Il est là, toujours fidèle au poste malgré la crise, c'est le crossover annuel de Marvel, grande messe super héroïque et l'occasion pour l'éditeur de vendre du papier aux lecteurs de comics.
L'année dernière, "War of the Realms" servait de conclusion au long run de Jason Aaron sur Thor et transformait en crossover ce qui aurait dû rester à l'état de simple arc narratif, allongeant plus que de raison une histoire dans le fond assez simple et qui se résumait à voir les héros Marvel se fighter contre des créatures mythologiques.
Cette année, c'est dans les vieux pots sur l'éditeur tente de faire du neuf, en proposant une suite tardive à la guerre Kree/Srull, l'équivalent comics du conflit Israélo-palestinien (des petits êtres fourbes et revanchards contre des guerriers belliqueux et égocentrique). Cette fois, les deux races extraterrestres, qui se font la guerre depuis des millénaires au point de ne même plus savoir pourquoi (quand je vous dis que c'est le conflit Israélo-palestinien) décide de faire une trêve et de s'allier, sous la bannière d'un nouveau roi, Dorek VIII aka Teddy Altman aka Hulkling des Young Avengers; cette alliance a pour but de combattre un ennemi commun : les Cotatis, une race de plante humanoïdes autrefois pacifique mais qui a décidé d'arrêter de se faire marcher dessus et d'éradiquer toute vie animale dans l'univers (ça comprends donc aussi les humains) en commençant par la Terre, pourtant autrefois alliée des Cotatis.
N'y allons pas par quatre chemins : Empyre est mauvais. Vraiment mauvais. Certes, les précédents events n'avaient pas non plus brillé par leur grande qualité (il faut remonter où pour trouver le dernier bon crossover? 2013 avec Infinity de Hickman? Secret Wars en 2015-2016 du même Hickman si vous êtes gentil. Soit 10 ans environ) mais je n'avais pas lu un truc aussi nul depuis Fear Itself en 2011 (dans lequel des marteaux magiques transformaient héros et vilains en avatars du Dieu de la peur Asgardien). Globalement, Empyre est surtout un prétexte à une grosse baston générale pas très passionnante. Ça ressemble plus à un opus de WoW qu'à du Marvel. Déjà que la série centrale n'est pas bien intéressante mais les tie-ins sont encore pire : les personnages affrontent différentes créatures Cotatis qu'on croirait sorties d'un jeu vidéo. Impossible de vraiment s'intéresser à une intrigue poussive et mal écrite, dans laquelle la plupart des protagonistes font de la figuration et où les scénaristes sont obligés de se forcer pour tenter de nous faire croire qu'il se passe quelque chose d'important. Tous les rebondissements sont poussifs et un peu comme pour War of the Realms, on a l'impression de voir un truc conçu comme un simple arc narratif allongé plus que de raison et donc rempli de vide.
Il faut dire que certaines idées issues du crossover original ont bien vieillies et auraient dû rester dans les 80's. À commencer par les Cotatis et leur messie Quoi (diminutif de Séquoia, si c'est pas un nom à la con ça !) aussi moche que creux. Si cette race n'a jamais été réutilisé par la suite, il y a peut être une raison : c'est parce que les scénaristes avaient compris que c'était une idée foireuse de base. Jamais ils ne parviennent à représenter une menace crédible.
Le récit n'est pas aidé non plus par ses scénaristes, à commencer par Dan Slott dont je n'ai jamais aimé les travaux. Même son run sur Spider-Man, pourtant acclamé par tous, je le trouve à chier. Je peux immédiatement vous dire quelles parties ont été écrites par Slott, quelles sont les idées qui viennent de lui, je connais tellement ses défauts d'écriture. Surtout, je ne peux pas encadrer sa façon simpliste de balancer des leçons de morale, avec ce discours écolo balancé par Red Richards à la fin. C'est ridicule.
Al Ewing est lui capable du pire comme du meilleur, il s'épanouit beaucoup mieux quand il a les coudées franches et sur un truc aussi balisé qu'un event, il ne fait pas de miracle.
Mais surtout, Empyre part de base avec de gros handicaps qui plombent le crossover.
D'abord, si vous n'avez pas lu les épisodes précédents, c'est à dire "La Guerre Kree/Skrulls" et ses suites "La Madonne Céleste" et "Avengers : Quête Céleste", le crossover perd beaucoup de son intérêt. Parce que vous manquez des informations cruciales pour comprendre la situation et les relations entre les uns et les autres, ce que sont les Cotatis et surtout tout ce qui entoure le personnage du Spadassin, personnage secondaire qui n'est plus réapparu depuis des lustres mais qui tient une place importante ici (j'ai vérifié, sa dernière apparition date de 2010 dans la très sympathique mais très secondaire mini série Chaos War). Certes, Marvel ayant toujours à coeur de ne pas perdre les nouveaux lecteurs, l'éditeur à conçu un épisode sous forme de résumé mais c'est loin de suffire à faire comprendre la complexité de l'histoire qui lie certains personnages.
