Critixman par Messiaenique
Impossible de s'intéresser à la bande dessinée, a fortiori franco-belge, sans connaître l'un des auteurs les plus emblématiques des années 2000, la casquette fière et la barbichette au diapason, en la personne de Manu Larcenet. Impossible de passer un étal d'albums chez votre libraire sans tomber nez-à-nez avec ses travaux chez Dargaud, notamment Le Retour à la terre et Le Combat ordinaire. Impossible, surtout, de ne pas tomber sous le charme des traits de génie de cet artiste, alliant finesse et maturité, qui lui ont valu une petite douzaine de prix prestigieux. De son côté, difficile certainement d'atteindre un tel statut : si l'on veut obtenir une belle notoriété, il faut d'abord surmonter des épreuves et forcer le respect, face à des critiques parfois mordantes.
En 2007, l'auteur troque ses personnages attachants contre un super-héros à la suffisance inégalée : Critixman, dont les (més-)aventures paraissent sous la forme d'un mini-album broché sur le label de son créateur (Les Rêveurs). Cette vingtaine de pages à l'humour caustique rappelle les débuts de Larcenet chez Fluide Glacial, la dimension intimiste en plus. Parfois drôle, souvent haineuse, cette BD à peine griffonnée va pourtant plus loin qu'un simple exercice d'auto-dérision. Dans Critixman, il est surtout question de vindicte aux intentions à peine voilées : à la lecture rapide de cette revue, on croit assister à un véritable règlement de comptes. Larcenet ne cache pas son antipathie, voire son mépris envers ceux qui ont la critique facile ; en les affrontant de face, il s'arme d'un humour noir résolument gratuit, plus agressif que celui de Franquin.
Les faiblesses imputables à ce mini-album n'entament en rien sa relative efficacité. Le caractère grossier du personnage, qui distribue à tour de bras des critiques négatives, à la fois sur la qualité de dessin, l'originalité de l'œuvre et tout ce qui a attrait aux valeurs artistiques du pauvre dessinateur, n'est pas si loin de la réalité. Cette caricature de pseudo-intellectuel, autoproclamé à la lumière d'œuvres marginales underground, parvient bon an mal an à faire mouche. En effet, il n'est pas rare de croiser ces personnages qui, se croyant dispensés de mettre une œuvre en contexte, n'hésitent pas à la descendre sous prétexte qu'untel est déjà allé plus loin en la matière ! Par-delà la frustration, pointe néanmoins une légère note de tendresse : preuve que malgré cette critique de la critique pure, celui qui tient le crayon n'est pas si méchant qu'il voudrait le laisser paraître.
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