N'ayant pas encore pu me procurer le célébrissime « Swamp Thing » d'Alan Moore, qui modifia brillamment le regard des lecteurs de comics sur la créature des marais dans les années 80, je me suis finalement décidé à suivre les nouvelles aventures de la feuille de chou géante estampillée New 52. L'envie de m'y mettre est devenue particulièrement pressante après l'excellente surprise que constitua la lecture du tome 1 d'Animal Man, série soeur de Swamp Thing dans les thématiques et dans la menace affrontée, la Nécrose (Rot, en VO), puissance de mort qui s'oppose au Sang (le règne animal et humain traité dans Animal Man) et à la Sève (le règne des pissenlits et des salades exploré dans Swamp Thing).
Une fois n'est pas coutume, avant de parler du scénar', élément essentiel dans une BD pour moi, je vais vous causer graphismes. Caramba, que c'est beau ! C'est officiel, je suis amoureux de Yanick Paquette et de ses compositions fouillées, racées, précises, élégantes, aussi poétiques que lugubres, magnifiquement exposées dans un ensemble de non-cases déstructurées rendant l'exercice de lecture non pas plus difficile (car le tout reste assez clair) mais plus riche et entrainant. L'aventure d'Alec Holland (le pendant humain de la créature des marais) se vit presque comme un rêve éveillé, une hallucination provoquée par une une herbe ou des champignons pas très catholiques. C'est beau, c'est beau, c'est fantastiquement beau, au point où j'aurais presque envie de lire la chose nommée Batman Inc., illustré par monsieur Paquette, c'est dire.
L'histoire, signée Snyder, est sympathique et efficace, à l'instar de son travail sur « Batman: La Cour des Hiboux ». L'auteur maitrise bien la verve horrifique, imprime un rythme trépidant à son histoire et propose une véritable nouvelle origine à son personnage, pour que les newbies comme moi puissent suivre, tout en respectant et en intégrant le travail précédant d'Alan Moore. Le petit souci, c'est qu'après la lecture d'Animal man, je suis en terrain connu. Trop connu. Le schéma scénaristique est le même, en un peu moins bien. La faute à mon niveau d'empathie pour les personnages. Alors que je m'étais immédiatement attaché à Animal Man et sa famille, à son côté paumé et désabusé, j'ai eu un peu plus de mal avec Alec, Abigail et son frangin.
Les personnages, alors qu'il est sans cesse fait référence à leur passé, m'ont semblés plus artificiels, tombant comme un cheveux sur la soupe pour lancer l'intrigue (Alec est en mauvaise posture ? Abi surgit de nulle part. Ho, à propos, elle a un frère qu'il faut tout de suite rechercher). La psychologie est assez plate ou cliché (Alec est l'élu mais il refuse son Destin, le frère d'Abi est un enfant martyr donc il risque de devenir méchant et de se faire un remake de « Akira »...). La motivation profonde des personnages n'est guère explorée (à part celle du héros, mais c'est cliché) car tous les dialogues sont tournés exclusivement vers l'explication de l'intrigue sans laisser de place, ou presque, au dévoilement de sentiments crédibles ou même à des traits d'humour qui auraient un peu décomplexé le tout.
Car l'ambiance est pesante, du début à la fin, très sombre, et tout le monde a un balais dans le cul. Faut dire que la menace de la Nécrose est si rapide et si totale (genre, hier tout allait bien, et aujourd'hui il est déjà trop tard pour empêcher la fin du monde) qu'on a pas le temps de s'asseoir pour se demander ce qui arrive, normal. On passe malgré tout un très bon moment de lecture dans la moiteur du bayou, l'ennemi semble si fort et omnipotent que je suis très curieux de savoir comment Alec va s'y prendre pour contrecarrer la funeste menace. Les deux derniers chapitres, en particulier, grâce à un retournement de situation dramatique, relancent considérablement les enjeux narratifs et ont aiguisé mon appétit pour l'univers si particulier de Swamp Thing, véritable point fort de la série.
Bizarrement, il n'est plus là question des stéréotypes qui caractérisent les personnages: la flore est présentée avec lucidité, comme une force de vie agressive dont le but final est bien la conquête de la Terre, à l'instar du Sang et de la Nécrose combattue ! La Nature n'est en rien idéalisée et c'est même l'Homme, grâce à sa conscience, qui devient le garant d'un potentiel équilibre, bien loin de l'habituelle rengaine qu'on nous sert tous les jours sur une Nature parfaite brisée par une humanité parasite et digne d'être écrasée, blablabla. C'est bien sympa de lire des histoires qui nous redonnent foi en l'humanité et au rôle que nous avons à jouer dans le développement de la vie.
Vous le voyez, cet univers m'a séduit, tant il est étranger à bien des comics mainstream et propre à toutes les éventuelles audaces qui pourront sortir de l'imagination de leurs auteurs. Que la « struggle for life » débute, et que le meilleur camp l'emporte ! De préférence le nôtre...