Fratelli par aaapoumbapoum
Un « frère », un vrai, c’est le camarade idéal. Le sang n’a jamais rien eu à voir là-dedans. La fraternité se veut depuis longtemps affaire d’amour, de solidarité indéfectible, exempt de bassesse et de trahison. Plus encore en Italie, terre connue pour ses divisions, où l’hymne invite les Fratelli D’Italia à s’unir sous une même bannière.
Alessandro Tota dépeint donc cette fraternité là. Au début à travers le destin de deux vrais frères, en mal d’argent, en deuil de père, en quête de drogue, pieds nickelés qui projettent de brader l’héritage familial pour une poignée de cacahouètes. Les errances et les accidents trahissent l’impuissance de leur affection l’un pour l’autre. La misère ronge les liens, désœuvrement et petitesse gagnent.
Les nouvelles suivantes parachèvent cette déconstruction des relations humaines, l’aveu de leur rachitisme, la solitude qu’elle installe. Les frères éclipsés par l’intrigue, amis et gens du quartier passent sur le devant de la scène. Là encore, failles et mensonges transparaissent à mesure que les agressions de la vie s’amplifient. Les tentatives d’honnêteté avortent, l’abandon triomphe.
Alessandro Tota fait partie de ces rares auteurs qui proposent une vision complexe de la précarité. On pense évidemment à Gilles Rochier et à son très juste T.M.L.P., paru au début de l’année. Tous deux ont la qualité d’introduire du détail et de la nuance dans ces environnements souvent caricaturés, d’insuffler de l’ambivalence dans les destins, de ne pas appuyer sur le caractère inextricable du quotidien. Tous deux pèchent également par excès de romantisme. Alessandro Tota, c’est dommage, souligne avec pesanteur les regards déçus, les silences contrariés, alors que l’embarras parait déjà évident sans ce maniérisme du dessin. Mais en dehors de cette légère complaissance graphique, Fratelli apparait comme un livre juste, parfaitement au courant de son sujet, le plus souvent émouvant.
S; Bapoum pour les Inrockuptibles