La totalité fait plus que la somme des parties

D'une idée prometteuse, Waig a fait naître une véritable histoire et un univers original, bien qu'ouvertement inspiré de la franchise DC.
Le concept est simple : le Plutonien, un héros honteusement copié sur Superman, blond, gominé, boy scout, américain jusqu'au bout des ongles, tout-puissant, perd la boule et entreprend de ravager le monde qu'il protégeait autrefois. Ses anciens collègues héros tentent de s'y opposer. De là, il serait difficile de ne pas sortir quelque chose de distrayant, de rigolo et de plaisant. Mais l'auteur va plus loin, créant personnages complexes, scénario noir, réflexion construites sur le statut de surhomme et la notion de pouvoir...
Les méandres de l'âme de Tony ( le Plutonien ) sont analysés de fond en comble. Comment un homme qui se dédie entièrement aux autres finit par être lassé de leur ingratitude, comment un être aux pouvoirs de dieu n'arrive plus à estimer la vie de simples humains comme valant plus que la sienne, comment un enfant qui désirait être aimé ne pouvait que provoquer la peur et l'incompréhension de tous par sa différence... Et comment cela l'amène à devenir un meurtrier de masse sadique, détruisant des pays entiers par caprice, au delà de toutes rédemption... Une rédemption qu'il souhaite, pourtant, dans son esprit embrumé par la rage, bien qu'il ait franchi un point de non retour le rendant pour toujours indigne du moindre pardon et que la haine et l'amertume ne le quitte plus. On est sans cesse ballotté entre le dégoût pour sa cruauté, et la pitié pour sa condition de surhomme, qui le condamne d'emblée à un enfer solitaire. Car le héros déchu est, comme Superman, le résultat de tout les fantasmes de l'humanité. Avec tout ce que ça implique de peu glorieux.
Son ancienne ligue est loin de relever le niveau. Bien que dédiée au bien de l'humanité, ses membres ont tous leurs failles, leurs petites lâchetés, leurs égoïsmes, leur arrogance... Mais cela ne les rend que plus intéressants, voir attachants. Volt et sa catchprase "c'est parce que je suis noir, c'est ça ?", Charybde et sa mégalomanie galopante, Bette et son fatalisme face à ses erreurs, Kaidan qui parle aux fantômes pour les invoquer, Gilgamos le mésopotamien immortel volant ( ça fait beaucoup ), Qubic, dont le pouvoir est la science ( ? ) et qui est une reprise exceptionnelle du traditionnel petit malin de la bande, ici affligé d'un complexe de supériorité et voué à protéger ses camarades d'eux même. On aime toujours à les retrouver et à les suivre.
La série reprend en les détournant une bonne partie des traditionnels clichés des récits de super-héros. Le Plutonien avait sa Lois Lane et son Metropolis, il est fait référence aussi bien à des univers parallèle qu'à du mysticisme ou à des aliens, bref tout ces machins qui donnent très vite mal à la tête et vous font regretter les "simples" super-pouvoirs. On assiste en flash-back à quelques missions du Paradigme ( l'ancien groupe de héros ) et on fait ( brièvement ) la connaissance de quelques méchants de seconde zone. L'armée et l’état sont comme toujours à côté de la plaque. Mais le stéréotype repris de la façon la plus intéressante, c'est sans doute celui de l'archennemi, Modeus, un sociopathe supra-intelligent, capable de tout déduire et de tout créer, qui a trouvé le moyen de prendre possession du corps des autres ( brrr... ) et est, suprême ironie... amoureux fou du Plutonien.
Si chaque album à un côté feuilleton cynique et trépidant, la série prise dans son ensemble a une autre dimension, plus importante, plus profonde et plus intéressante. Parce que l'histoire a beau oublier des pistes, en couper d'autres un peu facilement, il n'en reste pas moins qu'elle aborde un grand nombre des possibilités induites par le sujet, et qu'elle le fait avec compétence. Agréable à lire, d'une portée plus grande qu'on aurait pu le soupçonner, ce comics remet sérieusement en question le mythe du héros sans taches, y substituant celle d'un homme comme un autre, bombe à retardement à double tranchants.
Kevan
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le 24 janv. 2014

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