À lire en complément de ma critique de Jojo's Bizarre Adventure.



Ils ont habituellement la bougeotte nos héros de Shônen. Bien sûr, ils ont souvent un pied-à-terre ou se reposer et flâner entre deux arcs narratifs passés à se castagner - souvent sans raison valable, mais les rencontres se jouent rarement à domicile. Avec Diamond is Unbreakable, on entérine la croisade pour s'en retourner au bercail. Les ennemis y seront aussi présents en nombre, l'atrocité guettera au moindre coin de rue, mais ici, à Morioh, vous retrouverez malgré le tumulte la quiétude heureuse d'une petite ville qui, à terme, deviendra la vôtre.
Morioh est la force de cet arc narratif. L'une d'elles dirons-nous. Cette ville, ce n'est pas que des murs et des ornements. La commune ici transcende son rang de paysage et nous convie à visiter un monde trop rarement vu dans le manga. Un monde sans fantasmagorie excessive si l'on omet les stands, un monde presque bucolique en réalité où il y fait bon vivre. Ce n'est pas pour sauver une demoiselle en détresse qu'on bataille dans les rues de Morioh, ce n'est pas pour la Justice, pour l'honneur ou le destin du monde mais pour défendre ce joyau de ville qu'Hirohiko Araki aura su nous faire aimer autant qu'à ses personnages. Et pour cause, l'auteur se sera inspiré de rien moins que son village d'enfance. La restitution qu'il en fera sera d'ailleurs si authentique qu'elle laissera derrière elle un souvenir inoubliable au lecteur. De Morioh, vous en connaîtrez ses rues, ses commerces, ses locaux et surtout, ses déboires.


Un héros sédentaire sonne comme une contradiction dans les termes à qui manque d'imagination ; après tout, Ulysse n'aura pas guerroyé le long des rivages d'Ithaque, pas plus que Godefroy de Bouillon ne sera mort au plat-pays. Ce ne sont pas des héros qui se présentent à nous avec Diamond is Unbreakable, simplement des guerriers de circonstance sortis de la torpeur paisible de Morioh afin que la douceur de vivre ne meure jamais. C'est au nom de la paix qu'on lutte ici, celle de sa cité, mais aussi sa propre paix. Yoshikage Kira, l'antagoniste principal, n'a-t-il pas comme unique motivation de vivre une vie normale ?


L'aventure ici confine - et c'est le mot - au huis clos. Un huis clos alternant entre la bête nonchalance des jours heureux et l'abomination de l'imprévu dans un monde offert à la stricte monotonie. Le rendu sera - comme toujours avec Araki - splendidement mis en scène. Vous vivrez l'intensité des instants les plus anodins et retiendrez vous aussi une simple partie de dés comme l'une des batailles les plus haletantes que vous ayez pu lire dans un manga. Avec un peu d'encre et beaucoup de suite dans les idées, Hirohiko Araki pourrait vous conduire aux abords de la tachycardie simplement en adaptant l'annuaire en manga. L'auteur sait habiller son œuvre, à croire que cela se voulait chez lui comme une vocation.


Cette quatrième partie aura pour autre mérite d'être la seule à voir converger trois générations de Jojo en même temps. Une branche se sera ajoutée à celle de la lignée directe des Joestar. Une autre suivra.
L'appréhension me tiraillait toutefois le visage d'une moue pour le moins dubitative alors que Jotarô comptait à nouveau parmi les protagonistes principaux. Jotarô, je l'apprécie comme chacun, mais comment suggérer raisonnablement le risque quand, parmi les protagonistes, figure un homme capable d'arrêter le temps ? Lucide, et prenant des libertés avec son œuvre comme il le fait bien souvent, Araki aura alors réduit la durée de son pouvoir pour notre satisfaction. Diamond is Unbreakable n'aurait pu se concevoir autrement. Stone Ocean encore moins.