L'autre gros défaut qui n'aide pas Empyre, c'est la réapparition de Hulkling et Wiccan, ressortis du placard pour l'occasion. Les deux personnages sont issus de "Young Avengers", série créée en 2006 par Alan Heinberg et Jim Cheung sur un postulat pas très original : une version ado de la plus grosse équipe de super-héros de l'éditeur. DC appliquait déjà le concept depuis des années avec les Teens Titans, version junior de la Ligue des Justiciers, c'est donc d'autant plus étonnant que Marvel ait mis tant de temps à faire la même chose alors que les deux éditeurs ont toujours passé leur temps à se copier l'un l'autre.
La première "saison" est un succès, critique et publique, c'est frais, bien écrit, ça fait référence à des évènements passés de Marvel sans être élitiste et les personnages évoluent au cours de la saison pour trouver une identité propre : Hulkling se révèle être finalement le fils du héros Kree Captain Marvel et de la princesse Skrull (rien à voir avec Hulk donc) et Wiccan se révèle être l'un des jumeaux perdu de La Sorcière Rouge (rien à voir avec les Asgardiens). La série est aussi applaudi pour mettre en scène le premier couple LGBT de l'histoire de Marvel, les dessins de Jim Cheung sont parfaitement adaptés à l'ambiance de la série... Bref, la série est une belle surprise et une réussite totale.
Sauf que la suite met beaucoup de temps à arriver. Parce qu'Alan Heinberg est avant tout un scénariste de série télé et qu'il est très occupé de ce côté là. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Young Avengers n'est pas conçu comme une ongoing mais sur un modèle proche des séries télé, c'est à dire comme un ensemble de séries limitées. Marvel décide d'attendre sagement que le scénariste ait terminé ses obligations et se contente de quelques épisodes spéciaux dans le cadre de divers crossover.
4 ans plus tard, Heinberg livre enfin la suite de la série. Cette seconde "saison" est sous titrée "The Children Crusade" et se concentre sur la quête de Billy et son frère William pour retrouver leur mère, La Sorcière Rouge, toujours portée disparue depuis House of M. Cette seconde fournée ne comprends que 9 épisodes, toujours illustrés par l'excellent Jim Cheung et sont un peu moins bons que les précédents, notamment parce qu'on sent que le but de Heinberg est de réhabiliter le personnage de Wanda Maximoff. Les explications laissent dubitatif (tout ça serait plus ou moins l'oeuvre de Fatalis) mais le talent du duo fonctionne toujours et c'est un plaisir de retrouver les personnages. La saison se termine sur un cliffangher... qui n'aura jamais de suite.
La série se retrouve à nouveau en stand by pendant 3 ans avant d'être confiée à un autre duo, bien différent : Kieron Gillen et Jamie McKelvie. Les deux artistes ont déjà travaillé ensemble sur le très queer "The Wicked + The Divine" (dont je ne garde aucun souvenir) et l'ambiance est très différente par rapport aux travaux de leurs prédécesseurs : l'ambiance y est plus moderne, moins classique, plus indé, Gillen intègre Kid Loki et America Chavez à l'équipe, le dessin de McKelvie est aussi loin d'être aussi beau que celui de Cheung et ce n'est plus vraiment la série qu'on a connu à ses débuts.
Et puis ensuite, plus rien. La série et les personnages tombent dans l'oubli pour une raison inconnue. On les retrouvera très brièvement lors du crossover Original Sin en 2014 et lors de l'épisode spécial Marvel Comics #1000 en 2019 mais rien de plus. Est ce que Axel Alonso, le nouveau editor-in-chief, a préféré donner la priorité à la série Champions, qui reprenait plus ou moins le même concept (des versions ados des grands héros)? C'est en tout cas un beau gâchis.
C'est donc d'autant plus curieux de voir les personnages revenir la fleur au fusil, comme si de rien n'était, sans même prendre la peine d'expliquer leur absence, ni même d'ailleurs tenter de relancer la série à la fin du crossover.
Qui dit crossover dit bien sûr conséquences plus globale. C'est aussi un passage obligé de ce genre d'exercice. Elles sont traitées dans deux épisodes aftermath, chacun écrit par l'un des deux scénaristes.
