J'ai l'impression qu'avec Bastien Vivès, c'est tout l'un ou tout l'autre, soit la finesse, soit le gros cliché bien lourd. Ici, c'est la seconde option qui l'emporte largement à mes yeux. Que le scénario se résume à peu de choses ne me pose pas de problèmes : c'était le cas déjà dans Le goût du chlore, qui excellait dans le rendu d'une ambiance, de la naissance des sentiments et des non-dits. Ici, à l'inverse, l'album s'enlise dans un minimalisme assez creux, tout juste sauvé par un dessin, il est vrai, novateur et original.
Un jeune homme rencontre une étudiante dans une bibliothèque, une relation plus ou moins amoureuse s’instaure entre eux. L'originalité est censée venir de la narration : tout ce que verra le lecteur le sera du point de vue du narrateur, à la manière du procédé de la caméra subjective. Idem pour ce qui est des dialogues, on ne pourra lire/entendre que les paroles prononcées par la jeune fille, voire éventuellement d'autres personnes dans son environnement immédiat. Ce qui ne me semble pas très logique, soit-dit en passant, puisque dans la vie, si on ne voit que l'autre, on s'entend soi-même parler (je précise que le narrateur n'est pas sourd). Ce procédé de la caméra subjective montre donc très rapidement ses limites. D'autant que, si les paroles du narrateur ne nous sont pas audibles, il nous faut pouvoir les deviner (sans quoi on ne comprendrait rien à rien) : d'où des dialogues du personnage féminin pas toujours très naturels, car construits pour combler les blancs du narrateur.
S'ajoute à ce manque de naturel des dialogues un manque de naturel du personnage féminin, qui passe son temps à minauder, à faire des poses en veux-tu en voilà, à jouer les pimbêches du début à la fin. Histoire d'en rajouter une couche, les situations sont peu naturelles, comme lorsque la jeune fille se met à rire comme une hystérique parce que le narrateur a lu un livre pour enfants dans le métro. L'apogée, c'est la fin, qui relève du pur cliché sur la rupture, avec des dialogues du genre "On devrait arrêter de se voir", "Nan mais c’est pas toi, c'est moi en fait", bref, des trucs que les gens ne disent jamais dans la vraie vie (ou alors seulement quand ils ont une forte tendance à jouer la comédie). Cette fin en forme de rupture tombe comme un cheveu sur la soupe, s'avère être le but de l’album et se révèle sans intérêt. On se dit alors : "Ah ouais, tout ça pour ça, ça valait le coup, dis-donc."