Et qui pour s'opposer à lui cette fois ? Qui pour succéder à Dio ? Qui pour seulement oser marcher dans ses traces ? Personne. Moins que rien même. Yoshikage Kira reprend la figure de l'antagoniste central en se gardant pourtant de véritablement chercher querelle à qui que ce soit.
Le personnage m'aura soufflé. J'avais déjà rapporté ne pas faire grand cas des personnalités étalées tout le long de la saga. Certes, les personnages dans Jojo's Bizarre Adventure ont leur grandeur, les dynamiques qui les lient sont parfois plus fortes que leurs psyché individuelles, mais ils font rarement étalage d'un caractère innovant ou profond. Et là, au détour d'un chapitre, survient Kira. C'en est fini de vouloir dominer le monde et d'assurer son joug sur l'humanité toute entière. Lui, n'aspirera rien d'autre qu'à être laissé en paix. Sa jouissance, il ne la tire pas du pouvoir mais de ce plaisir quasi-orgasmique à n'être qu'une ombre dans la foule. Un travail dans un bureau, des passes-temps simples, il n'a comme défaut manifeste que d'être un tueur en série. Cela arrive même aux meilleurs.
Oubliez ces figures Shônen du psychopathe baveux et frénétique ou de l'archétype du monstre froid que rien n'ébranle ; Yoshikage Kira, à l'image de la ville dans laquelle il sévit, déborde d'une authenticité n'ajoutant que de la frayeur à qui se risque à le voir pour ce qu'il est. La complexité et même la nuance que présentera le personnage au regard de son développement et de son caractère contrastera violemment avec ce à quoi le lecteur de Jojo's Bizarre Adventure aura été habitué jusqu'à lors.
Avec le sédentarisme de l'intrigue, cette figure antagonistique qui n'aspire qu'à vivre une vie tranquille rompt avec la tradition même du Shônen épidermique dont on aurait cru qu'elle était éternelle. Les ennemis ici n'obéiront pas à un gourou mais ne seront le plus souvent qu'une série d'électrons libres et indépendants dont la plupart lieront finalement leur destin à celui des héros. Après tout, ils sont eux aussi fils de Morioh. Des fils ingrats qui, pour beaucoup, rentreront dans le droit chemin après y avoir laissé quelques os.


Diamond is Unbreakable sera la phase de tous les changements et d'un autre en particulier : celui des graphismes. C'est durant cette période de publication qu'Araki choisira de s'extraire de ce style originel copieusement pompé sur les traits de Tetsuo Hara pour bifurquer vers une direction inattendue. Les colosse aux visages carrés s'émacieront jusqu'à en devenir presque efféminés. Il y a un avant et un après Diamond is Unbreakable ; la quatrième partie de la saga aura été pour l'auteur une chrysalide d'où il sera ressorti flamboyant. Enfin, l'identité de son œuvre finit de s'affirmer ; Hirohiko Araki est maintenant un mangaka à part.


Un mot sur les stands : Génial. Génial au sens premier où l'entend le Larousse. Le concept ici aussi s'affirme. D'abord balbutiant avec Stardust Crusaders, les pouvoirs étaient le plus souvent assez sommaires dans leur procédé. Ils gagnent ici en complexité mais pas en élaboration et c'est en cela qu'Araki tient du génial. Les pouvoirs, dans l'ensemble, restent relativement simples voire simplistes tout en demeurant fonctionnels. Chaque stand repose sur une idée élémentaire qui, par l'inventivité de l'auteur, s'épanouira grâce à des utilisations d'une ingéniosité sans borne.


La tradition des batailles finales dont l'épique n'est plus à démontrer se perpétue ici. Quand on croyait la rencontre entre Jotarô et Dio au sommet, on se surprenait ici à découvrir qu'un mont plus pentu encore nous attendait plus loin. C'est avec plaisir qu'on l'escalade et, une fois en haut, l'air y sera si rare qu'on ressortira de l'affrontement le souffle court. Une merveille de bataille signée Araki. Une de plus.


Entre une mise en scène à se damner, l'ingéniosité des pouvoirs, des personnages comptant parmi les plus sympathiques de toute la saga, l'absence de lenteurs dans l'intrigue, sans doute avons-nous lu ici l'une des meilleures partie de la saga. Ma partie favorite en tout cas. Celle-ci n'aura hélas - au regard de la postérité - comme seul défaut d'avoir poussé dans le terreau du mythique Stardust Crusaders. L'appel de l'aventure lointaine aura été préférée à cette intrigue cloisonnée à une ville seule qui faisait pourtant le charme de cette partie.


Kennedy avait crié un jour avec emphase «Ich bin ein Berliner». Dix-huit tomes plus tard, à votre tour, vous revendiquerez la citoyenneté d'une ville dans laquelle vous n'aurez vécu que figurativement. Morioh, c'est aussi chez nous et cette ville, nous la quitterons à regret après y avoir fait tant de rencontres surprenantes et cultivé les meilleurs souvenirs qui soient.
Avec Diamond is Unbreakable succédant à Stardust Crusaders, Araki aura secrété des légendes en série. Cela, jusqu'à ce qu'il s'épuisa un jour quand, sous le poids du deuil, il renouera malencontreusement avec Morioh le temps de la calamiteuse huitième partie.

Josselin-B
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le 7 août 2020

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Josselin Bigaut

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