On commence avec celui écrit par Al Ewing, qui commence par orchestrer le mariage en bonne et due forme de Hulkling et Wiccan. Là encore, c'est une tradition chez Marvel, depuis l'union de Red Richards et Sue Storm. Marvel s'est adapté à son époque et a récemment offert à ses personnages LGBT leur épisode de mariage, le dernier en date étant celui de Véga dans les pages de Astonishing X-Men. Rien de bien intéressant ici, encore plus si on ne revoit pas les personnages dans une série régulière. Il y a même un truc qui me chiffonne : les dessinateur ne cesse de représenter Hulkling sous sa forme Skrull tout au long du récit. Si ça peut se comprendre lorsqu'il dirige les deux factions en guerre, ça a moins de sens lorsqu'on évoque sa vie personnelle. Si il est un hybride Kree et Skrull, il n'est reste pas moins humain, avec une apparence humaine.
C'est ensuite le moment pour les héros de célébrer leur victoire dans une grande fête, où perce parfois les relents de conflits passés. La bisbille entre Steve Rogers et Tony Stark est un peu artificielle, celle entre Abigail Brand et Carol Danvers un peu moins. La première reproche à sa consœur et plus globalement aux Avengers de ne pas l'avoir mise au courant de ce qu'il se passait dans l'espace (Brand est à la tête d'Alpha Flight, qui a remplacé le SWORD et qui s'occupe des menaces extraterrestres pouvant affecter la Terre) et d'avoir fait leur tambouille seuls, des griefs assez juste. Sauf qu'on se demande alors à quoi elle sert Brand si elle a besoin des Avengers pour faire ce qui est précisément son boulot.
De son côté, le nouvel empereur Dorek VIII doit asseoir son autorité et punir les généraux qui ont désobéi. En gros, il ne se passe rien de vraiment important si ce n'est la séquence finale : dans un futur indéterminé, le nouvel empire de Hulkling est terrassé et sa seule issue semble provenir du Alpha Flight de Abigail Brand. Est ce que c'est un évènement qui aura une suite prochainement ou est ce que c'est juste une piste lancée au hasard au cas où quelqu'un voudrait s'en servir un jour? Je pencherais plutôt pour la seconde.
Vient ensuite l'épisode écrit par Slott, qui se concentre sur les FF : logique puisqu'il est le scénariste attitré de la série. Comme pour son collègue, il se contente d'abord de conclure les intrigues développées dans l'event : les Cotatis sont exilés sur une planète au milieu de nul part et c'est à peu près tout.
Wolverine et Spidey sont conviés parce que pourquoi pas. Enfin, pour le second, c'est juste pour offrir une séquence entre Johnny Storm et Peter Parker, frat bros depuis toujours, le genre de scène que Slott a multiplié durant son run sur le tisseur. Ben Grimm et Alicia Masters adoptent des orphelins extraterrestres et on s'en fout un peu...
Comme dans l'autre épisode, il faudra attendre la séquence finale pour avoir un petit quelque chose à se mettre sous la dent. Depuis le début de l'épisode, un mystérieux personnage encapuchonné observe les héros. Slott révèle qu'il s'agit en fait de Nick Fury. Pas l'actuel Nick Fury, celui qui ressemble à Samuel L. Jackson et issu de l'univers Ultimate mais l'ancien, l'original, qu'on avait plus revu depuis Original Sin, lorsqu'il avait pris la place du Gardien, devenant un observateur silencieux du nom de L'invisible. Ça fait donc 10 ans qu'on avait pas de nouvelle de lui et voilà qu'il réapparaît soudainement. Mais ça ne s'arrête pas là puisque le personnage est frappé de douleur et que de son corps émerge Uatu, le gardien assassiné qui vient réclamer vengeance. J'ai pas tout compris et je suppose que tout ça sera traité dans les pages de FF, que je ne lis pas parce que je n'ai aucune envie de m'infliger une autre merde écrite par Slott.
Voilà, il fut un temps où un crossover Marvel avait de vraies conséquences à long terme, aujourd'hui ce sont juste des opérations commerciales bassement mercantiles et même pas fichues d'être écrites correctement. Finalement, on relisant ce qui a pu sortir durant le mandat de Quesada, je me dit que ce dernier n'était pas si mauvais malgré quelques décisions contestables. En tout cas, entre un "House of M" ou un "Civil War" ou même un "Secret Invasion" et ce "Empyre", il y a une énorme différence d'intention et d'écriture. Aujourd'hui, Marvel semble plus intéressé par l'idée de contenter ou récupérer un public issu du cinéma que par celle d'écrire des bonnes histoires.