Gotham Central (2003 - 2006) par xeutrope
Si je vous dis “Gotham”, à qui pensez-vous ?
Quelques noms vous viennent immédiatement en tête. Batman, Robin, Batgirl, Catwoman sont certainement parmi les premiers puis le Joker, Double face, Mr Freeze et quelques autres par la suite.
Mais au final, à moins que vous ne soyez de très grands fans de Batman, vous penserez rarement à des êtres humains “normaux”. Il est certain que vous connaissez James “Jim” Gordon, véritable co-équipier de Batman et héros à part entière de Batman: Year One.
Dans le dessins animée des années 90 (Batman TAS pour The Animated Series), les forces de l’ordre de Gotham (GCPD) étaient tout de même bien représentées. Montoya (qui y apparaît pour la première fois) et Bullock forment certainement le couple de flic que l’on voit le plus à l’écran, interagissant régulièrement avec le Chevalier Noir. Quelques autres bien moins importants apparaissaient aussi.
Si vous avez vu Gotham Knight, le film animé à sketch censé se dérouler entre Batman Begins et The Dark Knight, un segment (le deuxième, “crossfire”) a pour protagonistes le detective Crispus Allen et Anna Ramirez. Ces deux officiers de police se retrouvent au milieu d’un affrontement entre deux bandes rivales, celles du Russe et de Sal Maroni. La discussion que tiennent les deux personnages durant le début de la saynète porte sur la confiance que la police doit accorder à Batman ou non. C’est là un élèment important et j’y reviendrai tout à l’heure.
Gotham City est une copie du côté sombre de New York City, le versant sale, malodorant et mortifère de la grosse pomme, il y a beaucoup à faire. Batman ne peut être partout tout le temps et malgré son efficacité et le coeur qu’il met à l’ouvrage, jamais il ne pourra totalement éradiquer le crime de sa chère cité, même avec l’aide ses Sidekicks.
Gotham Central s’intéresse aux policier du GCPD et particulièrement ceux du MCU (Major Crimes Unit) dont les membres ont été choisis par le Commissaire Gordon lui-même. Cette série a été créée par Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark et a duré 40 numéros de 2003 à 2006, histoires co-écrites la plus grande partie du temps par Brubaker et Rucka, parfois par seulement l’un des deux, Michael Lark endossant généralement la responsabilité d’illustrer le tout.
Ce Comic-book a tout d’un cop-show traditionnel à la NYPD Blues ou Third Watch (NY 911 chez nous chez Rabelais). Si vous avez déjà regardé ce genre de série vous devez savoir à quoi vous attendre.
On y suit généralement une ou plusieurs équipes composées de deux détectives. Ils ont leurs enquêtes à résoudre, des problèmes familiaux et affectifs à gérer, des secrets à ne pas ébruiter, leur vie et celles de leurs coéquipiers à protéger.
Il ne faut pas oublier que ces officiers de police évoluent dans Gotham, la ville de Batman, certes, mais surtout la ville des freaks. La soeur jumelle de Metropolis où les méchants ne sont pas des créations de la science ou des aliens et des robots mais des ratages et des ratés qui mettent en danger la société autant que leur personne.
De plus, le contexte est assez difficile pour tout Gotham et pour les policiers en particulier. Quelques années auparavant, durant l’event No Man’s Land, la ville a été touchée par un tremblement de terre meurtrier, laissant ses citoyens coupés du reste des USA et du monde, les ponts ayant été détruits sur ordre du gouvernement. Des gangs se battent afin de gagner le contrôle de la ville tandis que Bruce Wayne tente par tous les moyens de régler la situation politiquement par ses relations et son argent. Peine perdue, ses interlocuteurs ne le prennent pas au sérieux. Pendant ce temps là, Batman n’est plus à Gotham et même ses plus fidèles alliés et soutiens le croient parti pour toujours, les abandonnant à leur triste sort.
THIS IS COMICS, EVERYBODY, et tout revient dans l’ordre bien évidemment. Mais les conséquences sont assez lourdes: la ville est détruite et mettra du temps à s’en remettre, les habitants sont éreintés, la police est à l’agonie et James Gordon, qui vient de perdre sa femme d’un coup de feu du Joker, se fait tirer dessus.
De très nombreuses références sont faites à ces éléments dans Gotham Central, certains donnant naissance à des intrigues à part entières.
Les protagonistes sont tous très, très, très bien caractérisés et même les personnages secondaires que l’on voit plus rarement sont très attachants. Les enquêtes sont gérées à merveille, les affaires amenant parfois certains binômes à collaborer. On navigue entre plusieurs genres d’investigations, passant de crimes en séries à une prise d’otage, tout est très bien équilibré.
Mais deux éléments rendent cette série (déjà exceptionnelle par son story telling et la fantastique écriture de Brubaker) réellement passionnante à mon sens.
Le premier, ce sont les super vilains. Comment est ce que de simples humains, des gens qui ont vivent pour leur travail et qui ne souhaitent qu’une chose, protéger leur concitoyens, comment est ces gens vivent avec le fait qu’il devront, tôt ou tard combattre des aliénés aux capacités physiques, technologiques et financière au dessus des leurs ? Cette question est assez brillamment exploitée tout au long des différents numéros de cette série.
Le deuxième, c’est la relations entre Batman et le GCPD. Si Gordon entretenait une étroite collaboration avec le Chevalier Noir, son successeur n’a pas la même politique. Il fait même désinstaller le bat-signal, comme une volonté de montrer que la police peut se débrouiller seule sans Batman.
On assiste à cette discussion à quelques reprises, notamment entre Montoya et Allen. Faut-il faire confiance au Dark Night ? Est-il nécessaire de faire appel à lui quand la police rame dans une enquête ? Est ce que l’action de Batman décrédibillise les policiers ? La remise en question de la relation entre le justicier et les forces de l’ordre va assez loin. Vous verrez ça aux alentours du #20.
La réussite de ce comic-book est aussi due en grande partie au style graphique de Michael Lark. S’agissant d’enquêtes policières, l’action n’est pas omniprésente, loin de là mais jamais l’on ne s’ennuie. Cela vient du fait que les dessins de Lark sont totalement complémentaires du style très polar/roman noir de Brubaker et de celui de Rucka. Rien de très extravagant, il va au plus simple, tout est très intimiste et même les vilains ont des allures plutôt simples par rapport aux représentations qui en sont parfois faits. C’est toujours agréable à lire, jamais ennuyeux.
Les professionnels de la profession ne s’y sont pas trompé: la série a été acclamée durant tout le “run”. De multiples nominations pour le scénario, les dessins et finalement deux prix gagnés: un Eisner et un Harvey Award pour l’histoire Half A Lie en 2004.
Mais Gotham Central n’a jamais marché. Les ventes ont toujours été catastrophiques et la série s’est vue arrêtée au bout de 40 numéros. Brubaker a expliqué à de nombreuses reprises qu’il en avait juste fini avec la série et que DC n’était pas contre continuer.
Comme souvent, les très grandes oeuvres passent inaperçues aux yeux du public lors de leurs sorties mais deviennent cultes peu après. J’espère réellement que ce sera le cas de Gotham Central.
À LIRE, ACHETER, ET SAVOURER
Gotham Central par Ed Brubaker, Greg Rucka et Michael Lark
Série complète disponible chez DC Comics en 4 volume
Version française existante mais disséminée dans plusieurs collections et très difficile à trouve