Du sang et des fleurs sur l’île de l’abomination

En trois tomes la série Helldorado écrite par un duo de scénaristes (J-D Morvan et Miroslav Dragan) et mis en images par l’argentin Noé, parvient par ses outrances à s’imposer comme une référence de ce qu’il convient d’appeler « l’aztec-fantasy » et comme le jalon d’un nouveau style : le « gore-chatoyant ».
Lorsque les Conquistadors (ici baptisés Matadors) débarquent sur l’île de Los Penitentes, ils y trouvent à la fois une civilisation développée, Les Syyanas, et une terrible maladie contagieuse. La rencontre entre les peuples est brutale. Les blancs sont menés par un exalté génocidaire et les indigènes par un roi peu compatissant envers les siens... Dans ce cadre cauchemardesque, deux jeunes amis, l’un cynique et arrogant, l’autre jovial et rondouillard, tentent de survivre.
En inventant une île et un peuple, les auteurs s’affranchissent des contraintes de la fidélité historique et se concentrent sur leur dramaturgie, nous livrant une bande dessinée résolument grand spectacle. La palette graphique de Noé, dont le talent fut préalablement chauffé par ses productions pornographiques (qui firent les grandes heures de la revue Kiss comics), déploie ici ses éclats chromatiques les plus rutilants. Sa maîtrise du découpage et des cadrages efficaces assure une lecture des plus confortables à défaut d’être toujours agréable... Car il faut bien avertir les lecteurs sensibles : Helldorado, malgré ses atours chatoyants expose frontalement une violence des plus excessives qui étonnera même les amateurs de gore. Les scènes choquantes abondent : massacres, prisonniers brûlés vifs en fosse ou en... chambres à mazout, tortures et corps en décomposition… Le troisième tome recelant même une séquence d’anthologie dont on ne peut vous parler ici... On vous dira juste que c’est à base de bébés.
La symétrie des deux camps est assez marquée sur cet échiquier peuplé de pions sacrifiés par des fous. Au côté de chacun de deux rois se tient un trio de savants dont la veulerie et la cruauté tiennent lieu de compétence. Sur ce tapis de noirceur et de pourriture se distingue la personnalité lumineuse du seul personnage féminin, la fille du Roi, dont la figure relève de la Sainte chrétienne. Elle semble être l’ambassadrice des paysages magnifiques de l’île, de cette nature fleurie et colorée au sein de laquelle se commettent tant d’horreurs.
On retrouve bien derrière la trame de cette fiction, l’insistante volonté de « dire quelque chose » à propos de l’Humanité et de l’Histoire, qui caractérise bien le travail de Morvan. Le catalogue des interrogations contemporaines est ici bien rempli : la pérennité du Mal, les génocides, la guerre bactériologique, les boucliers humains, les forces de dissuasion, les dangers de l’expérimentation scientifique, les pandémies, le Sida, la légitimité du l’utilisation de la force au nom d’un projet utopique...
L’écueil du bavardage indigeste et démonstratif est évité grâce aux magnifiques séquences muettes parfaitement fluides qui ponctuent chaque tome et qui forment un véritable hymne au neuvième art. Enfin, on ne saurait conclure sans évoquer la figure du Capitaine Abatirso : Helldorado tient avec lui un méchant de fiction des plus splendides. Les fragments entrevus de son passé ne permettent pas de résoudre ses ambiguïtés : si sa raison a basculé, ne serait-ce pas sous l’effet d’un excès de lucidité ?
Vladimir Lecointre
aaapoumbapoum
7
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le 10 nov. 2012

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