Death Disco 1518

Adaptation du roman du même nom reprenant un fait-divers de 1518 : la "peste dansante" de Strasbourg.

En cette année, après une hausse des disettes, des morts infantiles et des taxes ecclésiastiques (d'où la critique des indulgences, ces taxes pour s'acheter une vertu dans l'au-delà, critiquées par le protestantisme naissant), les Strasbourgeois se comportent de plus en plus bizarrement sous le coup de la peine et du stress.

Alors qu'ils devraient s'inquiéter, notamment des rumeurs d'invasions turques ou luthériennes, l'une d'entre eux se met alors... à danser. Mais connaissant les auteurs des romans et des BD Charly 9 et Henriquet, l'homme-reine, l'histoire ne va pas se finir comme dans Footloose avec la victoire des danseurs mais plutôt comme dans la chanson Death Disco : dans le deuil et la souffrance.

Après la mort de son enfant, une Strasbourgeoise se met à danser sans s'arrêter jusqu'à ce que ces pieds rougissent de sang. Mais le pire, c'est que beaucoup la rejoignent dans cette danse macabre et impossible des les arrêter ou de les raisonner. Le phénomène semble contagieux et touche surtout les pauvres écrasés de taxe et de chagrin, même les riches moqueurs sont entraînés là-dedans et tournés en ridicule.

L'Église catholique n'y voit que perdition et provocation voire œuvre du Diable et les somme d'arrêter tout de suite cette "hérésie". Mais le maire de Strasbourg et les médecins ont une explication plus rationnelle : ce serait une psychose collective donc psychologique due à des années de corruption subie et autres mauvais traitements par l'Église, expliquant également la hausse du luthéranisme contre les indulgences.

Mais les curés et autres prêtres catholiques refusent de renoncer à leurs privilèges ou de venir en aide aux pauvres et aux danseurs, et laissent les médecins combattre la danse... avec plus de danse dans l'espoir de les "fatiguer".

Peine perdue : les danseurs continuent jusqu'à en mourir, font des orgies dansantes après des années d'interdiction et de frustration sexuelle imposée par l'Église, et il faut en nourrir certains de force. On décide alors de les isoler les uns des autres, mais rien n'est arrangé pour autant car certains dansent encore chez eux.

C'est à partir de cette scène que la BD déforme légèrement les témoignages et les faits : aucun témoin n'avait reporté de scène d'orgie et les auteurs transforment un messe (où l'évêque local continue son discours aveuglé et obscurantiste contre la suppression des indulgences) en véritable discothèque colorée comme aujourd'hui, la messe ayant fait sonner les cloches et réactivé l'épidémie...

On avait déjà quelques anachronismes et exagérations dans Charly 9 avec sa trompette de partouze ou avec Henri III le gentil travesti de la France transexuelle, mais Entrez dans la danse compare la messe à du Skrillex et montre des moines dansant à la turque à la moindre évocation du protestantisme.

Malheur, une nouvelle religion !

La fin est presque comme dans les récits et témoignages : le maire oblige l'Église locale à s'occuper des pauvres car il comprend que c'est psychologique (même si le terme et le sujet d'étude n'existait pas à l'époque), et l'Église rassemble les "malades" pour les soigner à coups d'autel de pèlerinage (ça avait marché dans la réalité, apparemment).

Presque, car c'est là que les auteurs deviennent exagérément à charge contre les prêtres catholiques (même s'il est toujours bien de dénoncer les indulgences et les ecclésiastiques privilégiés détournant la Bible pour avoir toujours plus d'argent et de le pouvoir) :

Toutefois, la vision des romanciers et des bédéistes reste intéressante et la meilleure scène de Entrez dans la danse est celle où un des couples du début meurt ensemble après avoir dansé et exprimé leur amour réciproque.

C'est donc dans la danse de la mort que ces Strasbourgeois ont remis en cause les autorités locales et sont devenus au contraire encore plus vivants qu'avant.

(Edit :) en fouillant sur le Net, on peut voir qu'il a existé plus tard un équivalent japonais à cette peste dansante → Ee ja nai ka (ou Eijanaka comme le film de 1981, littéralement "On s'en moque, rien ne compte !") en 1867-1868 pendant la Guerre de Boshin, aussi sur fond de famine paysanne, d'hystérie collective et de transition douloureuse (fin du shogunat et Restauration Meiji).

Intéressant et terrifiant de voir que l'Alsace n'a pas été la seule à avoir vue sa population rejoindre la Danse Macabre...