inversion.
Le patriarcat est une chose bien plus subtile, qui se cache dans des choses qu'on discerne à peine. Il est une norme et il n'y a donc pas besoin de le rabâcher en permanence. Il autorise même un peu de subversion en son sein.
Le matriarcat de Mondo Reveso est juste violent et brutal. On le voit d'autant plus que le genre du western est assez mal choisi : dans notre patriarcat à nous, les héros de western ne sont pas des monstres de virilité et il existe bon nombres de meufs assez badass. Mondo Reverso se voit donc obligé de reprendre des stéréotypes d'ailleurs (des refs à Conan, aux Tontons Flingueurs etc...). Ce n'est même pas un cliché beauf, c'est l'image qu'un petit bourgeois intellectuel se fait d'un beauf. Une image qu'il exagère pour mieux pouvoir se pincer le nez et se distinguer de ces beauf.
En voulant être subversive, cette BD est finalement pleine de morale.
3) Cette obsession autour du genre se reflète évidemment à coup de gros sabots dans le scénario. À peu près chaque personnage principal va vivre une forme d'expérience de transidentité à un moment dans le scénario.
C'est plutôt drôle ça encore, ça donne lieu en particulier à une scène rigolote où deux personnages s'embrassent, chacun/e se faisant passé pour l'autre genre et l'un d'eux déclame "pardon, ça n'est pas mon genre". Le jeu de mot est bien trouvé, on se croirait dans une pièce de théâtre. Ca fait que je vais mettre 2/10 à cette BD mais voilà ça s'arrête là.
Le reste du temps, ça permet juste de tourner encore plus en boucle sur les stéréotypes de genre et on voit donc encore plus les grosses ficelles que les auteurs ont mis en place pour trouver des excuses pour mettre les personnages dans des situations genrées.
Sauf qu'il n'y avait pas besoin de faire une histoire qui tourne spécifiquement autour de la transidentité, n'importe quelle oeuvre est inversable !
On se retrouve donc avec un scénario débile, des situations débiles et des personnages absolument pas attachants.
Il faut dire que jusque là je n'ai parlé presque que du concept d'inversion des genres (il faut dire qu'il prend énormément de place dans la BD, donc pourquoi pas dans ma critique). Mais le scénario est justement une pure parodie, non même pas une parodie, juste un gros cliché ambulant où le seul truc potentiellement intéressant c'est censé être cette inversion de genre.
Clichés sur clichés, même les blagues potaches sont d'une lourdeur et d'un classicisme ennuyeux au possible. L'histoire est découpée en petits sketchs qui sont pensés trop indépendament les uns des autres pour vraiment créer une histoire ambitieuse.
Et la mise en scène est très pauvre, tout ce que je retiens c'est que la plupart des planches on le même découpage : 4 cases en carré puis un grand plan qui prend la moitié de la page en débordant derrière les 2 cases du bas du carré. Seule la première planche m'a un peu marqué par son découpage.
Bref, en fin de compte c'est un monde pas crédible et sans enjeu autre que vouloir choquer les ptits identitaires qui, rappelons-le, se choquent très bien tout seul. En vertu de quoi je n'y vois que de la tartufferie morale à vouloir se complaire dans une oeuvre qui trouve l'excuse d'être une parodie pour être mauvaise. Il y a plein d'oeuvres qui font avancer bien mieux le féminisme que celle-ci. Et finalement n'est-ce pas mieux de représenter le patriarcat bien réel pour déclencher des affects féministes chez les gens plutôt que de partir dans des idées théoriques ?
[Edit : Je viens de lire le Tome 2 qui est un peu mieux]
Créée
le 14 août 2024
Critique lue 6 fois
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le 13 janv. 2018
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